Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

fixe partout la valeur des services rendus et en détermine le taux. Tout est soumis aussi à l'influence des monopoles, qui s'attachent aux choses comme aux hommes, et produisent partout les mêmes effets. Il n'y a guère de différence en cela que par rapport aux applications, qui offrent encore, il est vrai, un champ d'études assez vaste, mais dans lesquelles nous ne devons pas entrer en ce moment. Mais s'il n'y a pas, quant aux instruments du travail, de loi particulière à établir ici, il y a tout au moins quelques observations à présenter.

jette pour ainsi dire ces instruments dans le courant des échanges, qui les fait travailler avec l'homme, à son profit et à des conditions à peu de chose près pareilles, qui les soumet enfin à tout le vaste ensemble des lois économiques.

Ce principe ou ce fait devait donc trouver ici sa place. Mais après l'avoir rappelé, nous croyons avoir épuisé la série des phénomènes primordiaus, des phénomènes régulateurs du monde industriel. Il ne nous reste donc plus qu'à diviser l'industrie en ses diverses branches, afin qu'on puisse suivre plus commodément dans leurs applications les règles générales qui la dominent.

"

L'in

VIII. CLASSIFICATION DES INDUSTRIES. dustrie est une, en ce sens que toutes ses parties se tiennent, et qu'il ne serait guère possible d'en supprimer une seule sans laisser apercevoir dans l'ensemble une grave lacune. Rien n'empêche ce pendant de la diviser en plusieurs branches, pour la commodité et la facilité des études dont elle devient l'objet, et il n'y a aucun inconvénient à le faire, pourvu qu'on ne perde jamais de vue la liaison nécessaire de toutes ces branches entre elles. « Il n'y a qu'une seule industrie, dit J.-B. Say1, si l'on considère son but et ses résultats généraux : et il y en a mille, si l'on considère la variété de leurs procédés et des matières sur les quelles elles agissent. En d'autres termes, il n'y a qu'une seule industrie et une multitude d'arts différents. » Quoique J.-B. Say prenne ici le mot industrie dans un sens plus restreint que celui que nous lui avons donné, en ne l'appliquant qu'à ce genre de travail qui agit sur la matière, son observation est juste. Elle a même une portée plus haute que celle qu'il lui donne, et nous pouvons l'appliquer à l'industrie universelle avec la même autorité.

Et d'abord, pour ce qui concerne les instruments en général, il n'est pas sans intérêt de voir quelle sorte d'assistance ils prêtent à l'homme, combien ils sont nécessaires au déploiement de ses facultés productives, et comment leur multiplica- | tion croissante élève chaque jour le niveau de l'humanité. Pour ce qui concerne en particulier les capitaux, fruits accumulés du travail de l'homme, il importe de voir comment ils se forment et s'accumulent par l'épargne; dans quelles conditions cette accumulation est la plus prompte et quelles sont les circonstances qui la favorisent le mieux. Sujet important en lui-même, et auquel s'en rattachent plusieurs autres qui ne sont pas non plus sans gravité. Il y a moins à dire, à ce qu'il semble, sur les agents naturels appropriés. Comme ils sont donnés par la nature, ils ne se multiplient point par l'épargne, quoique l'épargne y ajoute presque toujours quelque chose au moyen des capitaux qu'elle y attache. Ils sont purement et simplement des conquêtes faites par l'homme sur la nature; conquêtes qui vont heureusement en s'étendant de jour en jour. Il y a pourtant une observation importante à faire sur ce sujet c'est que les instruments naturels appropriés sont plus sujets que les capitaux aux mono- Cependant, ajoute le même auteur, on a poles, et à des monopoles souvent compliqués, trouvé commode, pour étudier l'action indusdont les effets ne sont pas toujours faciles à dé-trielle, de classer ses opérations, de réunir, en mêler. Quant aux agents non appropriés, quelque précieux qu'en soit le concours, nous pourrions les omettre entièrement, puisque leurs services étant toujours gratuits, ils n'entrent pas dans le courant des échanges, et qu'ils échappent ainsi à tous les effets de la loi économique.

