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France pendant une période de huit siècles, il n'en est que deux pour lesquels un Français devrait réserver son estime toute entière, dont il doive bénir les travaux; parce qu'eux seuls furent véritablement grands, c'est-à-dire éminemment utiles à la nation, et qu'ils eurent la force, comme le desir, d'imposer à leur autorité des bornes qu'ils ne trouvaient pas dans les institutions. Possédant l'un et l'autre la plénitude de la puissance, ils aimèrent à ne se considérer que comme les représentants nés du peuple.

Ces deux rois, seuls dignes de l'immortalité, Charles V (le Sage), Henri IV, ont trop long-temps resté bannis du souvenir des Français. Le culte qu'obtint enfin la mémoire du chef des Bourbons a pris naissance dans le poëme de Voltaire. Henri IV, dont on parlait à peine dans les années qui suivirent sa mort, et qui ne reçut, depuis l'érection de sa statue (en 1614), aucun hommage public, dont le nom même n'osait se prononcer à la cour de son petit-fils, sembla ressusciter, après un siècle, dans les cœurs français, alors qu'écrasés sous un règne trop long de moitié, ils gémissaient sans espòir. Mais, alors même, leurs yeux, éblouis par les fausses lueurs du siècle, se portaient de préférence sur les hauts faits du conquérant : ils ne rendaient qu'une imparfaite justice au Roi administrateur; et, quand ils avaient fait l'éloge de sa bonté, de sa valeur, de ses qualités sociales, ils croyaient cet éloge achevé. L'adversité nous le présente aujourd'hui sous un nouveau jour qui le grandit et l'élève encore; le héros ne perd rien de sa vaillance; le Français par excellence, de sa grace native; l'homme généreux et compâtissant est toujours aussi renommé pour ses actes de bonté privée; et, de plus, il nous apparaît comme le bienfaiteur des sociétés, le modèle des souverains, l'instituteur des hommes d'état, l'ange tutélaire de la patrie.

Mais les Français oublient encore le nom de Charles V, qui répara sans bruit, avec une modération céleste et avec une si exquise habileté, tous les désastres de la France, réduite aux abois. Ses traits restent inconnus ; tandis que les arts travaillèrent à l'envi pour transmettre l'effigie de Catherine de Médicis!

Puissent les malheurs dont nous avons été les auteurs, les témoins et les victimes, servir utilement à nos neveux! Notre expérience leur laissera des notions plus justes sur une foule d'objets dont dépend l'existence ou le bien-être des nations. Ils ne recueilleront pas du moins, de notre héritage, ces semences de désordre que nous apporta le gouvernement de Richelieu et de Louis XIV. Et, quoique les hommes intéressés à dénaturer le principe comme à rapprocher l'époque de notre révolution, prétendent qu'elle ne s'est annoncée que le jour où elle a frappé ses premiers coups, il est trop évident que ses germes, pleins de vie, avaient été semés par les siècles antérieurs. Dira-t-on que les flancs du Vésuve ne reçoivent le soufre et le bitume qu'à l'instant où le cratère mugissant les répand en torrents enflammés? dira-t-on que ces mines qui soulèvent un vaste terrain et lancent au loin des débris prodigieux, ne sont chargées qu'au moment où l'étincelle en excite l'explosion? La génération d'un tel phénomène n'a pu s'improviser; et, plus l'apparition est merveilleuse, plus longtemps elle a dû être préparée. Le pouvoir avait usurpé, sans ménagement, depuis Henri IV; la raison, l'humanité, les passions, si l'on veut, réclamèrent; on les rebuta toujours. L'occasion reparut; avec elle tous les sentiments généreux se ranimèrent; la raison elle-même s'indigna; les passions s'enflammèrent, et la force aveugle se vengea des résistances inconsidérées.

L'insurrection des idées était faite dès le temps où le sceptre de Louis XIV les comprimait avec une attention si jalouse, qu'elle allait jusqu'à la barbarie. Les solitaires de Port-Royal, si affreusement traités, avaient pour premiers torts d'exercer la faculté du raisonnement et de fixer des limites à la crédulité, comme d'établir des règles pour le doute. On aperçoit dans Molière des traits qui montrent sur quels objets se serait élancé son génie, s'il lui avait été permis de franchir les limites hors desquelles il ne hasardait que des bonds modérés. Sans doute il y avait des esprits exercés à l'investigation, dans le monde intellectuel, à cette époque où la Bruyère croyait devoir à ses protecteurs des dissertations contre les esprits

forts. Lorsque Descartes révélait sa philosophie, lorsque Montaigne doutait, lorsque Molière écrivait son Tartuffe, ils préparaient la révolution de 1789.

