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l'espèce humaine, et ce n'est pas la moins digne d'intérêt.

Cette distinction est importante à cause des graves conséquences qu'elle entraine. Aussi a-telle été établie avec soin par tous les économistes.

En considérant les choses de ce point de vue, on est tenté de croire, au premier abord, que l'appropriation des agents naturels soit toujours un mal. Mais la réflexion ne tarde pas à corriger cette première impression. S'il est vrai que l'homine qui s'est rendu maître, à l'exclusion de ses semblables, d'une force productive donnée par la nature, en fait ordinairement payer l'usage, il faut remarquer aussi qu'il est poussé par son intérét même à en augmenter la puissance, quand il peut le faire par son travail et par ses soins. II est quelques agents naturels qui travaillent spontanément pour l'homme; mais le plus grand nombre veulent y être contraints par divers moyens que la science suggère, et qui sont quelquefois fort dispendieux. Quel homme s'imposera ces dépenses, s'il n'est assuré d'en recueillir le fruit? L'appropriation de ces agents est donc souvent nécessaire, puisque sans cela nous n'obtiendrons pas les services qu'ils peuvent rendre, et, dans ce cas, elle est certainement avantageuse à tous.

Ce genre de progrès se manifeste, d'ailleurs, dans toutes les directions à la fois. On découvre à chaque instant de nouvelles mines, de nouvelles Le service des agents naturels non appropriés carrières. D'un autre côté, le domaine de la terre est toujours gratuit, en ce sens, du moins, que cultivable s'étend, soit par le défrichement des chacun est libre d'en faire usage, sans payer auterres désertes, soit par le desséchement des ma- cune redevance à personne, et à charge seulerais ou la conversion des landes et bruyères en ment de s'imposer, s'il y a lieu, les soins et la terres arables. Pendant ce temps, de nouvelles dépense nécessaires pour en tirer parti. Au conmers se révèlent aux yeux des navigateurs; on traire, le service des agents naturels appropriés en explore plus exactement la surface et on en est ordinairement grevé de certaines redevances sonde de mieux en mieux les abimes. Les lacs au profit de ceux qui s'en sont rendus les maiaussi laissent percer les mystères de leurs eaux et tres. On comprend, en effet, que celui qui est mettent à nu peu à peu toutes les richesses qu'ils | parvenu à s'assurer la possession exclusive d'une recelent. Les fleuves et les rivières se redressent; force productive quelconque, ne veuille pas en ils se resserrent dans leurs lits, et se débarras- céder la jouissance à d'autres sans faire quelque sant, grâce aux travaux des ingénieurs, des ob- réserve à son profit. S'il la préte ou s'il la loue, stacles qui en génaient le cours, ils deviennent il s'en fera payer le loyer; s'il l'exploite luides moyens de navigation chaque jour plus par-même pour vendre les produits qu'il en tire, il se faits. La force de la gravitation dont, à l'origine, fera payer ces produits un peu au-delà des frais l'industrie humaine savait si peu se servir, et qui ordinaires de production. lui était méme, dans la plupart des cas, un obstacle, est devenue aujourd'hui, grâce aux découvertes de la science, un de nos plus puissants auxiliaires. Enfin les puissances les plus mystérieuses de la nature, aussi bien que les propriétés les plus intimes des corps, autrefois rebelles à l'homme, a tel point qu'elles le troublaient même fréquemment dans ses travaux, maintenant domptées et assouplies, ont été mises à contribution tour à tour, et sont devenues des moyens d'action entre nos mains. C'est une des principales causes de la fécondité relative de l'industrie moderne, comparée à l'industrie des anciens temps. « Analysez tous les progrès de l'industrie, dit J.-B. Say; vous trouverez qu'ils se réduisent tous à avoir tiré un meilleur parti des forces et des choses que la nature met à la disposition de l'homme. » (Cours d'Economie politique, tome Jer, p. 126.) Parmi les agents naturels de l'industrie, les uns sont susceptibles d'appropriation (Voir ce mot), les autres ne le sont pas. Et cela est vrai, non-seulement de ceux qui constituent le fonds meme sur lequel l'industrie s'exerce, mais encore de ceux qui n'agissent que comme simples auxiliaires. Ainsi la terre cultivable, les mines et les carrières sont susceptibles d'être appropriés, et le sont, en effet, presque toujours. Mais la mer, qui est productive comme la terre, quoiqu'elle ne le soit pas au mème degré, puisqu'elle produit du poisson, du corail, des perles, du sel marin, etc., la mer, disons-nous, n'est guère susceptible d'étre appropriée, si ce n'est peut-être dans quelquesanes de ses baies intérieures, ou sur quelques parties fort resserrées du littoral. Une chute d'eau, considérée comme force motrice d'une usine, est tres susceptible d'appropriation, et nous voyons, en effet, que la plupart des chutes d'eau sont devennes des propriétés particulières dans les pays civilisés. Mais le vent, qui remplit à peu près le theme office, soit pour les moulins à vent, soit pour les vaisseaux qui naviguent sur les mers, le vent n'est pas susceptible d'appropriation, et il n'y a, en effet, que des cas bien rares et bien exceptionnels où l'on puisse dire qu'il soit dans une certaine mesure approprié.

