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raient un intérêt général; mais croyant voir leur triomphe complet dans la restauration qui ne faisait que garantir les droits de tous, et décelant aussitôt les pensées qu'ils avaient si bien masquées durant le régime impérial, aussitôt leurs insultantes hauteurs, leurs prétentions exclusives, leur avidité, leur parcimonie, soulevèrent contre eux les classes moyennes et industrieuses. Au commencement de 1814, on disait : Long-temps malheureux, ils ont droit aux égards; on ne put s'empêcher de dire, au commencement de 1815: Ces fugitifs, toujours fugitifs, osent reparaître avec l'air menaçant des triomphaleurs. Aussi recueillent - ils le dédain et l'aversion d'une nation que les revers peuvent consterner, mais ne sauraient abattre.

Ces faux royalistes, ces champions de la basse féodalité, dont l'esprit ne saurait s'élever à l'idée de la liberté politique, aiment à confondre les excès de la révolution avec son but primitif, la tyrannie des féroces proconsuls qui s'en emparèrent avec les vœux des hommes généreux qui en furent les victimes. Cette juste horreur, qu'inspirent les folies des démagogues et les crimes des jacobins, ils l'étendent aux principes émis par les défenseurs de l'humanité, dans l'espoir de déconsidérer les partisans d'un gouvernement sagement pondéré, légalement établi et mis hors du droit divin. Non, l'esprit constitutionnel de 1819 n'est pas l'esprit révolutionnaire de 1791; c'est cet esprit de réforme, bouillonnant en 1788, après avoir fermenté pendant trois quarts de siècle. Ce n'est pas un feu grégeois, un incendie dévorant, un orage destructeur des moissons, un ouragan impitoyable; c'est une action aussi douce qu'uniforme, chaleur fécondante, un courant d'air dans une direction bien déterminée; une mousson inévitable dans les belles latitudes.

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Parfois, on rencontre des enthousiastes ramenés à la raison. On peut éclairer l'esprit, calmer la frénésie de ceux qui, séduits par des idées nouvelles, prirent un bouleversement pour un accident, l'innovation pour la réforme, les actes d'une violence désordonnée pour les symptômes de la vraie liberté : on peut les désabuser, en leur montrant l'évidence des résultats. Mais les hommes voués à l'ancien régime n'abandonneraient pas une seule de leurs traditions; ils sont incapables de changer de route, parce qu'ils prétendent avoir toujours marché sur la ligne droite, suivant l'étrange expression d'un ministre d'état ( V. 5 décembre 1814). La lèpre invétérée de l'aristocratie est ineffaçable, incurable, éternelle; tandis que le fanatisme de la démagogie, semblable à une grande contagion,

n'apparaît qu'à de longs intervalles, et se consume par ses ravages mêmes. La France serait-elle à jamais une terre ingrate, rebelle, incapable de produire des citoyens et des hommes? L'esprit, le savoir, la philosophie, les agréments de la vie sociale, abondent dans cette belle France. Mais cette force d'ame qui, s'unissant au bon sens et à la réflexion, constitue le caractère et fait un homme supérieur en mérite; chez combien de personnes tenant aux premières classes, la trouva-t-on, de 1789 à 1815?

Un second obstacle à l'entière régénération de la France, est le parti qui semble maîtriser le clergé. L'intolérance constitue sa doctrine, la soif de la domination est sa passion dominante. Il prétend exercer une action directe dans les affaires humaines. Trop peu de nos prélats présentèrent la religion comme un sentiment dégagé des intérêts de ce monde; et trop souvent, ils se servirent de l'Évangile pour établir des dogmes politiques (V. 27 mai 1804). Un assez grand nombre de prêtres subalternes, imbus de petits préjugés, conduisent à l'idiotisme par la superstition, et répandent ce fanatisme qui germe dans les cerveaux étroits. Plusieurs de leurs chefs, nourrissant des desirs effrénés de commandement, invoquent sans cesse le pouvoir absolu. En confondant les maximes de la vraie piété avec les priviléges et les envahissements d'un sacerdoce tout mondain, ils ont extrêmement affaibli le véritable esprit du christianisme. Les aumôniers de Napoléon ne se lassaient pas de l'encenser, parce que, nouveau Constantin, il allait, croyaient-ils, rendre le clergé fastueux. Par exemple, un évêque, nommé Boulogne, s'écriait : Toute puissance vient de Dieu, et qui résiste à la puissance résiste à Dieu méme. Par ces paroles que le Saint-Esprit n'avait point inspirées, cet évêque justifiait implicitement la mémoire de Domitien, de Louis XI, de Charles IX, et aussi de Robespierre. Un autre pontife, Maurice de Broglie, n'acquit-il pas un peu de célébrité par son langage adulateur (V. 23 septembre 1805)? Certains prêtres vont prêchant sans cesse, que le pouvoir absolu, en quelques mains illégitimes ou peu dignes qu'il tombe, ne saurait être contesté, ni modifié (V. 27 mai 1804). Répandant un faux sentiment religieux, ils n'édifient pourtant, à ce jour, que les simples, et les très-simples, au moyen de ces maximes, et des petites pratiques superstitieuses du moyen âge. — Tel est l'esprit du clergé dans les pays où l'autorité ne l'a pas assez contenu. Toutes les inepties, tous les malheurs, toutes les fautes, toutes les cruautés des quatre Stuarts (des deux Jacques, des deux Charles), sont dans la doctrine du despotisme et du droit divin,

