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rideau de baïonnettes une armée nouvelle, au lieu d'être pris au dépourvu, comme il le fut au mois de janvier. Il sacrifia ces avantages positifs à la conservation du prestige de ses armes et au désir de révéler le plus tard possible le secret de sa faiblesse. Mais puisqu'il ne traitait pas, ce prestige ne lui servit à rien qu'à retarder un moment le dernier choc, en le privant de forces précieuses pour le soutenir. Or ce qui importait, ce semble, ce n'était point d'avoir des garnisons dans des places que nous devions perdre inévitablement, si nous avions le dessous dans l'action principale, mais d'avoir l'avantage dans cette action principale dont le dénoûment devait exercer une influence souveraine sur les conditions de la paix.

A la faveur de cette situation, deux grandes armées ennemies, celles de Bohême et de Silésie, étaient entrées sur notre territoire, du 20 décembre 1813 au 1er janvier 1814. L'armée de Bohême, débouchant par la Suisse, dont elle viola la neutralité, et parle haut Rhin, entra dans les vallées du Doubs et de la Saône. L'armée de Silésie avait franchi le Rhin à Manheim. Les points de réunion qui leur avaient été marqués étaient Nancy et Langres. De là, elles devaient se diriger sur Paris. Elles formaient un effectif de trois cent quatre-vingt-cinq mille combattants, sous le commandement de Schwarzenberg et de Blücher1; l'empereur de Russie, l'empereur d'Autriche, le roi de Prusse marchaient avec leur état-major général. A leur entrée en France, les coalisés, qui avaient été obligés de mettre des garnisons dans les villes qu'ils avaient prises, et de détacher des troupes pour faire le blocus de celles qu'ils avaient laissées en arrière sans les attaquer, ne comptaient plus, dans

1. L'armée de Schwarzenberg comptait deux cent cinquante mille hommes, dont cent trente mille Autrichiens, cinquante mille Russes, vingt-cinq mille Bavarois; le reste, du Wurtemberg et de l'Empire. L'armée de Blücher compfait : quarante mille Prussiens, cinquante mille Russes, quarante-cinq mille Allemands.

les armées de Bohême et de Silésie, qu'un effectif de deux cent quatre-vingt mille hommes. C'était plus du quintuple des forces que Napoléon avait à leur opposer.

A cette disproportion des forces sur le point d'entrer en lutte, il faut ajouter la disproportion des réserves. Le prince Eugène allait se trouver tenu en échec en Italie, et hors d'état d'envoyer les divisions que l'Empereur lui demandait. Le maréchal Soult pouvait envoyer quelques secours, en s'affaiblissant. devant le duc de Wellington, déjà plus fort que lui. Les coalisés, au contraire, avaient des corps d'armée tout entiers en marche derrière les armées de Silésie et de Bohême. L'armée du Nord, conduite par Bernadotte, comptait cent quatre-vingt mille hommes'. La réserve générale des coalisés s'élevait à deux cent cinquante mille hommes. Il faut rappeler, en outre, pour mémoire, l'armée de Bellegarde qui surveillait et contenait le prince Eugène en Italie, et l'armée anglo-espagnole de Wellington qui débouchait par le Midi. Quatre cent trente mille hommes étaient donc en marche pour appuyer les armées qui avaient envahi notre territoire par la frontière de l'Est. Si le présent était plein de péril, l'avenir était plus menaçant encore. Le temps était pour les coalisés, et les chances de Napoléon diminuaient à mesure que la campagne se prolongeait.

Il est temps qu'il parte. Schwarzenberg a forcé les passages des Vosges; les combats de Rambervilliers, de Saint-Dié et de Charmes n'ont pu arrêter sa marche. Il étend sa gauche le long de la Saône, dirige son centre sur Langres, sa droite sur Nancy, premier rendez-vous marqué à l'armée de Silésie, commandée par Blücher. Blücher, de son côté, a pénétré dans

1. Nous empruntons tous ces chiffres aux Mémoires inédits de M. de Vitrolles, qui put les connaître exactement au quartier général des coalisés. L'armée de Bernadotte se décomposait ainsi vingt mille Suédois, trente mille Prussiens sous Bulow, soixante mille Allemands, dix mille Hollandais, dix mille Danois, dix mille Anglais.

la Lorraine; un de ses lieutenants, York, s'est présenté devant Metz, que le duc de Raguse, après s'y être arrêté un moment pour assurer sa défense, en y plaçant le général Durutte comme commandant supérieur chargé de dresser et d'instruire les conscrits assemblés dans cette ville, a été obligé de quitter. Sacken, un autre des lieutenans de Blücher, est entré à Nancy, que le maréchal Ney a évacué le 14 janvier.