Écoutons encore sur ce sujet J.-B. Say:

« Si les instruments fournis par la nature étaient tous devenus des propriétés, l'usage n'en serait pas gratuit. Celu' qui serait maitre des vents nous louerait à prix d'argent leur service. les transports maritimes deviendraient plus dispendieux, et par conséquent les produits plus chers.

« Et, d'un autre côté, si les instruments naturels susceptibles de devenir des propriétés, comme les fonds de terre, n'étaient pas devenus tels, personne ne se hasarderait à les faire valoir, de peur de ne pas jouir du fruit de ses labeurs. Nous n'aurions à aucun prix les produits auxquels les fonds de terre concourent; ce qui équivaudrait à une cherté excessive Ainsi, quoique le produit d'un champ soit renchéri par le loyer du champ qu'il faut payer au propriétaire, ce produit est cependant moins cher que si le champ n'était pas une propriété1.

Ces paroles résument assez bien les deux faces de la question.

Cours d'Économie politique, t. 1o, p. 408.

Il faut dire, cependant, qu'il se rattache à ce sujet quelques questions d'un autre ordre, qu'il nous suffira d'indiquer ici, parce qu'elles seront traitées ailleurs.

L'appropriation des agents naturels, utile ou non, peut-elle se justifier en droit? Est-elle légitime dans sa source, et abstraction faite des avantages plus ou moins bien constatés qui en découlent? (V. PROPRIÉTÉ FONCIÈRE.)

Jusqu'où cette appropriation peut-elle s'étendre? Elle s'applique de longue date aux terres cultivables, aux mines, aux carrières, aux cours d'eau et à un grand nombre d'autres agents naturels tangibles. Peut-elle s'appliquer aussi légitimement, ou avec le même avantage, à ces agents naturels intangibles, dont chaque jour l'industrie conquiert les services à l'aide des nouveaux procédés qu'elle invente? (V BREVETS D'INVENTION.)

Il est enfin une dernière question, soulevée récemment par quelques économistes distingués, et qui mérite de trouver ici une solution. C'est celle de savoir s'il est bien vrai qu'on paye les services des agents naturels appropriés; si la redevance qu'on est obligé de servir aux propriétaires pour en obtenir l'usage est autre chose, en réalité, que la juste rémunération de leur travail actuel ou d'un travail antérieur accumulé (V. RENTE FONCIÈRE.)

CH. COQUELIN.

à beaucoup d'autres des avantages résultant de la division des travaux.