|

[ocr errors]

un même groupe, toutes celles qui ont quelque analogie entre elles. C'est ainsi qu'on a dit que l'industrie qui extrait les produits des mains de la nature, soit qu'elle ait provoqué leur production, soit que cette production ait été spontanée, se nommerait industrie agricole ou agriculture;

« Que l'industrie qui prend les produits entre les mains de leur premier producteur, et qui leur fait subir une transformation quelconque, par des procédés chimiques ou mécaniques, se nommerait industrie manufacturière;

« Enfin, que l'industrie qui prend les produits dans un lieu pour les transporter dans un autre où ils se trouvent plus à portée du consommateur, se nommerait industrie commerciale ou simplement commerce. »

Dans tout ce que nous venons de dire, au surplus, quoi qu'on puisse entrevoir encore là une vaste série d'intéressantes études, on n'y voit apparaître aucun principe nouveau; du moins aucun de ces principes primordiaux, de ces principes générateurs, pour ainsi dire, semblables à ceux que nous avons relevés précédemment et dans l'exposé desquels nous avons voulu nous renfermer. En effet, puisque les instruments du travail, ceux-là du moins qui sont appropriés, suivent pour ainsi dire le sort de l'espèce humaine, et sont sou- Cette classification est, en effet, celle qui est la mis, sauf quelques différences et quelques restric-plus généralement suivie. Elle a passé du langage tions, aux mêmes lois générales, quel principe pourrait-on invoquer en ce qui les concerne qui ne fût pas une simple dérivation de ces mêmes lois? Il y en a un pourtant, un seul, qui doit être placé au rang de ceux qui dominent l'ensemble des faits économiques. C'est précisément ce grand principe de l'appropriation, en vertu duquel les instruments du travail s'attachent à l'homme. Principe générateur, en effet, puisque c'est lui qui

vulgaire dans les livres, et rien n'empêche de l'adopter, puisqu'après tout, comme le dit fort bien l'auteur que nous venons de citer, toute classification est arbitraire, n'ayant d'autre objet que de diriger les études ou de simplifier les opérations de l'esprit.

Il est pourtant nécessaire de faire remarquer

1 Cours, Ire partie, ch. VII.

de sa nomenclature, se rendre d'un abord facile pour tout le monde. Cette classification de M. Dunoyer est-elle elle-même complète? Est-elle satisfaisante, scientifiquement parlant, en ce sens qu'elle comprenne sans distinction, en les rangeant dans leur ordre véritable, tous les genres de travaux? C'est ce que nous n'avons point à examiner ici. Nous dirons seulement que, satisfaisante ou non, elle peut être considérée tout au moins comme une élaboration nouvelle, sur un sujet qui laisse encore à désirer; élaboration rationnelle, judicieuse et toujours fort utile à consulter.

combien cette classification est à quelques égards | s'il est permis de le dire, par la vulgarité même insuffisante et incomplète. Elle comprend d'abord sous une même dénomination, celle d'industrie agricole, plusieurs sortes de travaux, qui ont sans doute de l'analogie entre eux comme tous les travaux humains, mais qui diffèrent assurément à bien des titres par exemple, le travail aventureux du pêcheur qui court les mers à la recherche des baleines, et le travail sédentaire du laboureur qui cultive paisiblement son champ. Le pêcheur qui poursuit la baleine dans les mers du Sud, serait assurément fort étonné d'apprendre qu'il exerce une industrie pareille à celle du maraicher qui alimente de fruits ou de légumes le marché de Paris.

D'autre part, combien d'industries restent en dehors de cette classification, en lui donnant même toute l'extension possible? Nous n'y voyons aucune place, par exemple, pour les travaux des savants, des médecins, des avocats, des artistes, des professeurs, des fonctionnaires publics, de tous les hommes enfin qui sont voués aux professions dites libérales; car enfin tous ces hommes, qui exercent pourtant chacun une industrie, et une industrie souvent fort active, ne sauraient être considérés ni comme commerçants, ni comme manufacturiers, ni comme agriculteurs.

