Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

donc bien sûr de n'avoir à vous reprocher envers eux aucun tort grave ?

Je défends le suffrage universel au même titre que je défends la liberté mutuelle. Je ne les sépare pas. Je ne sépare pas ce qui est inséparable. En effet, comment concevoir le même droit pour chacun sans concevoir le même droit pour tous ?

M. de Montalembert, cela est manifeste, ne comprend qu'imparfaitement la Liberté; comprend-il mieux le Pou

voir?

1852.

LE POUVOIR DIVISÉ.

5 novembre 1852.

M. de Montalembert ne pense pas des assemblées délibérantes ce qu'en pensait Montesquieu s'exprimant ainsi :

Il semble que les têtes des plus grands hommes s'étrécissent lorsqu'elles sout assemblées, et que là où il y a plus de sages il y ait aussi moins de sagesse. Les grands corps s'attachent toujours si fort aux minuties, aux formalités, aux vains usages, que l'essentiel ne va jamais qu'après. J'ai ouï dire qu'un roi d'Aragon ayant assemblé les États d'Aragon et de Catalogne, les premières séances s'employèrent à décider en quelle langue les délibérations seraient conçues. La dispute était vive, et les États se seraient rompus mille fois si l'on n'avait imaginé un expédient, qui était que la demande serait faite en langage catalan et la réponse en aragonais. >>

M. de Montalembert ne comprend que la Liberté contenue et le pouvoir divisé.

Le Pouvoir impuissant et la Liberté stérile: tel est son idéal.

Le Pouvoir viril et la Liberté féconde: - tel est le mien. Pouvoir divisé, suffrage restreint, liberté contenue : telle est sa formule.

Pouvoir révocable, suffrage universel, liberté mutuelle : telle est la mienne.

Entre ces deux formules, entre ces deux causes, l'expérience, cet inexorable juge d'instance et d'appel, a déjà prononcé; deux fois il a condamné, en instance et en appel,

ΧΙ.

21

[graphic]

le Pouvoir divisé, cet arbre transplanté d'Angleterre en France, ayant pour faible racine le suffrage restreint et pour aigre fruit la Liberté contenue. Deux fois un souffle a suffi, le 27 juillet 1830 et le 24 février 1848, pour le déraciner et le renverser. Partout on voit qu'il souffre et qu'il se meurt en Angleterre, en Belgique, en Piémont, en Espagne, en Portugal.

[ocr errors]

Il se peut que le gouvernement parlementaire ait eu sa raison d'être, sa légitimité. Mais alors il l'a perdue. Il ne suffit plus aux nécessités nouvelles, maintenant qu'il faut disserter moins et agir plus, maintenant que la discussion a moins à faire que l'expérimentation.

M. de Montalembert, ce Pierre l'Ermite prêchant la croisade en faveur du gouvernement dont il n'existe plus que le sépulcre, M. de Montalembert parvint-il à relever la tribune parlementaire dont il déplore si vivement la chute, ce serait là un pas en arrière plutôt qu'un pas en avant.

Non, ce qu'il faut souhaiter et demander, ce n'est pas la résurrection du Pouvoir divisé, du pouvoir impuissant; ce qu'il faut demander et souhaiter, c'est la séparation rationnelle, logique, nécessaire, entre ce qui est du domaine privé et ce qui est du domaine public, entre ce qui est le droit de l'être individuel et ce qui est le droit de l'être collectif.

Une telle séparation est-elle donc difficile? Elle l'est infiniment moins que la séparation entre le Pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Assurément il est plus facile de tracer, droite et nette, la ligne de démarcation entre le Pouvoir individuel et le Pouvoir collectif, qu'entre le Pouvoir spirituel et le Pouvoir temporel.

La législation criminelle des nations civilisées reconnaît pour principe que les lois pénales et les lois civiles se meuvent dans deux orbites distincts: l'un qui s'appelle statut territorial; l'autre qui se nomme statut personnel. Ainsi, le Français qui vit à l'étranger est assujéti aux lois pénales de l'État où il réside: c'est là ce qui forme le statut territorial; mais partout le suit l'obligation d'obéir aux prescrip

tions des lois civiles de son pays natal; c'est là ce qui forme le statut personnel. Opérant par voie d'analogie, serait-il donc impossible de faire au dedans ce qu'on a fait au dehors, de tracer deux orbites, deux statuts :- le statut territorial, qui comprendrait tout ce qui est essentiellement indivisible, conséquemment public, et le statut personnel, qui comprendrait tout ce qui est essentiellement divisible, conséquemment privé?