Il est cependant impossible de s'occuper des agents de change sans que des questions de deux ordres différents ne se présentent à l'esprit : celles qui touchent au monopole qui leur est attribué en France; celles qui peuvent être suggérées par l'importance toujours croissante que les nombreuses transactions sur les effets publics ont donnée à leur position, et par le prix vénal qui en est résulté pour le titre de leur charge.

Les agents de change ne sont toutefois pas les seuls qui aient le titre d'officiers ministériels et qui jouissent du monopole qui en résulte; ce qui les concerne à cet égard, de même que ce qui regarde les courtiers, avoués et notaires, trouvera place plus loin lorsqu'on traitera de la Vénalité des charges. Beaucoup de considérations, en ce qui touche leurs fonctions, se reproduiront aussi lorsqu'il sera question des Emprunts publics de la Bourse et de l'Agiotage; il est toutefois quelques faits qu'il est bon dès à présent de constater.

d'intermédiaires à des paris ou affaires fictives. Toute opération qui n'a pas pour base un titre réel de rente peut donner lieu à une amende de 500 liv. sterl. (12,500 fr.). Chaque omission de transcription d'une transaction sur le livre-journal est pas sible de 50 livres (1,250 fr.) de pénalité, moitié pour le trésor royal, moitié pour la partie civile. Si du reste la limitation du nombre n'est pas écrite dans la loi, elle résulte du fait et surtout de la coalition de ceux qui sont en possession, contre tout intrus qui se présenterait autrement que comme succédant à un titulaire.

Aux États-Unis la profession d'agent de change est libre. En Angleterre elle est réglementée; tout courtier doit étre commissionné (licensed); il paye un droit en entrant en charge; il est muni d'une médaille; il fournit un cautionnement, minime il est vrai, et peut encourir des amendes; il ne peut AGENT DE CHANGE. Les commerçants em- opérer pour son propre compte. Quelques règles ploient comme intermédiaires dans leurs transac-spéciales sont encore en ce pays imposées aux tions des agents qui tempèrent pour les uns leagents de change; ainsi ils ne doivent pas servir désavantage relatif d'offrir, et pour les autres le désavantage correspondant de demander la marchandise. L'intermédiaire prend en quelque sorte le rôle de conciliateur entre l'acheteur et le vendeur, et en amenant l'acceptation réciproque du prix, terme moyen entre l'offre et la demande, facilite singulièrement la conclusion du marché. La division du travail s'est introduite, du reste, dans les fonctions mêmes d'agents intermédiaires, et il y a des courtiers de marchandises, comme il y a des courtiers de navires, des courtiers d'assurance, des courtiers de change. Par suite d'un usage particulier à notre langue, ces derniers courtiers ont pris le titre d'agents de change; leur mission consisterait, à proprement parler, à servir d'intermédiaires à la négociation des lettres de change et autres papiers de commerce, mais ils ont été en outre, dans les grandes villes, employés à la négociation des titres de rentes sur l'État, ainsi que des titres d'actions de toute nature, et cette attribution, à Paris surtout, a de beaucoup dépassé l'autre en importance. En Angleterre la séparation des fonctions est mieux tranchée, et il y a des stock brokers (courtiers de rentes) comme il y a des bill brokers (courtiers de change). Ces tiers interposés, n'opérant pas pour leur proprement de 125,000 francs. Ce cautionnement récompte, ont droit à une indemnité ou courtage pour le temps et les soins qu'ils donnent aux affaires.

Jusque-là l'économiste n'a qu'un fait très simple à constater, c'est l'utilité des intermédiaires pour faciliter les transactions entre vendeurs et acheteurs; utilité dont la preuve résulte suffisamment de ce qu'en tout pays on a recours à leurs services et qu'on les paye. On peut encore trouver là, comme on le voit, quelques exemples à joindre