Frappé de ces considérations, et de quelques autres encore qu'il a su développer avec beaucoup de force, M. Ch. Dunoyer, dans son excellent ouvrage sur la Liberté du travail, a essayé d'établir une classification nouvelle, plus scientifique et plus complète. Il divise d'abord toutes les industries en deux catégories ou en deux ordres; en comprenant dans la première catégorie celles qui agissent sur les choses, et, dans la seconde, celles qui agissent sur les hommes.

Les industries qui agissent sur les choses sont : 1o L'industrie extractive, c'est-à-dire celle qui arrache à la nature les produits spontanés, et dans laquelle il faut comprendre, la pêche, la chasse et l'exploitation des mines;

2o L'industrie voiturière, c'est-à-dire celle qui se charge des transports, soit par terre, soit par eau;

3o L'industrie manufacturière; 4° Et enfin l'industrie agricole.

Ces deux dernières, l'auteur les définit à peu près comme on les définit partout.

Dans la catégorie des industries ou des arts qui s'exercent sur les hommes, M. Ch. Dunoyer comprend :

1o Ceux qui s'occupent du perfectionnement de notre nature physique;

2o Ceux qui ont spécialement pour objet la culture de notre imagination et de nos sentiments; 3o Ceux qui se chargent de l'éducation de notre intelligence;

Malgré le mérite relatif de cette classification, nous sommes forcé, par la considération décisive que nous venons d'émettre, d'en revenir à l'autre; mais ce ne peut être qu'en la complé

tant.

Nous adoptons donc la distinction établie entre les industries agricole, manufacturière et commerciale; mais en faisant remarquer que cette classification, qui ne s'applique qu'aux grandes divisions de l'industrie, ne comprend pas tout. Nous ne saurions nous résoudre, d'abord, à confondre avec l'agriculture, sous une dénomination commune, la pêche, l'exploitation des mines, ni même la chasse, que nous considérons plutôt comme des industries spéciales, fort importantes d'ailleurs, auxquelles nous consacrons en conséquence un travail à part sous chacun des mots qui les concernent. Il nous parait nécessaire, en outre, de faire une autre réserve en faveur des industries qui s'attachent aux professions dites libérales, et que nous avons précédemment énumérées. C'est pourquoi, dans la nomenclature qui suit, aux mots industrie agricole et industrie manufacturière, nous ajoutons celui d'industries diverses, d'où nous renverrons aux articles spéciaux dans lesquels ces mêmes industries seront envisagées. CH. COQUELIN.

INDUSTRIE AGRICOLE. Voy. AGRICULTURE. INDUSTRIE COMMERCIALE, Voy. COMMERCE. INDUSTRIE MANUFACTURIÈRE.—I. Après la chasse, qui seule pourvoit aux besoins de l'homme dans l'état sauvage, l'industrie agricole, qui comprend l'élève des troupeaux aussi bien que la culture du sol, est la première à laquelle les hommes se livrent; c'est l'industrie primordiale, l'industrie mère, qui demeure longtemps l'industrie unique des peuples naissants. L'industrie manufacturière ne vient qu'ensuite, avec les arts qui en sont le complément et le cortége. Comme elle a particulièrement pour objet de façonner, pour les mieux approprier à nos besoins, les matières brutes que l'agriculture lui livre, elle la suit naturellement dans l'ordre des dates, comme elle la suit dans l'ordre logique des faits; aussi cette industrie ne vient-elle généralement à naitre qu'après les pre

4o Ceux enfin qui travaillent au perfectionne- miers progrès de la civilisation, et lorsque la poment de nos habitudes morales.

Cette classification, plus régulière que l'autre, plus satisfaisante peut-être, et, à coup sûr, plus complète, a pourtant le terrible inconvénient de n'être pas usuelle, de ne pas présenter, dans l'énoncé seul des mots, un sens assez facile à saisir. Inconvénient grave surtout pour une publication telle que la nôtre, qui doit, par la simplicité, et,

pulation, déjà suffisamment nombreuse, commence à surabonder dans les travaux des champs.

