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tions, et je les attendais de vous. Vous avez voulu me couvrir de boue, mais je suis de ces hommes qu'on tue et qu'on ne déshonore pas. Ignorez-vous que dans une monarchie le trône et la personne du monarque ne se séparent pas? Qu'est-ce que le tròne? Un morceau de bois couvert d'un morceau de velours; mais, dans la langue monarchique, le trône, c'est moi. Vous parlez du peuple; ignorez-vous que c'est moi qui le représente par-dessus tout? On ne peut m'attaquer sans attaquer la nation elle-même. S'il y a quelques abus, est-ce le moment de me faire des remontrances, quand deux cent mille Cosaques franchissent les frontières? Est-ce le moment de venir disputer sur des libertés et des sûretés individuelles, quand il s'agit de sauver la liberté politique et l'indépendance nationale? Vos idéologues demandent des garanties contre le pouvoir; dans ce moment, toute la France ne m'en demande que contre les ennemis. N'êtes-vous pas contents de la Constitution? il y a quatre ans qu'il fallait m'en demander une autre, ou attendre deux ans après la paix. Pourquoi parler, devant l'Europe armée, de nos débats domestiques? Il faut laver son linge sale en famille. Vous voulez donc imiter l'Assemblée constituante, et recommencer une révolution? Mais je n'imiterai pas le roi qui existait alors, et j'aimerais mieux faire partie du peuple souverain que d'être son esclave. >>

Ainsi parla l'Empereur, d'une voix stridente et saccadée, et ses paroles firent sur les témoins de cette scène une impression si profonde, que plusieurs en sortant saisirent, sinon le texte exact, au moins les phrases les plus saillantes de cette allocution tour à tour injuste jusqu'à la calomnie, sensée, passionnée, dérisoire, éloquente et triviale. M. Lainé, particulièrement atteint par les insultes outrageantes de l'Empereur, y répondit en homme de cœur. Au lieu de quitter Paris, comme le lui conseillaient quelques amis timides, il y demeura et écrivit au

ministre de la police pour se mettre à sa disposition. Il avait déjà répondu à quelques phrases pleines de hauteur que lui adressa le duc de Rovigo, lorsque les membres de la commission se rendirent chez le ministre de la police, qui les avait mandés: «Ma conscience me parle plus haut que vous. » Tout se borna là; M. Lainé ne fut pas inquiété. L'Empereur ne voulait produire qu'un éclat, un effet d'opinion. Il avait cherché à donner au gouvernement absolu qu'il avait fondé les appuis qu'un gouvernement tempéré et vivant en bon voisinage avec les libertés publiques trouve, dans les temps critiques, chez les grands corps élus par la nation. Il devait échouer, parce qu'il demandait une chose contre la nature des choses; il échoua en effet. Dès qu'il reconnut au Corps législatif la faculté d'élever la voix pour exprimer le vœu de la nation, deux gémissements, l'un contre la guerre, l'autre contre l'arbitraire, sortirent de cette bouche qu'il venait d'ouvrir. Alors l'Empereur lui reprocha de ne pas avoir parlé quatre ans plus tôt, c'est-àdire quand Napoléon tenait toute bouche close, ou de ne pas avoir attendu deux ans pour parler, c'est-à-dire de ne pas avoir laissé revenir une époque où la fortune renaissante du maître eût permis à celui-ci de replacer les scellés sur les lèvres du Corps législatif.

Cela dit, l'Empereur rentra dans le pouvoir absolu. Il laissa de côté le Corps législatif, comme un rouage qui avait voulu avoir son mouvement propre, au lieu d'obéir aveuglément à la main du tout-puissant machiniste, et agit dictatorialement. Un décret impérial doubla les contributions; des levées en masse furent ordonnées administrativement. En même temps, on prit une mesure qui, rapprochée des sentiments connus de l'Empereur, achevait de révéler l'extrémité des circonstances: la garde nationale fut rétablie, danger pour le pouvoir impérial à l'intérieur, faible ressource au dehors contre l'ennemi. L'Empereur s'en réserva le commandement en chef, mesure entre

la défiance et la faveur, et le commandement en second fut confié au général Moncey.

L'Empereur paraissait compter bien peu sur la défense de la capitale. La manière dont il composa l'état-major de la garde nationale, et l'absence de tous préparatifs sérieux pour fortifier la grande cité, révélaient assez sa pensée à ce sujet. « De simples palissades, a dit un de ses confidents les plus dévoués qui tous les soirs conversait intimement avec lui à cette époque, enveloppaient assez ridiculement les barrières de Paris; c'était tout simplement un obstacle contre les Cosaques qui seraient venus toucher barre jusque-là. Il ne voulait pas effrayer les Parisiens et les distraire de leurs plaisirs par un appareil de fortifications et par une composition guerrière de la garde nationale. Il pensait sans doute que s'il ne pouvait pas battre l'ennemi, il était inutile de penser à défendre une ville qui présentait si peu de moyens de résistance et tant de ressources à la révolte1. >>