En France, les mémes prescriptions légales sont imposées aux agents de change; elles vont plus loin encore et sont énumérées dans les articles 79 à 87 du Code de commerce; mais à côté de cela le monopole y est plus fortement constitué. Ils sont fonctionnaires ministériels, nommés par le gouvernement, sous la réserve toutefois, depuis la loi de 1816, de la prérogative de présenter leurs successeurs, et ils ont seuls avec les notaires le droit de donner un caractère d'authenticité à la négociation des effets publics, rentes, actions de banque ou autres. A Paris leur nombre est de soixante et ils fournissent chacun un cautionne

pond vis-à-vis de ceux qui les emploient de ce que l'on nomme les faits de charge; mais quelque limitative que la jurisprudence se soit montrée pour la détermination de cette nature de faits, il s'est toujours trouvé que le cautionnement était insuffisant pour couvrir les dettes qui pouvaient s'abriter sous cette classification, et que le public était en outre victime, sur une très large échelle, de la confiance qu'il avait été entraîné à accorder à ces officiers ministériels. La loi dit bien que

les agents de change, n'opérant pas pour leur compte, ne peuvent faire faillite sans être de plein droit en banqueroute; mais il n'y a pas d'exemple que les rigueurs de la loi aient été appliquées d'office par les tribunaux; et, lorsque les faillites sont déclarées, la vindicte publique s'arrête en général devant l'intérêt de la masse des créanciers, lequel réclame une liquidation plus prompte.

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fort licites; mais ils touchent souvent de bien près à des paris sur la hausse et la baisse des cours, au jeu, en un mot, et les affaires légalement prohibées ne tardent pas à dépasser de beaucoup en importance les opérations légitimes. Dans de telles combinaisons, la loi devient impuissante à réprimer l'abus, et il faut bien d'ailleurs le constater, l'autorité gouvernementale est elle-même complice de tous les scandales qui se révèlent à ceux qui étudient ce sujet. L'administration de la Bourse, nominalement sous la

ministre du commerce; le préfet de police, à Paris, comme représentant le ministre de l'intérieur, entretient un commissariat spécial pour surveiller ce qui se passe sur les lieux; mais les agents de change entendent bien ne relever que du ministre des finances, dont ils obtiennent, en effet, une protection toute particulière.

L'agent de change ne doit pas opérer pour son compte; mais il est en général loin de se conformer à cette règle, et, par la nature même de ses opérations, il ne pourrait s'y renfermer compléte-direction de la Chambre de commerce, relève du ment. En effet, il ne doit pas faire connaître le nom des parties avec lesquelles il traite, et ne les met jamais en présence l'une de l'autre. Pour le vendeur comme pour l'acheteur, l'affaire n'est faite qu'entre lui et son agent. Il faut se rappeler aussi que les rentes sont fractionnables, ou peuvent au contraire se réunir en somme quelconque, et il résulte de là que, sauf de rares exceptions, ce n'est pas la même somme de rente qui est vendue par un agent de change pour compte d'un client, et achetée par un autre agent pour compte du sien. De là la nécessité pour ceux de ces officiers publics, s'il y en a, qui voudraient rester dans la stricte légalité, d'être, au moins pour quelques heures, détenteurs sous leur propre nom de certaines portions d'effets publics.

Ce qui se produit ainsi pour les transactions qui ont lieu au comptant, a lieu sur une beaucoup plus grande échelle dans les marchés à terme dont les combinaisons sont si variées à la Bourse.

Etant ainsi entraînés à faire des affaires pour leur compte, ayant un cautionnement à fournir et payant les charges à des prix souvent énormes, les agents ont été obligés d'engager des capitaux considérables dans leur profession. Il est arrivé de là ce fait anormal qu'un agent ministériel, simple certificateur de transferts des effets publics, ne devant faire aucune affaire pour son compte, a cependant pris de nombreux associés. Lorsque des actes de société de cette nouvelle espèce se sont produits en justice, la jurisprudence commerciale a été quelque peu embarrassée; l'on ne pouvait appliquer à de tels associés les règles de la commandite, et on a dû les considérer comme simples croupiers, devant, pour les faits de charge, rester étrangers aux tiers. Les agents de change euxmémes l'ont compris, et sans remplir les formalités ordinaires entre associés, ils se sont bornés à déposer leurs actes de société à la chambre syndicale de leur corporation. Cette chambre est intervenue de plus en plus dans les contestations intérieures du corps, et beaucoup d'affaires plus ou moins scandaleuses ont été étouffées aux dépens de la bourse commune.