dans cette effroyable chimère qui fascinait leurs esprits, et qui pénétrait leurs ames.

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Le clergé français s'adressait à Louis XIV, au sujet de la révocation de l'édit de Nantes, en ces termes : « Si vos actions précédentes ont porté votre nom aux extrémités de la terre, celle-ci « l'élevera jusque dans les cieux et vous acquerra une gloire qui durera encore après la ruine de l'univers. » N'est-ce pas avec une douloureuse émotion qu'on entend Bossuet, un des plus beaux génies de l'Europe moderne, s'éerier : « Touchés de tant de merveilles, épanchons nos cœurs sur la piété de Louis. Poussons jus« qu'au ciel nos acclamations, et disons à ce nouveau Constantin, << à ce nouveau Théodose, à ce nouveau Marcien, à ce nouveau Charlemagne, ce que les six cent trente pères dirent autrefois, dans le concile de Chalcédoine: Vous avez affermi la foi, vous avez exterminé les hérétiques; c'est le digne ouvrage de votre règne,

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« c'en est le propre caractère. Par vous l'hérésie n'est plus; Dieu

». Ja

« seul a pu faire cette merveille. Roi du ciel, conservez LE Roi de « LA TERRE. C'est le vœu des églises, c'est le vœu des évêques mais on ne préconisa de grands désastres avec plus d'enthousiasme. Le clergé a rampé, de toute la souplesse de ses vertėbres, sous Napoléon, afin de n'être pas écrasé. Le pied du colosse ne pèse-t-il plus, aussitôt le clergé lève une tête altière, et fait entendre des sifflements aigus dans les espaces libres. Ce clergé semble ne pouvoir exister, quc persécutant ou persécuté.

Depuis huit années, un certain nombre d'ecclésiastiques ne cessent d'exciter des alarmes sur plusieurs objets de premier intérêt, se déelarent les ennemis jurés des institutions qu'ont déja ou que réclament encore les Français, s'opposent à leur affermissement ou à leur complément. Plaçant la sève de la religion dans son écorce, ils affectent de confondre la tolérance des cultes et l'indifférence religieuse. Profondément imbus des idées du droit divin, ils réprouvent la Charte et tout contrat social; ils osent dire que l'usage de la liberté en est l'abus. Aussi, depuis 1814, n'a-t-on pas vu nommer un seul prêtre à la chambre des députés. La puissance des tyrans, répètent ces prêtres, désavoués par la doctrine de l'Évangile, est une puissance instituée par Dieu, pour nous châtier; il faut baiser la verge dont ils nous frappent. Mais on sait assez qu'ils ne prêchent cette doctrine, que lorsque les tyrans sont leurs bienfaiteurs, leurs amis, leurs serviteurs, leurs pénitents. En certains lieux, on procède par des confréries, des pélerinages, par des associations mystiques, par une

foule de petites voies d'obscure superstition. Il semble qu'on nourrisse le dessein de mettre les Français en tutelle ecclésiastique. Étrange opinion! que le clergé seul puisse régénérer la France; qu'à cet effet, on doive le multiplier, lui confier la jeunesse et lui laisser prendre une influence décisive. Depuis quelques années, les missionnaires se livrent à des déclamations furibondes sur le passé. Et ce moyen, qui a paru à de faux esprits de cour susceptible de contribuer à la réunion des Français, les aigrit et les divise de nouveau. On aurait pu s'en servir pour ramener à un véritable sentiment religieux dont la diffusion modérerait les heureux du siècle et consolerait les infortunés, toujours en si grand nombre. Mais puisqu'un tel secours devenait dangereux, il fallait le repousser. La France rapportera l'altération de sa tranquillité, et la principale cause des discordes naissantes, à deux ou trois imprudents ministres qui favorisèrent l'ascendant du clergé et le dotèrent d'attributions incompatibles avec l'opinion générale.