En tout cas, ne pourrait-on l'essayer?

On a essayé de diviser ce qui était indivisible, on a essayé de diviser le Pouvoir en pouvoir législatif et en pouvoir exécutif; antérieurement, on avait essayé de le diviser en pouvoir temporel et en pouvoir spirituel, pourquoi n'essaierait-on pas de séparer ce qui est naturellement distinct et ce qu'on n'aurait jamais dû confondre le Pouvoir individuel et le pouvoir collectif? Où serait l'obstacle?

La preuve matérielle et manifeste de la justesse de cette séparation, c'est qu'aussitôt qu'on l'opère, le double nœud du temporel et du spirituel se dénoue de lui-même. L'homme de foi relève de sa foi au même titre et de la même manière qu'il relève de sa raison. Le Pouvoir public n'a rien à y voir, rien à y reprendre. La religion est essentiellement de droit personnel; elle ne saurait être logiquement de droit territorial. Il n'y a pas de science d'État; pareillement, il ne doit pas y avoir de religion d'Etat. La foi, comme la science, forme et doit former un empire sans frontières. Avant d'être Français, le catholique fervent est et doit être catholique, comme, avant d'ètre Anglais, le protestant sincère est et doit être protestant.

Cette séparation admise, on ne verrait plus ce qu'on a vu: on ne verrait plus un roi se nommant Louis XIV imposer sa religion à coups de sabre de dragons : « Sa Majesté » veut qu'on fasse sentir les dernières rigueurs à ceux qui » ne voudront pas suivre sa religion (1); » on ne verrait plus ce roi adultère, persuadé par sa maîtresse que « le vrai moyen

(1) Lettre de Louvois, citée par M. de Montalembert.

[graphic]

» d'expier ses péchés c'est de rendre tout son royaume ca»tholique, » condamner à la torture, au bagne, au bannissement, à la roue, au feu, à la mort, quatre millions de Français coupables ou seulement suspects d'avoir chanté les hymnes de David en français; on ne verrait plus ce même roi prétendu catholique se mettre au-dessus du pape, se poser en chef de doctrine et intervenir pour prescrire, par l'ordonnance de 1682, ce que la théologie devra désormais enseigner et ce qu'elle devra s'abstenir de professer, le tout pour aboutir à partager les catholiques de France en gallicans et en ultramontains; on ne verrait plus ce qu'on voit: ici les catholiques opprimés par les protestants; là les protestants opprimés par les catholiques; il ne serait plus interdit aux catholiques de Mecklembourg de faire célébrer l'office divin dans une maison particulière par un prêtre voyageur (ordonnance du 10 mars 1852), et aux protestants de Toscane de lire ou de faire lire la Bible en langue vulgaire sous 'peine des travaux forcés (arrêt rendu contre les époux Madiaï en juin 1852). Être paisiblement assis autour d'une table pour lire un chapitre de l'Evangile de saint Jean sur la traduction italienne attribuée à Jean Diodati ne serait plus puni comme un crime (1).

(1) Extrait du registre des délibérations du conseil de préfecture du département de Florence.

(Séance du 16 mai 1851.)

« Attendu qu'il est constant que, dans la soirée du 7 mai courant, les nommés Fidele Betti, le comte Pierre Guicciardini, César Magrini, Angiolo Guarducci, Charles Solaini, Sabatino Borsieri et Joseph Guerra ont été surpris assis autour d'une table chez ledit Fidele;

» Attendu qu'il résulte des déclarations des prévenus eux-mêmes qu'en cet instant le comte Pierre Guicciardini lisait et commentait un chapitre de l'évangile de saint Jean, sur la traduction italienne attribuée à Jean Diodati;

» Attendu qu'il y a des preuves suffisantes que cette lecture et ce commentaire n'avaient d'autre but que d'inspirer des sentiments et des principes religieux contraires à ceux de la religion catholique, apostolique et romaine;

» Vu l'article 2 du décret du 25 avril 1851, le conseil ordonne l'emprisonnement pour six mois du comte Guicciardini à Volterra, de César Magrini à Montieri, d'Angiolo Guarducci à Ciuncarico, de Fidele Betti à Orbitello, de Charles Solaini à Cinigiano, de Sabatino Borsieri à Rocca Strada, et de Joseph Guerra à Piombino.

» Pour copie conforme :

» Pour le secrétaire,

» A. SAMBUCHI, premier commis. »

« ZurückWeiter »