L'emploi d'un capital considérable est à la fois une cause et un effet d'un mouvement d'affaires faites sur de très larges proportions; les droits sur des opérations de vente ou d'achats de contrats de rente au comptant seraient insuffisantes à couvrir de gros intérêts et à donner les bénéfices auxquels s'attendent des hommes qui font un métier scabreux, et qui sont en possession d'un monopole; de là entraînement de plus en plus grand vers les marchés à terme. Dans beaucoup de cas, sans doute, les marchés à terme sont

Un ministre des finances, sous quelque gouvernement que ce soit, dans l'état actuel de l'Europe, a besoin de recourir souvent au crédit public; il lui faut faire face à des déficits; il a besoin d'entretenir une dette flottante plus ou moins considérable; il doit toujours prévoir la nécessité où il peut arriver d'avoir à négocier de nouveaux emprunts. Pour tout cela, pour que des valeurs nouvelles puissent faire leur chemin jusque dans le portefeuille des capitalistes, pour que des rentes aillent se classer, ce qui, en termes de finances, veut dire : pour qu'elles arrivent à absorber les épargnes partielles du pays, en allant représenter dans les mains des particuliers une partie importante de leur patrimoine, il faut qu'il y ait un marché toujours ouvert, où se traitent journellement de très nombreuses affaires; il faut une Bourse, avec vente à la criée des rentes, avec marchés à terme, avec report d'un mois à l'autre, avec marchés à prime; enfin, sans reculer devant le mot, avec agiotage. Un ministre des finances ne trouve un banquier prêt à soumissionner en gros un emprunt, que parce que ce traitant pourra revendre en détail, et en les fractionnant à l'infini, les titres de rente. Il faut que le banquier ait, pour cela, toute latitude pour soutenir les cours par des achats au comptant qui lui faciliteront des ventes à terme; il lui faut une bourse vers laquelle, par l'appât du jeu, il attirera des capitaux de toutes les parties de l'Europe.

Que conclure de tout ceci? C'est que le monopole donné aux agents de change est un mal, mais qu'il est la conséquence de beaucoup d'autres maux. Qu'un peuple enfin sache se gouverner par lui-même; que chez lui les droits et la propriété de chacun soient réellement respectés; qu'on arrive à s'y passer d'armées permanentes nombreuses; qu'on cesse d'y demander à être enseigné, soigné, assisté, nourri et occupé aux frais d'une administration par cela même absorbante; qu'on renonce enfin à dévorer par des emprunts les ressources de l'avenir, et les scandales de Bourse disparaîtront ensuite sans peine1. HORACE SAY.

1 Mac Culloch, Dictionary of commerce, 2o édit.,

pag. 188; Dictionnaire du commerce et des marchandises, pag. 27; J.-B. Say, Cours complet, tome 1,

pages 440 et 327.

AGIO. Agio est un mot italien corrompu, qui signifie valeur additionnelle ou excédant de valeur, et qui correspond assez exactement au mot français plus-value. Il se disait, dans l'origine, de tout prix excédant la valeur ordinaire ou naturelle des choses. Plus tard, surtout lorsqu'il a été transporté dans les pays étrangers, on l'a plus particulièrement employé pour désigner l'excédant de valeur de la monnaie de banque sur la monnaie courante, ou, vice versa, l'excédant de valeur de la monnaie courante sur la monnaie de banque, et c'est avec cette dernière signification qu'il est venu jusqu'à nous.