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Et, depuis Louis XIV, de quel ordre partirent les scandales qui révoltaient l'Europe? Ces généraux qui s'humiliaient aux pieds des courtisannes en titre, après les avoir produites sur une scène élevée de prostitution, sortaient-ils eux-mêmes de familles récemment obscures? Ces trois filles d'un régent, dont les déportements décolorent les tableaux de Suétone; ces deux indignes descendants du vainqueur de Rocroi, l'un fuyant le premier du champ, de Crévelt où coulait à grands flots le sang français, l'autre exerçant sa meurtrière adresse sur des couvreurs où fut placé leur berceau ? était-ce sous un toit de chaume? Et ce cardinal, d'un nom illustre, trop habile négociateur d'une alliance infortunée, ne dut-il pas sa célébrité à de ténébreuses négociations? L'éclat de ce collier destiné à la reine (en 1786), n'était-ce pas une étrange révélation faite à la multitude, une atteinte visiblement portée à la majesté du trône, que les ancêtres de ce prélat outragèrent quelquefois, à la vérité, mais par de plus nobles attentats ? Bientôt après, un archevêque, un prince du saint-empire, un rejeton de cette même tige, s'unit à la populace de Liége contre le souverain de cet état (V. 18 août 1789, 12 janvier 1791 ). Le peuple, imitateur, n'a donc fait que suivre les traces des grands. Le cordon-bleu qui protégeait Champfort, ou tel autre plébéien bel-esprit, et l'employait à chansonner des magistrats petits - maîtres, des prélats administrateurs profanes, pouvait-il compter sur la déférence d'un protégé qui sentait en lui-même des talents d'un ordre plus élevé? dût-il s'étonner lorsqu'il s'en vit abandonné? Oui, les courtisans de Versailles allumèrent eux-mêmes l'incendie qui dévora la France. Après avoir été les auxiliaires du peuple, les antagonistes du trône, ils ont vu le trône périr, et le peuple les immoler. A qui s'en prendront-ils ? Les ordres privilégiés et les parlements commencèrent l'insurrection contre l'autorité royale, mais par des motifs exclusifs dont les intérêts de la nation fournissaient le prétexte.

L'histoire du siècle antérieur, c'est-à-dire du dix-septième siècle, quoique moins connue que celle du siècle de Louis XV, n'avait pu rester entièrement ignorée du vulgaire. Que lui présentait-elle ? Les princes, les seigneurs, ayant Condé, Turenne à leur tête, osant, au plus léger mécontentement, attaquer et combattre le souverain, s'allier à l'étranger, exiger des indemnités, marchander leur soumission. Car les bourgeois de ce temps-là se livraient à de tout autres industries que celle des intrigues publiques. Leurs esprits n'enfantaient point de complots. Ils desiraient n'être ni trop humiliés, ni trop grevés d'impôts, pouvoir semer ou trafiquer en sûreté, et recueillir à moitié pour eux-mêmes.

Telles sont déja, sous Louis XIV, les dispositions du tiersétat, ou des trente-neuf quarantièmes de la nation. Fénélon, Vauban, Racine, se font en vain ses interprètes : le premier est exilé, le dernier meurt du regret d'avoir déplu, le second conserve ses dignités, parce qu'on ne pourrait suppléer un talent d'autant plus nécessaire que l'oppresseur de la France et le fléau de l'Europe a plus besoin chaque année d'élever des bastions contre les étrangers et contre ses sujets; il lui faut des citadelles dans le sein des principales villes de l'intérieur, comme une ligne de forteresses sur la frontière.

Pendant le règne suivant, le char usé du despotisme roule dans les mêmes ornières. A mesure que la nation s'éclaire, la noblesse rétrécit ses petits préjugés. Des vœux pour la tolérance religieuse éclatent par-tout; Abbeville, Toulouse, voient des meurtres judiciaires, véritables auto-da-fé. Les frêles rejetons de la féodalité s'étayent par des mésalliances; et cependant ils s'irritent de ce que ceux que Louis-le-Gros rendit citoyens, réclament encore après sept cents ans leur existence politique et la reconnaissance solennelle de leur droit de participer au vote de l'impôt dont presque seuls ils supportent le fardeau. La cour veut étouffer ce desir de bonheur dans les classes ascendantes; elle ne frappe de temps à autre quelques coups mal assurés qu'afin de prolonger les loisirs d'une mollesse invétérée. L'occasion paraît enfin, et des plus favorables: elle est saisie, et l'ancien édifice s'écroule au premier coup

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de marteau. Dire donc que la révolution n'a pas été disposée depuis long-temps par les vices du gouvernement, par les prétentions désordonnées des corps privilégiés, c'est donner un démenti à toute l'histoire du règne de Louis XV. « Il n'est pas arrivé de grand changement, dit Bossuet, qui n'ait eu ⚫ ses causes dans les siècles précédents ». Burke, le Bossuet de la politique, dit aussi (dans ses Lettres sur la révolution francaise, p. 217): « Une révolution silencieuse dans le monde « moral devança la révolution politique, et la prépara. Il n'était plus question des grands et de la populace. Les classes mitoyennes s'étaient accrues bien au-delà de leur ancienne pro⚫ portion. Comme tout ce qui est effectivement riche est grand ⚫ dans la société, ces classes devinrent le siége de la politique ⚫ active et le poids prépondérant pour en décider. Là se trouvaient toute l'énergie qui fit acquérir la fortune, et tous les succès qui en proviennent; là se faisaient remarquer tous ⚫ les talents, avec l'impatience de se mettre à la place que la ⚫ société leur assigne. Ces hommes nouveaux s'interposaient ⚫ entre les nobles et la classe inférieure, et agissaient presque « seuls sur elle. Ils sentaient l'importance de leur position ». Peut-on, d'après cela, attribuer la révolution à telle ou telle circonstance, à un homme quelconque?

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Non, une révolution générale ne s'improvise point; elle n'éclate même qu'après une très-longue attente, beaucoup d'hésitations, de nombreuses tentatives partielles. La cloche qui sonna les Vêpres-Siciliennes était-elle autre chose que signal de ce massacre que depuis très-long-temps préparait la vengeance d'un peuple outrage? Les efforts du tiers-état se reproduisaient à chaque conjoncture; il avait aperçu ses droits, il voulait en jouir : ce n'est ici ni l'emportement du fanatisme religieux, ni l'effet d'une conjuration politique, ni une fougueuse et passagère émeute de prolétaires ; c'est l'élan de toute une nation qui se soulève par le malaise qui la tourmente. Le gouvernement apprécie la gravité des circonstances, la nécessité des concessions; mais ses plans sont incertains son langage est positif, et sa marche vacillante : à chaque pas, il est retenu par des intrigues de cour, par les entraves des an

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