Ce n'est pas qu'on ne trouve les premiers rudiments de la manufacture même dans l'enfance des sociétés, et jusque chez les tribus sauvages uniquement livrées à la chasse. Dans aucun état de la civilisation, elle n'est entièrement inconnue; le sauvage façonne le bois et quelques autres matiè

res pour s'en faire un arc et des flèches; il faconne tant bien que mal la peau des bétes qu'il a tuées, pour s'en faire un vetement; il broie et triture diverses matières colorantes pour se peindre le visage et le corps; il se fait un ornement ou un signe distinctif des plumes de certains oiseaux; et ce sont là autant d'essais d'industrie manufacturière, d'une industrie encore très grossière, il est vrai, mais qui a déjà les caractères distinctifs qu'elle doit conserver plus tard. En passant de ce premier état, où la chasse est leur occupation unique, à l'élève des troupeaux et à la culture des terres, les hommes vont plus loin: ils emploient pour leurs vetements la laine de leurs troupeaux, qu'ils apprennent à filer, à tisser et à teindre; ils y emploient même quelquefois les tiges de certaines plantes, telles que le lin et le chanvre, dont ils font également des tissus. C'est déjà, à ce qu'il semble, le fruit d'une industrie constituée. Mais dans cet état de la société, ces sortes de travaux ne sont pas séparés des travaux agricoles, dont ils ne forment pour ainsi dire que l'accessoire; ils s'exécutent au sein des exploitations rurales, par les mains de ceux mêmes qui cultivent la terre, et dans les intervalles de repos que leur laissent les travaux des champs; c'est moins alors une branche d'industrie distincte qu'un appendice de cette industrie primitive qui a pour objet la culture du sol.

Pour que les travaux manufacturiers se détachent des travaux agricoles auxquels ils sont d'abord étroitement liés, et qu'ils constituent une industrie à part, il faut qu'ils aient acquis une certaine importance et accompli quelque progrès. Il est nécessaire pour cela que le cultivateur, devenu un peu plus riche et par conséquent plus exigeant, ne se contente plus des vêtements grossiers qu'il peut façonner lui-même à ses moments perdus, ni des instruments élémentaires dont il se servait d'abord, et qu'il aime mieux demander les uns et les autres à des hommes spéciaux qui en fassent leur occupation unique. Il est nécessaire, en outre, que le nombre des exploitants du sol répandu dans le pays, et qui font usage des produits manufacturiers, soit assez considérable pour fournir à ces hommes spéciaux un travail constant pour toute l'année. Cela suppose donc une population déjà plus nombreuse, des besoins plus étendus, une civilisation plus avancée. Un tel progrès ne s'accomplit pas en un jour; il ne se fait pas non plus d'une manière toujours régulière, ni exactement la même partout; mais c'est nécessairement le premier pas vers la formation de l'industrie manufacturière proprement dite.

Quand les arts manufacturiers se séparent des travaux agricoles, il est dans la nature des choses qu'ils se réunissent et qu'ils se groupent. Les hommes qui s'y livrent n'étant pas forcés, comme les cultivateurs, de se disséminer dans les campa- | gnes pour rester à portée des terrains qu'ils exploitent, peuvent transporter leurs ateliers à peu près où ils le veulent; et comme ils ont assez fréquemment besoin les uns des autres, il est naturel qu'ils se rapprochent, qu'ils se réunissent, qu'ils se groupent sur certains points donnés. De là les agglomérations de maisons, qui constituent d'abord des villages, puis des bourgs et plus tard des

villes. C'est dans les villes, en effet, que les ar's manufacturiers se concentrent. On trouve ben encore, mème de nos jours, et dans les pays les plus avancés, quelques grands ateliers répandus çà et là dans les campagnes, lorsqu'ils y trouvert des avantages particuliers, soit à cause de la force motrice qu'ils empruntent à des cours d'eau, sot pour toute autre cause, mais il n'en est pas moins dans la nature des choses qu'ils se rassemblent dans les villes. C'est là que les arts manufactu riers se développent le mieux, par le concours qu'ils se prétent les uns aux autres et par le degagement des lumières communes; aussi volt-on qu'ils tendent constamment à s'y renfermer ou à s'en rapprocher. Telle est, du moins, la règle gé nérale; le contraire n'est, en tout pays, que l'exception.