Dans les anciennes banques de dépôt, comme celles d'Amsterdam et de Hambourg, la monnaie de banque (ou banco) avait généralement une valeur un peu différente de celle de la monnaie de même dénomination qui circulait dans le pays. Ainsi, à Amsterdam, le ducaton banco valait presque toujours quelque chose de plus que le ducaton courant. A Hambourg, où les rapports ont été plus variables, l'écu banco a valu tantôt plus, tantôt moins que l'écu d'Empire circulant dans le pays. C'est cette différence que l'on désignait et que nous désignons encore aujourd'hui sous le nom d'Agio.

Plusieurs économistes n'ont pas dédaigné de rechercher la cause de cet agio, et la question n'était pas en effet sans intérét. Mais ils n'avaient peut-être pas sous la main tous les éléments nécessaires pour la résoudre. Quelques-uns ont adopté sans examen l'explication donnée par Adam Smith. Il se trouve malheureusement que cette explication est plus ingénieuse qu'exacte. Nous nous permettrons de la redresser ici, en faisant remarquer qu'il n'est pas bien étonnant que l'auteur de la Richesse des nations se soit trompé dans quelques détails relatifs à une institution étrangère, alors peu connue, et sur laquelle il n'avait que des renseignements incomplets.

Adam Smith suppose que la monnaie déposée à la banque d'Amsterdam y était toujours reçue pour sa valeur intrinsèque, et qu'elle y acquérait une valeur supérieure par cela seul que, mise en lieu sûr, elle y était à l'abri des altérations auxquelles la monnaie courante était sans cesse exposée. La monnaie de ces banques, dit-il, étant meilleure que les espèces courantes du pays, elle produisit nécessairement un agio qui fut plus ou moins élevé, selon que les espèces courantes étaient réputées plus ou moins dégradées au-dessous du poids primitif de leur fabrication. L'agio de la banque de Hambourg, par exemple, qu'on dit être communément de 14 pour cent environ, est la différence qu'on suppose exister entre la bonne monnaie de l'État au titre et au poids primitif de la fabrication, et les monnaies courantes, usées, rognées et détériorées qui y sont versées par tous les États voisins1. » Parlant ensuite du crédit que la banque ouvrait sur ses livres à chaque déposant. « Cette créance, ditil, fut appelée monnaie de banque; et comme elle représentait exactement la monnaie qui était au titre, elle fut toujours de la même valeur réelle, et d'une valeur intrinséquement supérieure à celle de la monnaie courante. »

1 Tome 11, page 71, édition Guillaumin.

Et plus loin il ajoute : « Indépendamment de la supériorité intrinsèque qu'elle a sur les espèces courantes (supposées plus ou moins dégradées), et de la valeur additionnelle que lui donne nécessairement la concurrence des demandeurs, la monnaie de banque jouit encore de plusieurs autres avantages: elle est à l'abri du feu, des voleurs et de tout autre accident. La ville d'Ams terdam en répond : le payement peut être fait pa un simple transport, qui épargne ou la peine de le compter, ou le risque de le transporter d'un lieu à un autre. Tous ces avantages paraissent avoir donné, dès le commencement, naissance à un agio. »

Tous les avantages qu'Adam Smith énumère ici sont réels; mais comme il était loisible à chacun de se les assurer dans la mesure de ce qu'il jugeait nécessaire, on ne comprend guère qu'ils eussent suffi pour assurer à la monnaie de banque une valeur constamment supérieure à celle de la monnaie courante, s'il ne s'y était joint quelque autre cause. Quand il ajoute plus loin qu'on évitait de tirer son argent de la banque, de peur d'avoir à payer le droit de garde, et qu'il trouve là une nouvelle raison pour expliquer la supériorité de valeur de la monnaie de banque, il se trompe en fait; car les dépôts n'étaient jamais faits que pour six mois, et quand on les renouvelait après ce terme, on devait payer chaque fois le droit de garde. Ce qui est vrai seulement, c'est qu'il y avait un droit exceptionnel à payer quand on ouvrait un compte nouveau.

Voici les faits dans leur exactitude.

