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dace et sa résolution, venait d'écarter une pierre d'achoppement du chemin où l'on marchait 1.

Tandis que ces événements se passaient à Versailles et à Paris, les plénipotentiaires de Napoléon retournaient à Fontainebleau pour lui apprendre que l'abdication conditionnelle ne suffisait plus et qu'on attendait de lui une abdication absolue. Les nouvelles d'Essonne et de Paris les avaient devancés. Le général Chastel, en se repliant sur le pont d'Essonne, dans la matinée du 5 avril, avait envoyé un officier d'état-major pour prévenir l'Empereur du mouvement opéré par le sixième corps. Peu d'instants auparavant il avait reçu par un exprès de Caulaincourt une copie de la convention du duc de Raguse avec le prince de Schwarzenberg.

Lorsque Napoléon apprit ces nouvelles, il essaya d'abord de douter de leur exactitude. Puis son regard devint fixe, il se tut, s'assit, et se livra aux pensées les plus sombres. Les dernières lueurs d'espérance s'évanouissaient. Il préparait, depuis la veille, une réponse aux considérants de l'acte de déchéance voté par le Sénat, il voulut y ajouter une note de blâme pour le maréchal Marmont et les événements d'Essonne, et avant la fin de la journée, l'ordre du jour suivant était lu à la tête de tous les régiments. Il portait pour suscription: Ordre du jour à l'armée. Fontainebleau, le 5 avril 1814.

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L'Empereur remercie l'armée pour l'attachement qu'elle lui témoigne et principalement parce qu'elle reconnait que la France est en lui et non pas dans le peuple de la capitale. Le soldat suit la fortune et l'infortune de son général, son honneur et sa religion. Le duc de Raguse n'a point inspiré ce sentiment à ses compagnons d'armes; il a passé aux alliés.

1. Bourrienne, présent à cette scène, raconte ainsi l'ovation qui accueillit le duc de Raguse à son entrée dans le salon du prince de Talleyrand : « Quinze ans se sont passés, et il me semble assister encore à cette scène. Tout le monde avait fini de dîner; il se mit seul à table devant un petit guéridon placé au milieu de la salle et sur lequel on le servit. Chacun de nous allait causer avec lui et le complimenter; il fut le héros de cette journée.

L'Empereur ne peut approuver la condition sous laquelle il a fait cette démarche; il ne peut accepter la vie et la liberté de la main d'un sujet.

« Le Sénat s'est permis de disposer du gouvernement français; il a oublié qu'il doit à l'Empereur le pouvoir dont il abuse maintenant, que c'est l'Empereur qui a sauvé une partie de ses membres des orages de la révolution, tiré de l'obscurité et protégé l'autre contre la haine de la nation. Le Sénat se fonde sur les articles de la Constitution pour le renverser. Il ne rougit pas de faire des reproches à l'Empereur, sans remarquer que, comme premier corps de l'État, il a pris part à tous les événements. Il est allé si loin qu'il a osé accuser l'Empereur d'avoir changé les actes dans leur publication. Le monde sait qu'il n'avait pas besoin de tels artifices. Un signe était un ordre pour le Sénat, qui toujours faisait plus qu'on ne désirait de lui. L'Empereur a toujours été accessible aux remontrances de ses ministres, et il attendait d'eux la justification la plus indéfinie des mesures qu'il avait prises. Si l'enthousiasme s'est mêlé dans les adresses et les discours publics, alors l'Empereur a été trompé, mais ceux qui ont tenu ce langage doivent s'attribuer à eux-mêmes les suites de leurs flatterics. Le Sénat ne rougit pas de parler de libelles publiés contre les gouvernements étrangers, il oublie qu'ils furent rédigés dans son sein. Si longtemps que la fortune s'est montrée fidèle à leur souverain, ces hommes sont restés fidèles et nulle plainte n'a été entendue sur les abus de pouvoir. Si l'Empereur a méprisé les hommes, comme on le lui a reproché, alors le monde reconnaîtrait aujourd'hui qu'il a eu des raisons qui motivaient son mépris. Il tenait sa dignité de Dieu et de la nation, eux seuls pouvaient l'en priver; il l'a toujours considérée comme un fardeau, et lorsqu'il l'accepta, ce fut dans la conviction que lui seul était à même de la porter dignement, le bonheur de la France paraissant être dans la destinée de l'Empereur; aujourd'hui que la fortune s'est décidée contre lui, la volonté de la nation seule pourrait le persuader de rester plus longtemps sur le trône. S'il se doit considérer comme le seul obstacle à la paix, il fait volontiers ce dernier sacrifice à la France. Il a envoyé en conséquence le prince de la Moskowa et les ducs de Vicence et de Tarente à Paris pour entamer la négociation. L'armée peut être certaine que jamais l'honneur de l'Empereur ne sera en contradiction avec le bonheur de la France. »

Ainsi le pouvoir absolu et la servitude s'entr'accusaient tous deux justement. La complicité des instruments n'amnistie pas plus, en effet, les torts du maître, que l'injustice. impérieuse du maître n'excuse la coupable complaisance des instruments. Le manifeste sénatorial qui sert de considérant

à l'acte de déchéance, et le manifeste impérial du 5 avril lancé contre le Sénat sous la forme d'un ordre du jour militaire, sont les deux pièces capitales à consulter pour le jugement historique de l'Empire. Il n'y a d'inexact dans la seconde de ces pièces que le reproche adressé par l'Empereur à ceux qui ne lui avaient pas fait connaître la vérité : on sait de quelle manière il avait traité, peu de mois auparavant, M. Laîné et le Corps législatif, quand il avait essayé de la lui dire, et de quelle liberté jouissaient les écrivains et les publicistes; Chateaubriand, madame de Staël, Benjamin Constant, le Journal des Débats pouvaient en rendre témoignage.