Si la séparation des travaux manufacturiers d'avec les travaux agricoles marque les premiers pas de la civilisation, il s'en faut bien qu'elle soit dès l'abord entière. Loin de s'accomplir tout d'un coup, à un moment donné, elle s'opère lentement, graduellement, d'une façon progressive et souvent presque inaperçue. C'est, pour ainsi dire, l'œuvre des siècles. Aussi n'y a-t-il encore aucun pays au monde, même dans l'Europe actuelle, où elle soit entièrement consommée.

Réduite à sa plus simple expression, l'agriculture consiste à cultiver la terre pour en faire sortir, à l'état brut, les divers produits qu'elle est suscep tible de donner. A la rigueur, le travail propre au cultivateur s'arrête là. Toutes les façons ultérieures qu'il donne à ces produits, toutes les preparations auxquelles il les soumet, peuvent être considérées comme appartenant ou comme suscep tibles d'appartenir un jour à quelqu'une des branches des arts manufacturiers; or il s'en faut bien qu'en aucun pays l'agriculture soit encore amenée à cette simplicité finale; partout, au contraire, elle retient par-devers elle quelques-unes des façons ou préparations qui suivent la culture proprement dite et la récolte; il y a seulement en cela du plus ou du moins selon le degré d'avancement de chaque pays.

De ces préparations il y en a plusieurs, il est vrai, qui semblent devoir appartenir éternellemer t à l'exploitation rurale, parce qu'elles ne peuvent guère s'exécuter convenablement que sur les lieux; telle est celle qui consiste à battre les serbes će blé pour en faire sortir les grains. Mais il y en a d'autres qui peuvent fort bien s'en détacher, et qui s'en détacheront probablement un jour; telles sont, par exemple, celles qui ont pour objet le rouissage et le teillage du lin et du chanvre; à plus forte raison, celles qui tendent à convertir ces memes matières en fils.

Dans quelques pays de l'Europe, la plus grande partie du filage et du tissage du lin et du chanvre s'exécute encore à la campagne, dans les fermes, et continue ainsi à former une sorte d'appendice de la culture. Il n'y a pas longtemps qu'il en était ainsi dans toute la France, et aujourd'hui meme cela se voit encore plus ou moins dans un grand nombre de nos provinces. Cependant ces deux ope rations tendent de plus en plus, surtout depuis l'invention des machines, à quitter les campagnes, à abandonner les fermes pour venir se concentre

égard beaucoup moins avancée, parce que la population y est disséminée sur de très grands espaces. Là le cultivateur, souvent fort éloigné des villes, surtout dans les contrées de l'ouest qui sont les moins peuplées, retient sur son exploitation la plus grande partie des arts manufacturiers qui pourvoient aux besoins les plus ordinaires de la vie; il est presque en même temps cultivateur et fabricant, quoiqu'il ne fabrique que pour la consommation des siens. C'est le contraire en Angleterre, où le cultivateur est exclusivement culti