Quand donc les régulateurs de la France voudront-ils entendre que la prêtrise est une profession, et non un ordre politique? Les catholiques allemands ont banni la controverse, pour ne s'occuper que des principes religieux. Ils ont établi la tolérance si peu semblable à l'insouciance. On voit en plusieurs lieux des fidèles de communions différentes invoquer dans le même temple le père commun des hommes; et pour cela chacun n'en adhère pas avec moins de ferveur au culte qu'il professe. Cette sociabilité a pu seule mettre fin aux déplorables querelles qui ensanglantèrent ces contrées pendant deux siècles, tandis qu'elles ont désolé la France, jusqu'à l'expulsion des jésuites, et n'y ont jamais entièrement cessé.— On est, en Autriche, aussi dévoué que chez nous au catholicisme.

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Cependant on n'y vit, en aucun temps, des orages excités par clergé, parce que les ecclésiastiques y furent toujours renfermés dans leurs fonctions, qu'ils n'y exercèrent aucun droit politique. Aussi n'ambitionnent-ils pas de jouer un rôle dans l'état. Ils sont modestes, paisibles, et ne se laissant voir qu'au sanctuaire. - Aux États-Unis, le sentiment de la religion est universel, sans que l'autorité soutienne un culte quelconque. L'appui du gouvernement peut favoriser l'intérêt des prêtres, mais il fait tort à l'esprit religieux, esprit qui contribue si efficacement à la sécurité publique, en sanctifiant la morale.

Outre les faux royalistes, voulant d'un roi clément faire un dictateur impitoyable, outre les ministres atrabilaires d'un Dieu de

paix, il existe une sorte d'hommes nuisibles aussi, ceux qui se sont tournés vers le nouveau soleil de la faveur et qui viennent l'adorer, suivant les mêmes rites qu'ils pratiquaient dans l'adoration de la grande idole, aujourd'hui renversée. Engagés dans ces habitudes d'excessive dépendance, que formèrent chez un grand nombre de fonctionnaires les impressions du servage impérial, ces agents de l'arbitraire sous quatre ou cinq gouvernements, ces diplomates-visirs qui imposèrent à tous les souverains et à tous les peuples du continent des conditions exigées par leur grand-sultan, ces apostats de toutes les doctrines, renégats de toutes les institutions, parjures toujours empressés, se représentent toujours. S'il y en a qui trahirent le despote, ils assurent qu'ils n'abjurèrent pas le despotisme, et que leur présence au pouvoir est indispensable; ils ne rougissent pas d'émettre que le changement d'opinions en des temps différents prouve qu'on s'est éclairé; ils ne sont pas honteux d'avancer qu'ils cèdent au cri d'une conscience mieux instruite. Ainsi le cardinal Duperron offrait de prouver ou de nier l'existence de Dieu. Misérables hommes d'état, sans autre mobile que le soin de leurs intérêts particuliers, et qui ressemblent au fléau de la balance dont l'inclinaison se décide par le poids qui charge inégalement et tour - à - tour l'un et l'autre bassin! Ces pilotes prétendront retenir le gouvernail d'un navire, qu'eux-mêmes avouent, avec une naïve assurance, avoir jeté sur les écueils. Par de telles apologies, Fouché dit de Nantes, Merlin dit de Douai, entièrement disculpés, auraient droit à reprendre leurs hautes fonctions. Dans de tels hommes, l'intérêt personnel est tout, l'intérêt public rien.

Il en est encore d'autres, jadis séides du tout - puissant imposteur, qui s'efforcent aujourd'hui de paraître les héros de la liberté, les champions de la vertu, les amis du peuple. Si Fouché, d'exécrable renom, publie ses mémoires, il ne manquera pas de se produire comme un modèle de philanthropie. Le déclamateur Garat se donnera pour le Condillac de la législation; ce ministre des jacobins, qui remit à Louis XVI son arrêt, revendiquera l'honneur d'être cité comme le Malesherbes de la liberté. Les Garat et les Fouché ont laissé en France un certain nombre d'élus qui, moins fameux, furent tout aussi pervers. On les voit cependant dans les rangs des défenseurs du peuple ou bien des courtisans, suivant l'occasion qui leur est venue. L'histoire de nos troubles offre de nombreuses et de bien singulières disparates dans les individus qui s'y mêlèrent.

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