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Le Congrès de Vienne est le grand acte diplomatique du dix-neuvième siècle, il a refait la carte de l'Europe. Après la chute de l'Empire français, trente-trois millions d'âmes, vaste épave du genre humain, restaient à répartir entre les puissances victorieuses; le Congrès accomplit cet œuvre; il le fit quelquefois avec passion, avec égoïsme peut-être, mais il vint à bout d'un œuvre remarquable, l'acte définitif du 9 juin 1815.

On chercherait en vain dans les fastes les plus gigantesques de l'histoire, une situation semblable à celle de l'Europe en 1815. Quand l'Empire romain fut dépecé, les peuples du Nord s'en partagèrent les dépouilles, et de là naquirent les grandes monarchies modernes; l'Empire de Charlemagne tomba sous ses faibles successeurs, et de cette décadence sortit la fière et sauvage féodalité.

Mais à Vienne, en pleine civilisation, la statistique en main (cet élément tout nouveau), le Congrès procéda à une répartition de peuples comptés par tête dans le troupeau un peu confus des nationalités perdues ou dédaignées. Le but, le mérite du présent Recueil est de nous faire assister par des documents jusqu'ici pour

la plupart inconnus, à la reconstruction pénible de la carte de l'Europe échancrée, déchiquetée par les prétentions les plus mobiles, les plus diverses.

Il serait impossible d'écrire les annales du Congrès de Vienne si l'on ne retraçait rapidement quelques pages des derniers jours de l'histoire diplomatique de l'Europe sous Napoléon. Tout se lie dans la marche des événements; on n'expliquerait jamais les actes du Congrès si l'on ne jetait un regard rétrospectif sur les événements terribles de 1812 et de 1813. Les Congrès de Prague et de Châtillon préparèrent le Congrès de Vienne, comme les fatalités de Waterloo furent la cause des Traités de 1815. Il faut donc donner place à cette triste histoire du passé.

Au commencement de l'année 1812, l'empereur Napoléon fermement décidé à la guerre contre la Russie, voulut s'assurer l'alliance de la Prusse, soumise alors à sa prépondérance souveraine; il signa le 24 février 1812 un Traité particulier par lequel le roi FrédéricGuillaume s'obligeait à fournir trente mille hommes, comme corps auxiliaire; l'article VIII portait : « Dans le cas d'une heureuse issue de la guerre contre la Russie, si malgré les vœux et les espérances des Hautes Parties contractantes, elle venait à avoir lieu, S. M. Impériale s'engage à procurer à S. M. le roi de Prusse une indemnité en territoire pour compenser les sacrifices et charges que Sa Majesté aura supportés pendant la guerre1. »

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Le Traité avec l'Autriche, signé le 14 mars 1812 était plus intime encore, et pour ainsi dire l'expression d'une alliance de famille; l'Autriche s'obligeait également à fournir un contingent de trente mille hommes, et il était dit dans l'article V : « Que si par suite de la guerre le royaume de Pologne venait à être rétabli2, l'empereur Napoléon garantirait à l'Autriche la possession de la Galicie, à moins qu'il fût dans sa convenance de l'échanger contre les provinces illyriennes; et, dans le cas d'une heureuse issue de la guerre, l'empereur Napoléon s'engageait à donner à l'Autriche un agrandissement de territoire qui non-seulement compenserait les sacrifices faits pour la guerre, mais qui constaterait l'union intime existant entre les deux Puissances3».

Le désastre de Moscou ayant amené les Russes sur les frontières de la vieille Prusse, une sourde agitation se fit sentir en Allemagne; les sociétés secrètes organisées par Schill et Arndt en 1808 (le Tugendbund), indépendantes des volontés du roi, agirent en dehors du ca

1. Ce Traité fut signé par M. Frédéric-Guillaume, baron de Krusemarck et M. Hugues-Bernard Maret, duc de Bassano.

2. Il n'existait alors que le grand-duché de Varsovie aux mains du roi de Saxe. 3. Le Traité fut signé par le général comte de Bubna au nom de l'Autriche.

binet et le lieutenant général d'York signa sous sa propre responsabilité, une convention de neutralité avec le général major de Diebitsh commandant le corps russe qui menaçait la Prusse du Nord'.

