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LIVRE QUATRIÈME

SESSION DE 1814. CONGRES DE VIENNE

PREMIERS ESSAIS DE GOUVERNEMENT. ORDONNANCES SUR LA CÉLÉBRATION DU DIMANCHE. GRADES. DECORATIONS. SESSION DE 1814.- PREMIERS DÉBATS.-COI SUR LA PRESSE.

La paix était conclue, la Charte promulguée; les armées étrangères évacuaient le territoire national: il fallait gouverner. Tâche difficile et ardue! Qui gouvernerait? Le Roi? Il connaissait peu le pays, et les infirmités prématurées dont il était accablé, en lui laissant toute la vivacité de son esprit, lui avaient fait perdre cette activité et cette puissance d'application nécessaires aux devoirs du gouvernement. Le ministère? Il n'était point homogène, on l'a vu, il manquait d'autorité morale, et bien qu'il comptât dans son sein des esprits distingués, il ne contenait pas un seul homme de direction politique. Les Chambres? La Chambre des pairs, formée de serviteurs de l'Empire choisis parmi les hommes de la Révolution, et d'hommes de l'ancienne cour, quelques-uns revenus récemment de l'émigration, presque tous étrangers aux affaires, n'avait ni unité, ni initiative, ni autorité morale, et ne pouvait donner l'impulsion. La Chambre des députés aspirait à

prendre cette position, mais elle était pleine d'inexpérience, et elle appartenait, par la date de son élection, à un mouvement d'opinion qui devait créer des embarras. C'était une Chambre longtemps comprimée et humiliée par la toutepuissance impériale, qui aspirait à se relever de cette humiliation en attirant à elle l'initiative, et qui devait par conséquent rechercher les occasions de jouer un rôle. Quoiqu'elle eût des sympathies sincères pour la Restauration, elle était en grande partie animée d'un esprit instinctif d'opposition contre les actes du gouvernement, comme si elle eût voulu racheter sa longue docilité par un esprit d'indépendance qui allait jusqu'à une susceptibilité ombrageuse. Ceux qui ont étudié les secrètes réactions de la nature humaine ne s'étonneront pas de cette disposition. La nuance dominante de cette Chambre appartenait aux opinions formalistes de la Constituante; elle avait leur défiance contre tout ce qui vient du pouvoir, leur confiance absolue dans certaines théories, leur foi présomptueuse en elles-mêmes.

Tels étaient les moyens de gouvernement avec lesquels la Royauté allait aborder une situation pleine de difficultés, car la Charte, destinée à pacifier les discordes et les luttes, les avait laissées subsister dans toute leur violence. Les questions qu'elle avait fermées restaient ouvertes pour beaucoup d'esprits, et les partis ne s'étaient point fait entre eux les concessions qu'elle avait faites à la paix publique. La tribune, la presse, ces deux grands moyens d'action dans les gouvernements libres, quand ils sont organisés et qu'ils reposent sur le respect de tous pour des institutions de pouvoir et de liberté également incontestées, allaient donc devenir des arènes de combats et des leviers de destruction. Il y avait dans la population un sentiment général qui pouvait être facilement exploité par les partis contraires, c'était une surprise chagrine de voir les hommes de l'ancienne noblesse, exclus des affaires, pour la

plupart, depuis vingt-cinq ans, y rentrer tout à coup, et recommencer à jouer un rôle qui pouvait devenir le premier. Les nombreux employés du gouvernement impérial et les militaires ressentaient surtout vivement cette crainte. Les imprudences, les prétentions hautaines de quelques hommes sans expérience, comme il y en a dans tous les partis, trop prompts à oublier que le retour de la monarchie n'était point dû à leurs efforts personnels, mais à des circonstances publiques qui laissaient tout le mérite de la Restauration à l'utilité nationale du principe monarchique, aggravaient ces difficultés 1.

Il était impossible qu'un gouvernement si nouveau, présidé par un Roi vieilli dans l'exil et empêché par sa santé; servi par des ministres étrangers les uns aux autres, sans expérience de la haute politique, quelques-uns initiés aux affaires, mais comme des instruments capables de recevoir la direction sans pouvoir la donner, les autres sans expérience, sans pratique administrative, tous sans lien commun d'opinions, sans système; appuyé sur des Chambres sans racines dans le pays, toutes deux issues du régime précédent, l'une fatiguée et honteuse de sa longue obéissance, l'autre apportant des habitudes et un esprit d'opposition qui n'avait pas eu le temps de se satisfaire, ne commît pas de fautes. Il était à craindre que ces fautes qu'il aurait fallu tolérer, d'abord parce qu'elles étaient inévitables, ensuite parce qu'elles tenaient à la situation générale du pays, à l'in

