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V.

EPITRE A TIMON.

5 septembre 1848.

Pourquoi je vous adresse cette épître? - Je vais vous le dire.

Ce n'est pas parce que la Constitution est votre fille; ce n'est pas que j'en sois éperdûment épris; non; c'est qu'il ne faut pas être doué d'un grand fonds de sagacité pour reconnaître, dans votre petit pamphlet sur la Constitution, que si la trame de la Constitution était encore à ourdir, ce serait une œuvre dont vous laisseriez à d'autres mains que les vôtres le labeur et la responsabilité. Et vous feriez bien! Déjà vous ne pouvez vous empêcher de vous écrier: « La » Constitution est trop réglementaire, trop longue d'un tiers, » de moitié peut-être... » Sous ce que vous dites, apparaît tout ce que vous ne dites pas ! convenez-en: mon avis est le vôtre. Pourquoi donc n'en conviendriez-vous pas ? M. Ledru-Rollin s'est-il gêné pour traduire à la tribune, dans la séance du 25 août 1848, ma pensée en ces termes : « Des » constitutions! nous en avons dans nos lois à en défrayer tous » les peuples du monde. Ce sont des institutions sociales qu'il » nous faut. » Page 12 de votre petit pamphlet, je lis : « La » première fois que je proposai le direct et l'universel, on se »prit d'un rire fou, et l'on me fit voir sur tous les modes de la » lyre ministérielle que j'étais un homme absurde... » C'est aussi ce qui m'est arrivé, le 13 juin 1848, la première fois que j'eus l'indiscrétion de poser à mes lecteurs stupéfaits, ébahis, presque indignés, cette petite question imprimée en grosses lettres :

POURQUOI UNE CONSTITUTION?

Quel ne fut pas le redoublement de surprise et d'indignation lorsque, le lendemain, j'ajoutai:

POURQUOI UN POUVOIR IRRESPONSABLE ET SUPÉRIEUR?

C'est pour le coup qu'ils se demandèrent si je les prenais au sérieux, et si d'aventure je ne me moquais pas d'eux. Ce fut bien pis encore lorsque, le surlendemain, je ne craignis pas d'affirmer ce qui suit:

LA CONSTITUTION EST FAITE.

Tout ceci s'exprimait, se débattait, s'éclaircissait, se démontrait du 13 au 21 juin 1848, entre la Pentecôte et la Trinité, il y a de cela à peine deux fois quarante jours, et ce temps a suffi et au delà pour que ce qui avait d'abord 'semblé un énorme paradoxe devînt une plate banalité.

Maintenant, c'est moi qui suis confus, ébabi, presque indigné de ne plus trouver de contradicteurs. C'est vainement que j'en cherche ! Je ne rencontre que des gens de mon avis. Ce serait à me donner le désir d'en changer. De toutes parts l'écho importun me renvoie mes paroles:

« Pourquoi une constitution?

» Pourquoi un pouvoir irresponsable?

» La constitution est faite. »

Je m'abusais au point de croire que j'avais fait sortir de son fourré quelque vérité sauvage, armée de crocs et de défenses comme un sanglier; pas du tout à peine a-t-elle franchi le buisson, déjà l'indigne était apprivoisée, familière... au lieu de fuir elle suivait. Pascal a dit : « Un mé

ridien décide de la vérité... Vérité en deçà des Pyrénées. » Erreur au delà. » Il ne serait pas moins vrai de dire, au temps où nous vivons: Vérité ce matin, Vulgarité ce soir. S'élancer sur une vérité et tomber sur une vulgarité! Quelle chute! quel saut de Leucade ! quelle confusion!

Depuis la malheureuse abolition de l'inquisition, c'est le triste sort auquel sont exposés les plus aventureux explorateurs à la recherche des vérités inconnues ou méconnues. O le beau temps que celui où la vérité échappait à la vulgarité par la persécution! O Galilée, que tu fus bien inspiré

de naître au seizième siècle! Aujourd'hui, tu ne serais pas même sûr qu'on te fit l'honneur de te contredire.

Il n'y a plus qu'une voix pour convenir qu'on eût mieux fait de s'en tenir tout bonnement à ces deux lignes et à ces cinq mots qui disaient tout:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ.

Le choix du président eût été l'affaire d'un jour. Il y aurait trois mois au moins qu'il n'en serait plus question. Le 15 mai n'eût pas ouvert aux citoyens Albert et Barbès les portes de Vincennes et visé pour Londres les passeports des citoyens Louis Blanc et Marc Caussidière. Le mois de juin (c'est le mois où le soleil entre dans le Cancer), déjà marqué à l'épaule par l'état de siége de 1832, ne fût pas tombé en récidive. Le provisoire ne se fût pas prolongé, et le crédit ne s'en porterait pas plus mal. Incertitude et confiance sont deux ennemies mortelles. Le moyen de rendre au travail son cours interrompu, c'était de ne pas perdre de temps en discussions sans fruit, c'était de donner le bon exemple, c'était d'aller vite en besogne et droit au but. C'est ce qu'on n'a pas fait.