Cette convention fut d'abord hautement désavouée à Berlin. M. de Saint-Marsan, alors ambassadeur de France auprès du roi de Prusse, dans une de ses dépêches adressée au cabinet des Tuileries (7 janvier 1813), annonça : « Qu'il avait eu une audience du Roi; ce prince lui avait paru parfaitement disposé pour le maintien de l'alliance française; à Berlin on proposait même le mariage du prince royal de Prusse avec une princesse de la famille impériale de France. »

Les événements marchaient si vite que ces bonnes dispositions furent bientôt oubliées; le chancelier d'État, baron de Hardenberg' prit une attitude décidément hostile à la France, el par un édit signé à Breslau (3 février 1813), une levée en masse fut ordonnée comme préliminaire des hostilités. Le 18, par le Traité de Kalisch, la Prusse s'alliait à la Russie, qui de son côté s'engageait : « A ne déposer les armes que lorsque la Prusse serait reconstituée dans ses proportions statistiques, géographiques et financières d'avant la guerre de 1806. » Article tant de fois rappelé au Congrès de Vienne.

Par suite de ce Traité la Prusse prit ouvertement le rôle d'ennemie. M. de Hardenberg déclara officiellement au duc de Bassano : « Que depuis l'arrivée des troupes russes sur ses frontières, il n'était plus possible de maintenir l'alliance française, ni même la neutralité, et que le seul salut pour la Prusse était dans l'alliance avec la Russie, alliance qui devait amener une paix fondée sur les droits et les intérêts de tous. »

Tandis que le cabinet de Berlin faisait ainsi défection au Traité de février 1812, l'Autriche modifiait également les conditions de son alliance avec la France. Le corps autrichien, sous le commandement du prince Schwartzenberg, avait opéré pendant la campagne de Russie en Galicie et au milieu de la Lithuanie, dans une entente parfaite avec l'armée d'invasion; mais, lorsque les désastres commencèrent, le corps autrichien garda une position neutre. Napoléon, passant à Dresde, avait écrit une lettre autographe à l'empereur d'Autriche, dans les termes de la plus haute intimité; il lui demandait d'ajouter un corps auxiliaire à celui du prince Schwartzenberg afin de contenir les Russes qui débordaient les frontières de la Pologne.

1. 30 décembre 1812.

2. Philippe Asinaï, marquis de Saint-Marsan, né le 10 décembre 1768 à Turin d'une famille originaire du Languedoc, fut depuis ministre du roi de Sardaigne. Il

est mort en 1828.

3. Charles-Auguste baron, puis prince de Hardenberg, né dans le Hanovre le 20 mai 1750, mourut en Italie après le Congrès de Vérone en 1823.

Le cabinet de Vienne était alors sous la direction du ministre habile qui avait préparé l'alliance de famille (le mariage de l'empereur Napoléon avec l'archiduchesse Marie-Louise): le comte, depuis prince de Metternich'. Jeune encore, longtemps ambassadeur à Paris, il avait conservé une certaine affection pour les idées françaises et une méfiance de la politique russe; il avait craint comme le prince de Kaunitz, son prédécesseur, les empiétements et les ambitions du cabinet de Saint-Pétersbourg en Orient et en Occident.

Mais le comte de Metternich pressentait aussi que le désastre de Moscou porterait un coup fatal à l'autorité diplomatique de la France. Le rôle de l'Autriche lui paraissait dès lors tout tracé; elle devait profiter de la circonstance présente pour reconstituer la monarchie dans les meilleures conditions possible; la domination de la France sur l'Allemagne devait cesser et la Confédération du Rhin se dissoudre, le maréchal Kutusow l'avait hautement déclaré dans une proclamation solennelle adressée aux Allemands. En un mot il fallait rendre à l'Europe l'équilibre qu'elle avait perdu depuis la Révolution de 1792, conquérante et propagandiste.

L'ambassadeur français à Vienne était le comte Otto, diplomate plein d'expérience et de connaissances pratiques; il avait commencé sa carrière sous M. de la Luzerne, comme secrétaire de légation à Munich; issu d'une famille honorable, M. Otto avait continué ses fonctions diplomatiques durant la révolution française, et il avait suivi l'abbé Sièyes à Berlin. Sous le consulat M. Otto signa les préliminaires du Traité d'Amiens avec l'Angleterre; ensuite ministre à Munich, il avait montré beaucoup de zèle et d'intelligence; il en fut récompensé par l'ambassade de Vienne.

