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Lenr portrait politique, si l'on peut hasarder cette expression, ressemble à ces divinités de l'Inde, bizarre assemblage de formes humaines, de membres empruntés à des quadrupèdes, à des reptiles, à des oiseaux, à des monstres marins.

Voilà l'inévitable résultat de ces révolutions générales où l'action fut tout entière à un parti, où la nullité signala constamment un autre parti; où il y eut des victimes et non des vaincus, des oppresseurs et non des vainqueurs, et où la masse de la nation, habituée à l'inertie, entretenue dans l'ignorance par ses anciens gouvernements, se vit rouler comme les vagues de l'océan, entraîner comme les sables du désert, ou disperser comme des nuages sans consistance. En moins de dix ans, on trouve les Français aux deux extrémités, en proie à la licence populaire, au despotisme d'un seul maître. Les Francais, dépourvus d'esprit public, suivirent en aveugles, tantôt les conseils des factieux, tantôt les ordres des dépositaires du pouvoir. Il y a maintenant deux partis qui ne craignent rien autant qu'un gouvernement doux, modéré, et mis hors d'état de changer; qu'un gouvernement représentatif solidement constitué. Ce sont les continuateurs du jacobinisme, heureusement aussi peu nombreux que discrédités, et les adhérents de la vieille aristocratie, qui se trouvent en trop grand nombre.

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Certains raisonneurs, froidement optimistes, ou que fatigue l'investigation des moyens propres à conduire les hommes au meilleur état possible, répètent avec complaisance deux vers de Pope, belesprit anglais, versificateur, parasite et papiste prononcé, c'est-àdire dépendant par corruption, par mollesse et par systême :

For forms of govern'ment let fools contest,
Whate'er is best administered, is best. 1

C'est folie de discuter les formes de gouvernement; le meilleur consiste dans la meilleure administration. Mais ces institutions qui portent en elles-mêmes un principe de durée; ces combinaisons qui tendent à garantir la stabilité de l'ordre établi, admis par le consentement volontaire de tous (que ce consentement soit expliqué on tacite); ces institutions civiles et ces combinaisons politiques doivent, sans doute, être préférées à l'arrangement qu'amenèrent des circonstances la plupart fortuites, ainsi que l'irrégulière influence des siècles barbares ou mal civilisés. Les ressorts d'un gouvernement représentatif, convenable au peuple qui l'a reçu, se réparent d'eux

mêmes. Ce mécanisme est le mouvement perpétuel et bien ordonné des sociétés. C'est ce qu'on a vu dans les villes de l'empire germanique, lorsqu'elles jouissaient d'elles - mêmes; c'est ce qu'on a vu et ce qu'on voit encore en Suède, en Angleterre, aux États-Unis, dans plusieurs cantons suisses. Titus, Louis XII, Henri IV, laissèrent les rênes de l'état à des successeurs dépourvus de leurs talents ou de leurs vertus. Les monarchies absolues sont destinées à de fréquentes, à d'incalculables vicissitudes. Louis XV en-deçà, comme Charles IV au-delà des Pyrénées, et Charles II sur la Tamise, ont donné de bien tristes exemples de toutes les dégradations qu'amène le pouvoir arbitraire. Réclamer l'arbitraire, c'est refuser les garanties du bonheur individuel et de la prospérité publique.

Quand, à la faveur de ces autres institutions qui ne sauraient être encore long-temps attendues sans danger pour le trône luimême, l'esprit public sera développé, la France offrira ce phénomène aperçu dans les pays possédant avant nous des institutions analogues. On y verra un principe d'action uniforme, de progrès, de durée, toujours supérieur aux difficultés du dehors; et, pour quelques cantons des départements du Rhin et de la Moselle, pour quelques établissements coloniaux, cédés ou perdus, la France aura gagné la connaissance d'elle-mème, acquis la science de se conduire, contracté une aptitude infaillible à réparer ses anciens désastres, à conserver et reproduire sans cesse ses nouveaux avantages. Plus le régime franchement constitutionnel sera mis en jeu, et plus la propriété étendra son empire sacré. Les émeutes des prolétaires, les sophismes des démagogues ne seront pas à craindre. Dès que les classes moyennes, dont le mouvement ascendant se fait régulièrement, seront pleinement convaincues que nulle considération ne saurait légitimer la moindre atteinte aux facultés du plus humble citoyen, elles ne nommeront que des représentants également ennemis de l'anarchie et du despotisme. Alors, on ne verra point le silence de la servitude succéder au tumulte de la démocratie. Le souvenir de leurs écarts aura donné aux Français une salu taire prévoyance; et la crainte de retomber dans les premiers excès ne les rejettera pas de nouveau dans des excès contraires.