1. Ce sentiment était si vif que dans les localités où la Restauration fut reçue avec le plus d'acclamations, à Toulouse, par exemple, il n'avait pas été possible, dans le mois de mai 1814, de faire accepter par tous les officiers de la garde nationale la cocarde blanche, que l'on considérait comme la cocarde de la noblesse, parce qu'elle l'avait prise la première. M. Jules de Polignac, envoyé comme commissaire du Roi dans le Midi, ayant voulu remplacer à Toulouse les officiers qui n'avaient point accepté la cocarde blanche, ne put faire recevoir les nouveaux officiers nommés par lui. On alla à la revue passée par le duc d'Angoulême avec les deux cocardes et les deux drapeaux, et l'enthousiasme et les acclamations pour le prince furent unanimes sous le drapeau tricolore comme sous le drapeau blanc. (Notes manuscrites de M. de Villèle.)

expérience de tous les pouvoirs politiques, à l'incertitude des idées, à la division des opinions, ne fussent exploitées à outrance par les passions contraires, et que, pour des inconvénients de détails, pour des abus transitoires, on oubliât les services inestimables et permanents que la Royauté traditionnelle rendait à la France, en la mettant en paix avec le monde, et en jetant les bases d'un gouvernement honnête, modéré, régulier, voulant et cherchant le bien, et capable de supporter le voisinage de la liberté politique.

Ceux des ministres dont l'origine remontait à l'Empire ou à la Révolution cédèrent presque tous à un entraînement facile à comprendre. Ce n'était point leur notoriété dans les assemblées politiques qui les avait désignés au choix du Roi, ils n'avaient donc de ce côté aucune force; ils ne possédaient pas non plus la confiance royale : le Roi, les trouvant à leur poste, les y avait laissés, plutôt qu'il ne les y avait placés. Ils cherchaient à donner des gages, comme on disait dans la langue du temps, et travaillaient à se rendre agréables. Ils étaient donc disposés à aller, dans leurs démarches et dans leurs mesures, au delà de ce que conseillait la raison ou de ce que permettait la prudence. Ils faisaient en effet, pour conquérir une popularité de cour et de salon, des sacrifices analogues à ceux qu'on a faits dans d'autres circonstances pour conquérir la popularité de la rue. Le 7 juin 1814, le comte Beugnot, directeur de la police générale, publia une circulaire sur l'observation du dimanche. I annonçait, dans l'exposé des motifs, que la police doit être morale et religieuse, et il en faisait presque une annexe de l'Église. Puis, arrivant à l'observation du dimanche, il disait :

<< Considérant que l'observation des jours consacrés aux solennités religieuses est une loi commune à tous les peuples policés; que l'observation du dimanche s'est maintenue avec une pieuse sévérité dans toute la chrétienté, et qu'il y a été

pourvu pour la France, en particulier, par différentes ordonnances de nos rois, etc., etc.; ordonnons ce qui suit: Les travaux seront interrompus les dimanches et les jours de fêtes. Tous les ateliers seront fermés. Il est défendu à tout marchand d'ouvrir sa boutique ; à tout ouvrier, portefaix, voiturier, etc., de travailler de leur état, lesdits jours, et à tous étalagistes de rien exposer en vente. Il est expressément défendu aux marchands, maitres de café, de billards, de tenir leur établissement ouvert, lesdits jours, pendant l'office divin, depuis huit heures du matin jusqu'à midi. Des amendes de 100, 200 et 500 francs seront prononcées contre les contrevenants, sans préjudice des poursuites judiciaires. »

:

Le caractère un peu léger de M. Beugnot nuisit à cet exposé de principes incontestables en eux-mêmes la France est, de tous les pays, celui où l'on supporte le moins les leçons de ferveur données par les sceptiques. En outre, on devait s'apercevoir bientôt qu'il y a des inconvévenients à mettre, dans les questions religieuses, les lois en avance sur les mœurs, et que, lorsque la société est atteinte de rationalisme, les gouvernements, dans ces matières, réussissent mieux par l'influence d'exemples hautement et scrupuleusement donnés, que par des prescriptions légales mal combinées, accompagnées de sanctions pénales sévères. Il faut ajouter que cette ordonnance révélait, par les détails où elle entrait et par sa prétention de tout réglementer, une grande inexpérience de la matière. Un législateur plus chrétien aurait mieux réussi. L'ordonnace ne tarda pas à devenir une arme dans les mains de ceux qui voulaient exciter contre la Restauration les classes commerçantes. M. Beugnot fit paraître quelque peu après, dans le Moniteur du 11 juin, une ordonnance concernant les processions de la Fête-Dieu, dont l'article 3, autorisé, ce semble, par l'article de la Charte qui déclarait la religion catholique religion de l'État, allait exciter une vive opposition; il était ainsi conçu: « Il est

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