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M. de Metternich traitait le comte Otto avec considération; dans ses entretiens particuliers, il ne lui dissimulait pas l'état de l'opinion en Allemagne; il lui répétait incessamment : « Que des propositions de toute espèce étaient faites à l'Autriche pour quitter l'alliance française; une faction d'aristocratie portait déjà M. Stadion au ministère (M. Stadion tout dévoué à l'Angleterre): « Que lui, M. de Metternich, n'était pas de ces hommes qui croyaient la puissance de la France détruite par la campagne de 1812, mais qu'il fallait à tout prix réaliser la paix.» (Dépêche de M. Otto, avril 1813.)

Dans une autre dépêche, le comte Otto annonçait le départ de M. de

1. Clément-Winceslaus, comte, puis prince de Metternich, né à Coblentz le 15 mai 1773. Voyez sa notice dans mes Diplomates européens.

2. Louis-Guillaume Otto, comte de Mosloy, né dans le duché de Bade en 1754, mort à Paris en 1817.

3. Philippe, comte Stadion, né à Mayence 18 juin 1763, déjà ambassadeur en Suède à 24 ans, premier ministre lors de la guerre de 1809, puis ministre des finances, mort à Bade en 1824.

Wessenberg, chargé d'une mission de l'Autriche en Angleterre ; M. de Wessenberg était un homme sage, discret; sa mission était toute pacifique et de conciliation. En même temps M. de Stackelberg, envoyé russe, arrivait à Vienne. M. de Metternich l'avait annoncé à M. le comte Otto. Les prétentions de la Russie étaient si grandes que M. de Metternich en avait raillé les exagérations avec cet esprit pratique qui voulait amener une solution à tout prix. « Tenez, mon cher Stackelberg, lui avait dit le ministre autrichien, vous ressemblez à un homme qui voit le jour pour la première fois, après avoir été enfermé six mois dans une chambre obscure; ce grand jour vous éblouit. Croyez bien que nous voyons plus clair, et ne revenons pas à des projets qui ne peuvent être les nôtres. Le système de notre Empereur est inébranlable et loin de chercher des agrandissements, qui, par une seule campagne seraient trop chèrement achetés, il ne veut que la paix; il vous propose d'y concourir. Nous avons déjà sondé à cet égard les dispositions de la France, et nous les avons trouvées favorables à nos vues. »

A travers toutes ces paroles habilement façonnées on devait reconnaître que la situation était tout à fait changée. L'Autriche, atténuant peu à peu son alliance avec la France, n'offrait plus désormais ses armes pour la soutenir; elle sortait du Traité de 1812 pour prendre une attitude nouvelle celle de la médiation. Si elle envoyait à Paris le comte Bubna', M. de Wessenberg, allait en même temps à Londres et M. de Metternich recevait M. Stackelberg envoyé par la Russie. L'Autriche esperait se poser comme puissance médiatrice, pour se réserver une certaine domination sur les événements; elle voulait la paix, mais avec les avantages naturels qui devaient revenir à sa monarchie par la marche des événements. Le général comte de Bubna, chargé d'une mission à Paris, résumait la pensée du cabinet de Vienne en ces termes : « L'Autriche proposait une modification au Traité d'alliance avec la France pour rester plus libre, plus désintéressée, comme médiatrice dans les négociations qui allaient s'ouvrir: la Russie et la Prusse ne pourraient croire à son impartialité, si l'alliance intime continuait à exister entre le médiateur et l'une des parties belligérantes. Cette situation nouvelle fut acceptée dans une note de M. de Bassano avec quelques restrictions; et, après la signature de l'armistice de Pleiswitz, le comte de Metternich commença son rôle de médiateur auquel il aspirait depuis les batailles de Lutzen et de Bautzen. Alors seulement il fut question d'un Congrès et le duc de Bassano2

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1. Ferdinand, comte de Bubna-Littiz, d'une grande famille bohémienne, servait depuis l'âge de quatorze ans; il fut mêlé à toutes les négociations diplomatiques; il était prononcé pour l'alliance française.

2. M. Maret, duc de Bassano, né à Dijon en 1763, journaliste du Logographe à la

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