dans les ateliers industriels. En Angleterre surtout (nous parlons de l'Angleterre proprement dite, en exceptant l'Irlande), cette séparation est presque entièrement consonimée. Mais il n'en est pas de méme pour le rouissage et le teillage, qui continuent d'appartenir presque partout à l'industrie rurale. Il est facile de prévoir cependant qu'ils s'en détacheront un jour. Déjà dans quelques parties de la Belgique, là où la culture du lin est arrivée à son plus haut degré de perfection, il n'est pas rare de voir un cultivateur vendre sa récolte de lin sur pied, ou après l'arrachage, à des in-vateur; dans ce pays l'agriculture est réduite, ou dustriels qui se font du rouissage et du teillage une spécialité. Il est vrai que ces industriels opèrent encore, pour la plupart, dans les champs, parce que les conditions actuelles du rouissage l'exigent; mais supposez qu'on vienne à résoudre une bonne fois le problème, tant de fois étudié et dont la solution est d'ailleurs si désirable, d'effectuer le rouissage par des moyens chimiques, il est à croire que cette opération, aussi bien que le teillage qui la suit, se détacherait promptement de l'industrie rurale, pour venir accroitre, après tant d'autres, le domaine de l'industrie urbaine.

II. C'est ainsi que, dans la succession des temps, à mesure que le progrès s'opère, l'industrie manufacturière grandit et s'étend, en détachant chaque jour quelqu'un des rameaux de cette industrie mère d'où elle est sortie. L'agriculture, qui se compliquait à son origine d'un grand nombre d'opérations étrangères à sa nature propre, se dégage peu à peu de ces fonctions parasites; elle les abandonne aux ateliers des villes, dont elles sont l'apanage, pour se renfermer de plus en plus dans ses fonctions spéciales, l'amendement et la culture du sol.

Quant aux causes qui favorisent ce mouvement, ce sont les mêmes que celles qui le déterminent à son début : c'est le progrès des arts, l'accroissement de la richesse, et, par dessus tout, l'accroissement de la population. Dans un état de civilisation un peu avancé, pour que la séparation devienne chaque jour plus nette entre les arts manufacturiers et l'industrie agricole, il faut avant tout que les échanges soient faciles entre la campagne et la ville, de manière que le cultivateur puisse toujours, sans trop de peine, porter à la ville les produits bruts que son industrie lui donne, et en retirer les produits ouvrés qu'il consomme. Si le nombre des voies de communication contribue, ce qui n'est pas douteux, à cette facilité des échanges, elle exige pourtant aussi, on le conçoit, une population dense, qui multiplie les bourgs et les villes, de manière que celles-ci ne soient jamais trop distantes d'aucune partie du pays.

De tous les pays de l'Europe, et probablement du monde entier, l'Angleterre (nous parlons toujours de l'Angleterre proprement dite) est celui où la séparation des arts manufacturiers d'avec l'industrie agricole a fait le plus de progrès; elle doit cet avantage à sa richesse, à ses lumières, au nombre et à la perfection de ses routes et canaux, mais surtout à la densité de sa population. Avec une somme de richesses comparativement presque égale, avec autant de lumières dans les masses et un développement de routes et de canaux très considérable aussi, l'Amérique du Nord est à cet

[ocr errors]

peu s'en faut, à son expression la plus simple, et c'est ce qui explique un phénomène intéressant dont on s'est souvent préoccupé, sans le rapporter, que nous sachions, à sa véritable cause; savoir l'infériorité numérique de la population agricole de l'Angleterre, comparativement à celle de tous les autres pays. L'agriculture anglaise, dit-on, produit énormément, et beaucoup plus, toute proportion gardée, que celle d'aucun autre pays, notamment de la France, et cependant elle occupe moins d'hommes ; ce qui est vrai : d'où l'on conclut qu'elle a acquis une immense supériorité dans les procédés d'exploitation. La supériorité de l'agriculture anglaise est réelle sans doute, mais non pas telle qu'il semble résulter de ces rapprochements. Ce qui fait surtout qu'elle emploie moins d'hommes pour arriver néanmoins à une production plus forte, c'est qu'elle est plus simple, c'est-à-dire plus dégagée d'éléments étrangers; c'est que les hommes qu'elle occupe, elle les emploie uniquement à l'accomplissement de ses fonctions spéciales, l'amendement et la culture du sol, tandis qu'ailleurs les forces de ces mêmes hommes se partagent encore entre un grand nombre de travaux divers.