Ainsi les faits, plus puissants que les paroles, qui, chez les historiens, sont souvent inventées pour le besoin de la cause, établissent que l'Empereur ne comptait point, en quittant Paris, que Paris serait défendu. Il savait qu'il ne le laissait pas en état de défense, il n'avait fait faire aucun préparatif pour l'y mettre; il avait placé à la tête des légions de la garde nationale des citadins incapables de les conduire à la bataille. Il ne s'était donc pas dissimulé la vérité, et on peut ajouter que ses meilleurs amis ne la lui avaient pas dissimulée. M. de Lavalette raconte que, dans ses entretiens du soir avec l'Empereur, il lui donna son opinion avec une franchise et une vérité qui frappent rarement l'oreille des souverains : « Nos entretiens, dit-il, avaient surtout pour objet la situation de la France; je lui disais, avec une franchise dont la naïveté pou

1. Mémoires de M. de Lavalette, tome II, page 78.

vait seule faire pardonner la rudesse, que la France était fatiguée à l'excès, qu'il était impossible qu'elle pût longtemps encore supporter l'intolérable fardeau dont elle était accablée, et qu'elle se déroberait à son joug pour se livrer, selon son triste usage, à la nouveauté, sa divinité favorite'. »

M. d'Hauterive, chargé de l'intérim des affaires étrangères par suite de l'absence de M. de Caulaincourt nommé plénipotentiaire de l'Empire au congrès projeté de Manheim, eut avec l'Empereur une conversation plus significative encore : « Nous nous promenions dans son cabinet, dit-il; il ne parlait guère, ni moi non plus. C'était le moment où il allait partir pour la campagne de 1814. Tout à coup il s'arrête, et me dit, en plongeant son regard si perçant et si sûr dans mes yeux: -Est-ce qu'on ne pourrait pas enfin jeter du phlogistique dans le sang de ce peuple devenu si endormi, si apathique? - Sire, lui dis-je, il y a longtemps que tout ceci dure. Il y a eu une guerre de vingt et un ans; il y a eu, dans deux de vos campagnes, plus d'argent dépensé, plus de sang répandu que dans cette guerre, qui fut la plus acharnée des vingt-deux derniers siècles. Nos vingt et un ans de batailles ont été un siècle de désastres et de souffrances, et l'on est impatient de le voir finir. D'ailleurs, vous avez fait la guerre noblement. Vous avez régné sur toutes les capitales de l'Europe, et voici ce que diront les bourgeois de Paris: Quand l'empereur Napoléon entra dans Vienne et dans Berlin, les habitants n'avaient aucune peur de lui; ils se portèrent sur son passage pour le voir. Tant qu'il y resta, ils firent tout ce qu'ils faisaient avant qu'il y vint: ils déjeunaient, ils dinaient, etc.... Il en sera ainsi quand l'empereur Alexandre entrera dans Paris.

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Napoléon ne me laissa pas poursuivre. Un mouvement de contraction que je vis sur sa figure m'annonça que j'en avais

1. Mémoires de M. de Lavalette, tome II, page 76.

assez dit. Ses yeux quittèrent les miens, et il les leva au ciel, frappant fortement le parquet de son pied; puis, jetant un de ces ah! plaintifs que Talma tirait du fond de sa poitrine, il s'écria avec l'accent le plus amer : « Ah! si j'avais brûlé Vienne! >>

Napoléon ne mettait donc pas ses espérances dans une défense de Paris, qu'il jugeait impossible, qu'il n'avait rien fait pour préparer et qui, tout le monde le lui déclarait, ne serait pas même essayée. Il mettait ses espérances dans une grande victoire. <« Il faut la gagner! » dit-il avec un accent profond à M. de Lavalette, qui lui répétait, la veille de son départ pour l'armée, que c'était le seul moyen qui lui restât de tout rétablir. Il avait fait les plus grands efforts afin de se préparer des ressources pour cette suprême campagne; mais le pays était épuisé c'était la troisième armée qu'on lui demandait depuis moins de deux ans. La confiance s'éteignait, le zèle même des fonctionnaires commençait à se ralentir. Les arsenaux, vidés par la guerre, étaient en retard; les levées se faisaient péniblement, et il ne se présentait point de volontaires. On cherchait, par les nouvelles publiées dans les journaux, à faire illusion à l'Europe coalisée, et à relever les espérances de la France, tactique permise; mais on n'augmentait point ses forces sur le terrain en les enflant sur le papier2. Napoléon, malgré ses efforts pour se hâter, ne put être prêt à entrer en campagne que pour la fin du mois de janvier 1814, et, bien que les gazettes eussent constaté un mouvement de deux cent mille hommes traversant Paris pour se rendre à l'ar

1. Mémoires de M. de Lavalette, tome II, page 79.

2. Napoléon faisait écrire par Berthier, le 13 janvier 1814, au duc de Raguse et au duc de Bellune « Les maréchaux peuvent faire des proclamations pour repousser les invectives des généraux ennemis. Ils doivent faire connaître que deux cent mille hommes de gardes nationales se sont formés en Normandie, en Bretagne, en Picardie et dans les environs de Paris, et qu'ils avancent sur Châlons, indépendamment d'une armée de réserve de plus de cent mille hommes. » (Mémoires du duc de Raguse.)

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