En vain s'obstinera-t-on à calomnier l'impulsion générale qui se mánifesta en 1789; la véritable opinion publique, celle qui domine toutes les factions, et qu'il est aussi facile de discerner qu'il l'est de distinguer la lumière du soleil des lumières factices; l'opinion,

qui peut être comprimée, mais qui se relève à chaque circonstance favorable, reste invariable depuis trente années. Quand Bonaparte arriva d'Aboukir à Saint-Raphau, la nation voyant dans son systême de gouvernement (ainsi qu'il a été dit plus haut) une digue qui devait rompre tous les efforts de cette ancienne aristocratie, si pernicieuse en tout temps, la nation s'abandonna sans réserve à Bonaparte. Oui, les désastres de la France ont été causés, bien moins par l'exagération de quelques enthousiastes et par le complot de quelques méchants, que par l'hésitation, la tiédeur, la pusillanimité, l'inertie ou la retraite du grand nombre, que par les compositions avec la conscience d'une foule d'hommes ayant d'abord de bonnes intentions, ainsi que par le stoïcisme et la résignation à contre-temps des hommes vertueux eux-mêmes. Cette résignation ne saurait se concevoir. Jamais on ne comprendra que, de 1791 à 1814, il n'ait pas pu se former, au milieu d'une nation aussi spirituelle, aussi brave, aussi estimable, une opposition raisonnée à l'action malfaisante des gouvernements qui se sont succédé; que ces gouvernements aient impitoyablement mutilé cette nation, sans en éprouver de résistance, excepté à Lyon et dans la Vendée. Quelle absence de bon sens politique, quel défaut d'idées saines pour sa propre conservation ne suppose pas une telle conduite soutenue durant vingt-cinq années! Cette ignorance des éléments de la félicité générale, de la sécurité individuelle; cette dépression de tant de millions d'hommes parvenus cependant presque au sommet de la civilisation, dérivaient (qui pourrait en douter?) de la pernicieuse influence du despotisme insensé qui courba la France depuis la mort de Henri IV. Les Romains n'étaient, du temps de Trajan, déja plus susceptibles de mouvements généreux; ils avaient rampé pendant deux siècles sous des tyrans et des affranchis, les courtisans d'alors. L'histoire de leur république ne s'offrait plus à leur esprit, que comme une tradition décolorée; tant le sentiment de la liberté avait été étouffé chez le peuple - roi! Ce sentiment, lorsqu'il se manifestait en France sous les Valois ou sous les Bourbons, étant presque aussitôt amorti, se dissipait en fumée, mêlée de légères étincelles. Opprimons-les avec sagesse, à l'instar du Pharaon des Hébreux, disaient les ministres dépositaires de nos destinées; et quand Louis XVI, adorable dans sa bienfaisance, vient ranimer ce sentiment, il ne trouve que des cendres froides ou des matières inflammables qui, à l'instant même, produisent l'éruption du Vésuve.

Le gouvernement ne saurait maintenant assurer sa tranquillité, il ne saurait assurer la tranquillité de la France, qu'autant qu'il s'entourera de la seule force en état de le faire triompher des factions; c'est-à-dire de la confiance nationale. Un gouvernement qui ne marcherait pas avec son pays, qui n'aurait pas égard à lo pinion raisonnée et persévérante des classes moyennes, qui n'agirait pas dans le sens de l'universalité des citoyens, ou perdrait la nation, ou serait perdu par elle, ou se perdrait avec elle. Puissent toujours nos rois unir au bon naturel qui ne cessa de distinguer les Bourbons, l'esprit de discernement et la plénitude de la franchise! Puissent-ils gouverner à la manière de Henri IV, dont l'allure était si vraie, même dans les écarts de sa vie privée; dont la mort fut sincèrement pleurée du peuple, et suivie des regrets des gens de bien de tous les états; tandis que l'allégresse fut aussi vraie qu'universelle, à la mort de ses trois successeurs immédiats! Sans doute, les successeurs de Louis XVI aimeront à s'appliquer la déclaration de son ministre, le jour de l'ouverture des étatsgénéraux (V. 5 mai 1789). « Des graces versées sur un petit nombre <«< de courtisans et de favoris, quoique méritées, ne satisferaient pas « la grande ame du roi. Puissent les ministres sur lesquels enfin se reposera la confiance du roi, car jusqu'en décembre 1818 sa confiance n'a été que passagère (V. le tableau des promotions, pages 837 et 838), se tenir avec sincérité dans les routes constitutionnelles, les seules que les Français veuillent suivre; et que ces ministres se pénètrent bien, que l'arbitraire n'est pas plus un moyen de puissance que la duplicité n'est un ressort d'administration! Que les ministres à venir, suivant sans dévier les conseils d'une haute prudence, ne laissent pas se renouveler des querelles assoupies, qu'ils ne portent pas dans leurs fonctions les vues d'une ambition de courtisans qui nous agiterait et qui perdrait la France, en exposant la monarchie! On obtient beaucoup des Français par la franchise et la bonne foi, on n'en obtient rien par des voies obliques, qui seraient bien promptement devinées.

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Les Français, l'immense nombre des Français, apprécient lear position et leurs devoirs. Ils savent que personne ne peut dire avoir traversé, sans dériver un peu, le fleuve orageux de la révolution; que des maximes de morale ne sauraient apporter un secours efficace au milieu des discordes; qu'on ne saurait lutter contre les préjugés reçus dans l'enfance, contre les vices de l'éducation, contre l'effet d'un mauvais gouvernement; que, dans une tempête

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imprévue, nul n'est en état de répondre de sa direction. Les Français savent fort bien que le souvenir de ces temps déplorables, loin d'être un appel à la vengeance, doit être la leçon de leur avenir. Après un orage, tous ceux qui en ont été battus aiment à se reposer ensemble, à se féliciter mutuellement; ils jouissent en commun de la sérénité du ciel.

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