On se demande quelquefois si cette émigration dans les villes des arts manufacturiers qui formaient d'abord l'accessoire des travaux des champs, est en elle-même un bien ou un mal. A considérer la question d'une manière générale, il ne peut y avoir sur ce sujet ni hésitation ni doute. La séparation des travaux manufacturiers d'avec les travaux agricoles est le commencement et comme le point de départ de cette division du travail qui fait la richesse des nations policées, et qui a porté si haut la puissance de l'homme : c'est la première condition du progrès; on pourrait dire que c'est le progrès même. Demander s'il est bon que cette séparation s'opère, c'est demander en d'autres termes si la civilisation vaut mieux que la barbarie. Mais pour qu'elle soit réellement favorable, il faut qu'elle se produise dans ses conditions normales, c'est-à-dire lentement, progressivement, et sous l'influence des causes naturelles qui la déterminent partout autrement, elle pourrait devenir en effet l'occasion de cruelles souffrances et de déchirements funestes. Et c'est sans doute parce qu'on l'a vue quelquefois, de nos jours, se déclarer brusquement, violemment, sous l'influence d'excitations artificielles ou de lois restrictives, qu'on s'est pris à se demander si elle n'était point un mal.

III. A mesure que l'industrie agricole se dégage des éléments étrangers qui la compliquaient, elle acquiert plus d'énergie, plus de puissance. Le culti

vatcur, dont l'attention se partageait d'abord entre
un grand nombre de travaux divers, la tourne
alors tout entière vers les travaux qui lui sont
propres. Il se donne sans partage à l'exploitation
du sol. Il y consacre aussi sans division tous les
capitaux dont il peut disposer. Aussi la terre,
mieux et plus activement sollicitée, rend-elle
alors bien davantage sur un espace donné, quoi-
qu'on puisse y employer en somme un moins
grand nombre de bras.

tances données certains ateliers industriels ne puis
sent pas se répandre çà et là dans les campagnes,
pour profiter de quelques avantages particuliers
qui s'y rencontrent, comme, par exemple, une
chute d'eau, un puits houiller, une mine, une
minière, etc., sans renoncer pour cela au bénéfice
du progrès. A proprement parler, quand des ate-
liers de cette sorte sont vraiment spéciaux, c'est-à-
dire exclusivement consacrés à une fabrication
unique, fussent-ils éparpillés dans les campagnes,
ils appartiennent à l'industrie urbaine bien plus
qu'à l'industrie rurale. Ils participent done,
comme tous les autres, au mouvement général.
Cependant il est nécessaire, même dans ce cas,
qu'ils se tiennent constamment en relations avec
les villes, afin de profiter de toutes les lumières
qui en jaillissent.

Mais c'est surtout l'industrie manufacturière
qui gagne à cette séparation. Tant qu'elle est dis-
séminée pour ainsi dire dans les exploitations ru-
rales, elle est nécessairement imparfaite, gros-
sière, et de plus, incapable de tout progrès suivi.
Comment se pourrait-il, en effet, que ces hommes
des champs, dont la culture est le premier souci,
qui ne deviennent fabricants qu'à leurs moments
perdus, façonnant, pour une consommation bor-
née, tantôt un objet, tantôt un autre, pussent
donner à chacun des genres qu'ils abordent l'at-
tention et le temps nécessaires pour le perfection-
ner? Y devinssent-ils habiles, ce qui n'est guère
possible, ils seraient encore arrêtés dans la voie
des perfectionnements par cela seuls qu'ils ne
pourraient consacrer à chacune de ces fabrica-
tions morcelées qu'un matériel insuffisant. Aussi,
dans ces conditions, les arts manufacturiers de-
meurent-ils forcément stationnaires. C'est seule-
ment lorsque, se dégageant des étreintes de l'in-vité et de lumière au foyer commun. Entre ces
dustrie agricole, ils viennent à se réfugier au sein
des villes qu'ils commencent leur mouvement as-
censionnel et progressif.