On a mal fait.

Réunie le 4 mai, c'est le 4 septembre seulement que l'Assemblée nationale a ouvert la discussion sur le projet de Constitution.

Cent vingt jours ont été nécessaires pour la mettre au monde. Pendant ce temps, deux fois la République a failli • périr!

Et comment ce projet vient-il au monde ?

Avec deux têtes.

Le projet, tel qu'il a été présenté par la commission dans la séance du 19 juin, diffère essentiellement du projet tel qu'il a été présenté dans la séance du 30 août.

A la première déclaration des devoirs et des droits, a été substituée une déclaration toute nouvelle, conçue dans un

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tout autre esprit, quoi qu'en puissent dire le rapport et le rapporteur, M. Armand Marrast.

Qui le sait mieux que vous, citoyen Timon, qui présidez la commission du projet de Constitution!

Qu'est-ce que cela prouve ?

Je vous le demande.

Cela ne prouve-t-il pas qu'avant même que la Constitution ait été votée, on a déjà reconnu la nécessité de la faire autrement?

Mais si elle eût été votée avant les journées de juin?
Je me borne à poser la question.

Maissi, le lendemain du jour où elle sera promulguée, elle rencontre dans le jeu de son appareil des complications ou des résistances qui l'empêchent de fonctionner, que fera-ton? S'empressera-t-on d'en appeller à une nouvelle Assemblée constituante, dite Assemblée de révision?

Autre question.

En ne faisant pas de Constitution, on échappait à la difficulté d'une déclaration des devoirs et des droits, on échappait au danger des ratures. Il y a des mots qui se gravent d'autant plus profondément dans la mémoire du peuple, qu'on a mis plus de jours à les effacer de la feuille de papier destinée à grossir la collection des lois.

Le droit au travail est un de ces mots.

L'avoir écrit était peut-être une grande imprudence, l'avoir rayé en est une plus grande encore!

Il ne faut pas connaître le peuple pour ignorer que son esprit n'aura de repos qu'après avoir ressaisi ce qu'il avait considéré comme le prix de sa victoire, en février 1848. Le droit au travail, c'est sa rive gauche du Rhin. Plus on le lui disputera, plus il y tiendra.

Jamais il ne considérera comme sienne une constitution au frontispice de laquelle ces mots ne seront pas inscrits: Droit au travail.

Ces mots étaient dans le projet de la constitution du 19 juin; ces mots ont disparu de la constitution du 30 août. Ils y formeront un vide.

C'est de cette cavité que sortira implacable la révolution nouvelle.

C'est dans cette cavité que se donneront rendez-vous tous les partis irrités, toutes les ambitions déçues.

Quiconque entreprendra de soulever le peuple, le soulèvera encore avec ces mots tout-puissants: Droit au travail. Les avoir mis pour les ôter, les avoir ôtés pour les remettre, trois fautes! Ne pas les remettre, péril.

Vous avez raison d'insister.

Après tout, de quoi s'agit-il? il s'agit de savoir si on reculera plus loin que 1775, si on désavouera Turgot s'exprimant ainsi :

« Dieu, en donnant à l'homme des besoins, et lui rendant nécessaire la ressource du travail, a fait du droit de travailler la propriété de tout homme, et cette propriété est la plus sacrée et la plus imprescriptible de toutes. »

Il s'agit de savoir si l'on mettra Henri IV et Napoléon au ban des anarchistes, communistes ou socialistes.

Napoléon, dont la pensée fixe était l'extinction du paupérisme;

Henri IV, dont le rêve était que chacun de ses sujets pût mettre la poule au pot.

L'œuf d'où cette fameuse poule doit sortir est encore à pondre.

Ce n'est pas le temps cependant qui aura fait défaut, car déjà se sont écoulés deux cent cinquante ans.

Deux cent cinquante ans, ce n'est rien dans l'existence d'un peuple. Non! c'est le temps que mettent à vivre de misère et à mourir de faim huit générations!

« Le droit au travail est celui qu'a tout homme de vivre en » travaillant. »

Telle est votre définition.

Voici la mienne :

Le droit au travail, c'est le devoir pour qui gouverne d'ètre vigilant, prévoyant, supérieur, d'aimer cordialement le peuple et de haïr non moins cordialement ses trois ennemis mortels, qui excellent à s'insinuer dans les chairs de tout

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