Ces récriminations politiques insérées dans un ordre du jour militaire parlaient peu au cœur du soldat. Le découragement et la dissolution de la puissance impériale arrivaient jusqu'à l'armée, comme, dans les derniers moments d'une agonie, la mort gagne le cœur. L'Empereur avait fait couvrir à la hâte la position d'Essonne par des troupes tirées du corps d'armée du duc de Trévise, et semblait méditer un mouvement sur la Loire; mais l'ébranlement moral imprimé à l'armée par le mouvement du sixième corps se communiquait de proche en proche. Ce n'était pas seulement une diminution considérable de l'effectif, déjà réduit, c'était un nouvel argument apporté à ceux qui regardaient la cause de l'Empereur comme perdue, et une dernière espérance enlevée aux partisans de plus en plus rares de la continuation de la lutte. L'évidence se faisait pour les esprits les plus dévoués à la cause de l'Empereur; l'Empire était fini. Tout se détraquait à Fontainebleau. Chacun songeait à soi, comme dans un naufrage où le vaisseau a péri. Les communications étaient incessantes entre Fontainebleau et Paris, et les négociations avec le gouvernement provisoire se multipliaient de moment

en moment.

VIII

ABDICATION ABSOLUE. DÉPART POUR L'ILE D'ELBE.

Telles étaient les dispositions des esprits lorsque, le 5 avril, dans la soirée, les plénipotentiaires, de retour à Fontainebleau, annoncèrent à Napoléon la détermination des puissances alliées de ne traiter avec lui qu'à la condition qu'il enverrait préalablement son abdication absolue. Le duc de Tarente lui apporta le premier l'avis officiel de cette détermination. Le prince de la Moskowa et le duc de Vicence s'étaient arrêtés au quartier général du prince de Schwarzenberg pour signer un armistice; ainsi ses envoyés eux-mêmes stipulaient sans ses ordres. Le prince de la Moskowa allait même envoyer sa soumission au gouvernement provisoire et son adhésion à la restauration de la maison de Bourbon, avant que l'Empereur eût signé sa seconde abdication'.

1. On en trouve la preuve dans la lettre suivante adressée par le maréchal Ney au prince de Bénévent, président de la commission formant le gouvernement provisoire, sous cette date: Fontainebleau, 5 avril 1814, à onze heures et demie du soir, et publiée au Moniteur :

« Monseigneur, je me suis rendu hier à Paris avec M. le maréchal duc de Tarente et M. le due de Vicence, comme chargé de pleins pouvoirs pour défendre près de S. M. l'empereur Alexandre les intérêts de la dynastic de l'empereur Napoléon; un événement imprévu ayant tout à coup arrêté les négociations, qui semblaient promettre les plus heureux résultats, je vis dès lors que, pour éviter à notre chère patrie les maux affreux d'une guerre civile, il ne restait plus aux Français qu'à embrasser entièrement la cause de nos anciens rois, et c'est pénétré de ce sentiment que je me suis rendu ce soir près de l'empereur Napoléon pour lui manifester le vœu de la nation. L'Empereur, convaincu de la position critique où il a placé la France, et de l'impossibilité où il se trouve de la sauver, a paru se résigner et consentir à l'abdication entière et sans aucune restriction. C'est demain matin que j'espère qu'il m'en remettra lui-même l'acte formel et authentique. Aussitôt après, j'aurai l'honneur d'aller voir Votre Altesse sérénissime.»

Hist. de la Restaur. 1.

13

La conférence du 5 avril au soir, dans laquelle on agita cette question, ramena les orages de la première. Napoléon repoussa d'abord, avec une colère réelle ou simulée, le sacrifice qu'on lui imposait. Il fallait, disait-il, rompre une négociation devenue humiliante et dérisoire. La guerre ne pouvait soulever de chance plus déplorable que la paix qu'on lui dictait. C'était un fait clair maintenant pour tout le monde; il espérait que les chefs de l'armée étaient désormais désabusés de leurs chimères. A l'appui de sa proposition de recommencer la guerre, Napoléon énumérait les forces voisines ou lointaines qui lui restaient pour prolonger cette terrible et sanglante partie, jouée depuis vingt-deux ans contre l'Europe. Il groupait par la pensée, dans une espèce de fantasmagorie militaire, ces forces disséminées. C'était comme un écho de la dernière scène où Mithridate vaincu expose à ses fils le plan d'une dernière campagne contre les Romains. Les cinquante mille soldats du maréchal Soult, qui sont sous les murs de Toulouse, les quinze mille hommes que le maréchal Suchet. ramène de Catalogne, les trente mille hommes du prince Eugène, les quinze mille hommes de l'armée d'Augereau que la perte de Lyon vient de rejeter sur les Cévennes, enfin les nombreuses garnisons des places frontières et l'armée du général Maison sont encore des points d'appui redoutables sur lesquels il peut se concentrer avec les vingt-cinq mille hommes de la garde qui lui restent à Fontainebleau. Il fallait partir et se retirer sur la Loire.

Les trois négociateurs se récrièrent contre l'impossibilité de l'exécution d'un pareil plan, chacun avec la nuance de son caractère: Macdonald avec une dignité calme et respectueuse, Caulaincourt avec la conviction douloureuse d'un dévouement sans illusion, Ney avec l'impatience d'une résolution prise. La chimère, c'était la possibilité de la guerre; l'évidence, c'était la nécessité de la paix. De minute en minute, elle devenait.

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