A peine sont-ils concentrés dans ces villes qu'ils
y prennent une allure nouvelle. Les hommes qui
les exercent étant désormais en mesure de se voir
tous les jours, entrent dès l'abord en communica-
tion d'idées, et chacun d'eux profite du dégage-
ment des lumières communes. Entre ces arts ainsi
rapprochés et concentrés, il ne tarde pas d'ail-
leurs à s'établir des classifications. Le travail se
divise. Chacun y choisit une spécialité à laquelle
il s'attache. Il y devient ainsi plus exercé, plus
habile, en ce qui touche à l'exécution du travail
courant, et surtout plus apte à perfectionner ce
travail par l'application de procédés nouveaux.
Par la même raison, il n'est plus obligé de dissé-
miner ses capitaux; il les applique tout entiers à
cet objet unique, d'autant mieux qu'il s'adresse
désormais à un grand nombre de consommateurs,
et il consacre en conséquence à sa fabrication spé-
ciale un matériel plus étendu et plus complet.
Ces avantages ne sont pas les seuls dont les arts
manufacturiers entrent en possession en se réfu-
giant au sein des villes. Il faudrait y ajouter le dé-
veloppement du crédit, naturellement plus étendu
là où les populations sont plus agglomérées, la
facilité relative de la circulation des produits et
surtout des instruments du travail, le concours
que ces arts se prétent mutuellement et qui de-
vient pour eux, dans certains genres surtout, un
besoin de tous les jours; mais nous en avons dit
assez pour faire comprendre que leur concentra-
tion dans les villes est pour eux le principe mème
du progrès.

Tout cela ne vent pas dire, et nous en avons
déja fait la remarque, que dans quelques circons

[ocr errors]

Plus l'industrie manufacturière, considérée dans
toutes ses branches, s'est dégagée des étreintes de
l'industrie agricole, plus elle devient active et
puissante. Ces foyers lumineux qu'elle crée au
sein des villes sont d'autant plus ardents qu'ils se
composent d'un plus grand nombre de rayons.
A mesure qu'une fabrication particulière se dé-
tache des exploitations rurales, pour venir se réu-
nir aux groupes déjà formés dans les villes, non-
seulement elle emprunte à son contact avec les
autres une nouvelle force, mais encore elle ap-
porte pour sa part un nouveau contingent d'acti-

industries ainsi réunies et condensées une sorte
de fermentation s'opère. Elles vont se classant, se
divisant, se spécialisant chaque jour davantage,
non pas seulement en raison du nombre absolu
des opérations diverses qu'elles embrassent, mais
dans une proportion même beaucoup plus forte.
Toutes ensemble, grâce à leur subdivision crois-
sante et au concours mutuel qu'elles se prêtent,
elles arrivent peu à peu à un degré de puissance
incomparable.

IV. Le pays manufacturier par excellence est
donc naturellement celui dans lequel la séparation
des arts manufacturiers d'avec l'industrie agricole
est la plus complète. C'est là que le système indus-
triel se développe avec le plus d'ampleur et qu'il
se montre doué au plus haut degré possible de la
faculté du progrès. Et comme, d'autre part, de
toutes les causes qui favorisent ce mouvement de
séparation, la densité de la population est sans
contredit la plus puissante, il semble qu'on puisse
conclure à priori que, toutes choses égales d'ail-
leurs, le sceptre de l'industrie manufacturière ap-
partienne de droit au pays le plus peuplé.

Cette conclusion, déduite des seules données
théoriques, n'est pas, d'ailleurs, démentie par
l'expérience; au contraire, les faits viennent gé-
néralement la confirmer. De tous les pays de
l'Europe, l'Angleterre est assurément le plus
manufacturier, et c'est aussi, eu égard à l'éten-
due de son territoire, le plus peuplé. Quant aux
pays du continent européen, on peut dire qu'ils
sont en général plus ou moins manufacturiers se-
lon qu'ils renferment sur un espace donné une po-
pulation plus ou moins forte. D'un autre côte,
l'Amérique du Nord, rivale de l'Angleterre à tant
de titres, qui l'égale presque en richesse, et la sua-
¦ passe à quelques égards en prospérité et en Lien-

« ZurückWeiter »