Dès l'origine, la banque d'Amsterdam avait pris pour règle de ne pas recevoir les monnaies qu'on déposait chez elle pour leur valeur entière, et de leur attribuer toujours une valeur inférieure d'environ pour 100 à leur valeur effective. Ainsi, le ducaton de Hollande, qui valait couramment 63 stubers (3 florins et 3 stubers) d'argent courant, n'était reçu dans la banque que pour 60 stubers ou 3 florins, et le particulier qui déposait n'était crédité, pour chaque ducaton remis par lui, que sur ce dernier pied. Chaque déposant avait donc réellement, en banque, une somme supérieure d'environ 5 pour 100 à celle qui était accusée sur les registres. Cela n'empêchait pas que, lors du retrait du dépôt, on ne lui restituàt dans leur intégrité toutes les sommes effectivement remises, sauf les faibles retenues que la banque s'attribuait. C'était une manière de compter, et rien de plus. Mais cela suffit pour expliquer comment l'argent de banque valait toujours quelque chose de plus que l'argent courant. Ce n'était pas du tout, comme le suppose Adam Smith, à cause de la faveur qui s'attachait à la monnaie de banque : c'était uniquement parce que la banque, tout en adoptant les dénominations des monnaies courantes, les appliquait à des valeurs effectivement plus fortes.

Loin qu'une faveur particulière s'attachât à la monnaie de banque, on serait tenté de croire qu'elle était frappée d'un léger discrédit, soit à cause de la difliculté du retrait, soit par toute autre cause. En effet, on vient de voir que la monnaie de banque avait toujours un avantage effectif d'environ 5 pour 100 sur la monnaie courante. L'agio

devait donc s'élever à 5 pour représenter le pair; or il était presque toujours au-dessous de ce chiffre; généralement il flottait entre 3 et 4, bien que les variations fussent quelquefois plus fortes. Dans quelques circonstances extraordinaires il disparut méme entièrement, et la valeur de la monnaie de banque tomba au-dessous de la valeur de la monnaie courante; c'est ce qui arriva, par exemple, en 1672. Il est vrai que c'était à l'approche des armées de Louis XIV, et que cette situation ne dura pas longtemps, la banque ayant pris immédiatement la résolution de restituer tous les dépôts.

A Hambourg, les circonstances furent différentes. A l'origine, la banque de cette ville n'avait pas voulu, comme celle d'Amsterdam, établir de différence entre sa monnaie et la monnaie courante. Elle avait adopté comme type l'écu d'Empire, qui valait 540 ases de Hollande, et l'avait accepté sur ce pied; mais plus tard elle fut contrainte de se départir de cette règle, par suite des altérations de monnaies entreprises par quelques souverains. Dans le dix-septième siècle, l'empereur Léopold Jer, et, dans le dix-huitième, Marie-Thérèse d'Autriche, renversèrent le plan des Hambourgeois, comme le dit Busch1, en faisant frapper des écus d'Empire qui n'avaient que 516 ases de valeur effective.

Un certain nombre de ces nouveaux écus s'étant glissés dans la banque à l'insu des administrateurs, il en résulta un grand embarras dans les payements. Comme on ne savait sur qui devait retomber la perte, on voulut la faire porter proportionnellement sur tous les déposants, en les remboursant, partie en écus de bon aloi, partie en écus altérés. Pour dresser les comptes et faire une juste répartition, on chercha une moyenne proportionnelle entre l'ancien et le nouvel écu, et l'on trouva que cette moyenne était de 528 ases pour chaque écu. Voilà comment l'écu banco de la banque de Hambourg fut fixé à cette époque à la valeur de 528 ases, valeur idéale, inférieure à celle de l'ancien écu d'Empire, mais supérieure à celle de l'écu nouveau, et qui est demeurée inaltérable au milieu des variations en plus ou en moins que les monnaies courantes ont encore subies.