Le 16 janvier 1814, le duc de Trévise a évacué Langres; le 18 janvier, le duc de Raguse, qui a quitté Metz le 17', arrive à Verdun, en se retirant devant les soixante mille hommes de Blücher, auxquels il n'a à opposer que sept mille hommes d'infanterie et quinze cents sabres2. Au moment où l'Empereur arrive à Châlons, un tiers de la France est déjà envahi. Ses généraux ont exécuté ses ordres, qui étaient de retarder le plus longtemps possible la marche de l'ennemi; mais l'extrême disproportion des forces les a obligés à se replier. « Les circonstances étaient trop impérieuses, on ne recevait d'ordres que d'elles,» dit Fabvier. Schwarzenberg, poussant devant lui le duc de Trévise et le corps de la vieille garde qu'il commande, dirige sa plus forte colonne sur Troyes. Blücher a dépassé la Lorraine, il occupe Saint-Dizier et s'avance diagonalement sur l'Aube. Nos troupes sont autour de Châlons. Le duc de Bellune et le prince de la Moskowa, après avoir évacué Nancy, où ils ont opéré leur jonction, se sont retirés, en reculant lentement, jusqu'à Vitry-le-Français. Le duc de Raguse est derrière la Meuse, à Heitz-le-Hutier, également en avant de Vitry. Ces retraites forcées ont amené un mouvement de concentration.

Quand Napoléon arriva à Châlons, le 26 janvier 1814, le duc de Raguse accourut à son quartier général. « Le Moni

1. C'est la date donnée par le colonel Fabvier. (Opérations du sixième corps.) 2. Chiffres donnés par Fabvier, page 18. (Journal des opérations du sixième corps.)

teur, dit-il dans ses Mémoires, avait annoncé la formation d'un camp à Châlons. Je parlai à l'Empereur des renforts que sans doute il nous amenait. Il me répondit : « Aucun. Il n'y avait pas un seul homme à Châlons. Mais avec quoi allez-vous combattre?—Nous allons tenter la fortune avec ce que nous avons; peut-être nous sera-t-elle favorable? » Le maréchal ajoute: « C'était à ne pas se croire éveillé. » A la même date, le duc de Vicence qui, retenu à Lunéville par les avant-postes qui lui barraient le chemin, a été obligé de rétrograder avec nos troupes jusqu'à Saint-Dizier, reçoit dans cette ville les lettres du prince de Metternich, qui lui désignent Châtillon comme le lieu où doivent s'ouvrir, le 3 février, des conférences pour la paix. Ainsi les grands efforts pour la guerre et les dernières tentatives pour la paix vont commencer parallèlement.

Tant que les frontières de la France n'avaient pas été franchies, et que nos armées avaient occupé la ligne du Rhin, les coalisés avaient mis en avant, comme l'expression de leur pensée, les propositions de Francfort. Ils offraient la paix, à condition que la France abandonnerait l'Allemagne, la Hollande, l'Italie, et se retirerait derrière ses frontières naturelles, les Alpes, les Pyrénées et le Rhin. C'est là l'ultimatum un peu vague de la fin de la campagne de 1813, mais rien ne prouve que ces conditions fussent sérieusement offertes. Dès que la campagne de 1814 commence, un nouvel ultimatum apparaît. L'Europe, qui semblait offrir la paix en 1813, ne l'accordera plus désormais qu'à condition que la France rentrera dans ses anciennes limites, telles qu'elles étaient en 1792. Napoléon doit renoncer non-seulement à ses conquêtes, mais à celles de la République ce sera le premier et le dernier mot des conférences de Châtillon.

Napoléon est toujours en arrière de la concession qui peut lui faire obtenir la paix, devenue pour lui une nécessité. Il a

Hist, de la Restaur. J.

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encore trop d'espérance, tant qu'il occupe l'Italie, la ligne du Rhin et plusieurs places au delà, pour accepter les Alpes, le Rhin, les Pyrénées comme frontières naturelles. Dans la campagne de 1814, les succès qui viennent interrompre ses revers lui nuisent, en ceci qu'ils ne lui laissent pas voir toute l'extrémité de son péril. Il ne peut se résoudre à croire que sa fortune et l'Europe aient dit leur dernier mot. Il espère toujours qu'un heureux événement de guerre lui permettra d'obtenir des conditions meilleures. Il cherche à maintenir la porte des négociations ouverte à Châtillon, et c'est pour cela qu'il y a envoyé le duc de Vicence; mais il ne veut pas conclure. Il demande au champ de bataille des arguments pour son plénipotentiaire; et ne lui envoie l'autorisation de traiter aux conditions posées que pour la lui retirer aussitôt.

Sa pensée vraie se trouve dans une lettre écrite à la date du 13 janvier 1814, au duc de Vicence: « Le système de ramener la France à ses anciennes frontières, dit-il, est inséparable du rétablissement des Bourbons, parce qu'eux seuls pouvaient offrir une garantie de ce système '. » Dans une réponse postérieure à celle-ci, la pensée deviendra plus claire, et Napoléon avouera que la difficulté extérieure se complique ici pour lui de la difficulté intérieure de régner en se dépouillant du prestige de gloire et de conquête qui est son véritable titre. Plus tard encore, à la fin de la campagne de 1814, il cédera à la nécessité des circonstances, mais alors il sera trop tard.

La campagne de 1814 se compose de plusieurs phases; cependant, au milieu de ces phases diverses, on retrouve un caractère invariable qui est le trait distinctif de cette campagne c'est l'impuissance où se voit Napoléon d'attaquer de front les masses coalisées. Un simple grenadier a dit le mot.

1. Manuscrit de 1814, page 76. (Pièces justificatives.)

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