Ainsi, à Amsterdam, par suite d'un dessein prémédité des fondateurs de la banque, à Hambourg, par suite de circonstances plus fortes que la volonté même des administrateurs, il s'établit une différence effective de valeur entre l'argent de Lanque et l'argent courant; c'est ce qui explique tout naturellement l'agio. Il faut ajouter cependant que l'agio baissait ou s'élevait selon que l'argent de banque était plus ou moins demandé. Y avait-il un grand nombre de payements à faire en monnaie banco, les titres de dépôts délivrés par la banque étaient fort recherchés, et l'agio montait; dans le cas contraire il baissait. Mais ce sont la des fluctuations si naturelles, qu'il ne faut pas s'arrêter à les analyser. Il en est exactement de cela comme des rapports variables qui s'établissent entre les valeurs respectives de l'or et de l'argent.

1 La banque de Hambourg rendue facile.

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A Amsterdam, le cours de l'agio était chaque jour coté et connu de toutes les parties intéressées. Ce sont probablement les variations auxquelles il était sujet, et les spéculations dont ces variations devenaient l'objet, qui ont donné naissance au mot agiotage.

Aujourd'hui le mot agio n'est plus guère usité, du moins en France, que pour désigner la plusvalue de l'or sur l'argent, ou réciproquement. La loi francaise ayant établi un rapport fixe entre l'or et l'argent, en dépit de la force des choses qui rend ce rapport variable, il y a ordinairement un des deux métaux qui dépasse ce qu'on appelle le pair, c'est-à-dire le prix fixé par la loi. C'est cet excédant du prix commercial sur le prix légal que l'on désigne sous le nom d'agio.

CH. COQUELIN.

AGIOTAGE. La spéculation commerciale est utile et favorable à la société, l'agiotage lui est nuisible; il est toujours, en outre, contraire à la morale. La spéculation prend son cours naturel et se développe dans les pays libres et tranquilles, l'agiotage n'est jamais si actif que dans les temps de calamités et de troubles publics. La spéculation est une opération régulière; l'agiotage est un pari où les joueurs conservent l'arrière-pensée de tricher au besoin. La spéculation est un placement de capitaux fait avec intelligence par l'achat à bas prix de denrées ou marchandises, dans l'intention de les revendre plus tard lorsque les prix s'élèvent; la différence des prix couvre les frais de conservation de la chose, l'intérêt des fonds employés et le bénéfice du spéculateur. Par la première opération, la spéculation empêche la baisse du prix d'atteindre un taux qui deviendrait fatal aux producteurs; par la seconde, elle arrête une hausse excessive qui serait fàcheuse pour les consommateurs. Dans l'agiotage, au contraire, l'achat se fait avec intention de revendre au plus tôt; on traite le plus souvent à terme pour ne point employer de capital, on n'a pas la moindre intention de prendre livraison de la chose achetée; d'autre fois, on vend avec promesse de livrer ce qu'on ne possède pas, ce qu'on n'a même aucune prévision de posséder; on compte que dans l'intervalle on pourra se liquider par une opération contraire, à des prix dont la différence deviendra un profit; on se fie pour cela sur les événements fortuits, sur les chances des récoltes, sur les conséquences d'une nouvelle bonne on mauvaise qu'on s'arrange même pour inventer et répandre au besoin. L'agioteur ne base, en un mot, son profit que sur la perte qu'il fait supporter aux autres. Lorsque son opération est terminée, il n'y a eu aucun service rendu, aucune valeur produite; ce qui se produit est un simple déplacement de richesse, en même temps qu'une atteinte profonde portée à la morale publique.

Comme la passion du jeu est une des infirmités naturelles à l'homme, l'agiotage n'a pas manqué de se développer chaque fois que les circonstances ont pu faire pressentir de grandes et rapides variations dans le prix des choses; on n'a pas manqué alors d'agioter sur les contrats de rente, sur les actions industrielles, sur les marchandises. Suivant les époques, l'agiotage s'est porté sur les actions de la Compagnie des Indes, sur les terres

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