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1852.

LIBERTÉ DU POUVOIR ET POUVOIR DE LA LIBERTÉ.

I.

10 avril 1852.

Le Pouvoir électif a des avantages que ne possède pas le Corps législatif. Nous ne cesserons de déplorer que le régime des assemblées délibérantes ait été rétabli par la Constitution du 14 janvier 1852, et que la Constitution promise ne soit pas restée à l'état de Testament qui eût été ouvert seulement le lendemain du jour où il y aurait eu lieu de procéder à la nomination d'un nouvel élu. La Constitution de l'an VIII avait été expérimentée; la Charte de 1814, la Charte de 1830, la Constitution de 1848, avaient succombé; il y avait à essayer d'un régime nouveau qui fût aux régimes anciens ce que le chemin de fer est aux relais de poste. Ce régime nouveau, c'était le suffrage universel opérant dans toute sa puissance et dans toute sa simplicité. Le 20 décembre 1851, on a cotoyé ce régime comme M. Léon Faucher, attaquant l'impôt sur le revenu, a cotoyé l'impôt sur le capital. Que ne s'y est-on arrêté?

II.

19 avril 1852.

Le Pays, expliquant pourquoi le régime parlementaire

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est tombé en France, établit cette distinction entre le régime parlementaire et le régime réprésentatif :

Qu'est-ce que le régime parlementaire? qu'est-ce que le régime représentatif?

Le régime parlementaire est le droit de souveraineté d'une assemblée gonvernant par un pouvoir exécutif subordonné à toutes ses volontés.

Le régime représentatif est le droit de contrôle d'une assemblée, votant le budget et les lois. >>

Cette distinction est plus subtile que réelle, et le rédacteur en chef du Pays ne se fût probablement pas hasardé à l'esquisser, s'il avait lu ce que disait l'empereur sur le Corps législatif, dans le sein du Conseil d'État, le 1er décembre 1803, le 7 février 1804, le 20 mars 1806, le 9 janvier 1808, et ce qu'il dicta à Sainte-Hélène. Les écrivains font des phrases; mais lorsqu'elles sont contraires à la vérité des choses, les événements les effacent.

M. Pelet (de la Lozère) raconte qu'en l'an XII trois conseillers d'État furent chargés de l'examen d'une «< question bien extraordinaire, » celle de la suppression du Corps législatif, et que la majorité fut pour la suppression.

La Majorité avait raison, et ce qui s'est passé en 1815 l'a pleinement prouvé.

On lit dans le Mémorial de Sainte-Hélène :

« Nous avons demandé à l'empereur si, avec le concours du Corps législatif, il eût cru pouvoir sauver la patrie. Il a répondu sans hésitation qu'il s'en serait chargé avec confiance, et qu'il eût cru pouvoir en répondre. »

Il n'existe, dans la réalité des choses, que deux régimes: le régime électif et le régime héréditaire. Sous l'un comme sous l'autre de ces deux régimes, le pouvoir de fait, la souveraineté effective, finit toujours par appartenir à qui vote le budget et les lois.

Le 14 janvier 1816, l'empereur disait à M. de Las Cases les paroles suivantes :

A quoi bon des assemblées sous le roi ? C'est de sa part une fante de plus; elles ne font qu'éveiller, il fallait endormir. Elles ne seront composées que de ses affidés, dit-on, soit ; mais qu'en peut-il attendre? Croit-il qu'elles lui donneront du crédit dans la nation? Elles seront anti-nationales

si elles marchent avec lui; furieuses dans leurs réactions, elles le porteront plus loin qu'il ne voudra; si, au contraire, elles témoignent la moindre opposition, elles le gêneront dans sa marche. Jamais les assemblées n'ont réuni prudence et énergie, sagesse et vigueur. »>

Que pense le Pays de ces paroles de l'Empereur ? « Une >> assemblée qui a le droit de voter le budget et les lois, » a conséquemment le droit de les refuser; donc, c'est elle qui, en fait, est souveraine. Elle peut, sous la pression de circonstances passagères, ajourner l'exercice de sa souveraineté, mais il n'est jamais qu'ajourné. Si nous avons tort en soutenant cette opinion, que le Pays, en soutenant l'opinion contraire, nous démontre donc qu'il a raison ! Qu'il refasse l'Histoire !

III.

25 avril 1852.

Le Siècle exprime la joie que lui a fait éprouver la réalisation de l'espoir qu'il avait manifesté. Il avait manifesté « l'espoir que le Corps législatif prendrait, par la force des >> choses, une importance qui le mettrait au moins au ni» veau des assemblées de la monarchie. Cet espoir était >> fondé sur les antécédents du pays et sur la logique in>> vincible des circonstances. » Eh bien, le Corps législatif, dans l'ordre hiérarchique officiel, précédera le conseil d'État et ne le suivra pas. Un décret de préséance l'a ainsi réglé. La joie du Siècle n'a pas gagné la Presse. Plus que jamais elle persiste à demander ce que le Corps législatif, précédé par le Sénat, fera de plus et de mieux que ce que le Pouvoir électif, assisté par le Conseil d'État, eût pu faire?

IV.

26 avril 1852.

Le Pays et le Constitutionnel ne sont pas d'accord sur le

rôle respectif du Corps législatif et du Conseil d'État. Qui a tort? Qui a raison? A notre avis, ils n'ont raison ni l'un ni l'autre. Ils placent la question où elle n'est pas et ils ne la placent pas où elle est. Leurs dissertations nous rappellent ces savantes consultations que Me Jouhaud, avocat des maîtres de poste, faisait distribuer à profusion chaque année, à la Chambre des députés, et insérer dans les journaux au prix du tarif d'annonces. Malgré ces consultations, les chemins de fer n'en ont pas moins fini par gagner leur cause contre les relais de poste, sans procès, sans plaidoiries, sans jugement, sans appel, sans pourvoi et sans indemnité. Eh bien! les Assemblées législatives sont au pouvoir administratif issu du suffrage universel ce que sont les relais de poste, où l'on parcourt un myriamètre à l'heure, au chemin de fer qui franchit quatre fois la même distance dans le même temps, en transportant des milliers de voyageurs et des milliers de tonnes de marchandises. Le Pouvoir électif, tel qu'il a fonctionné du 21 décembre 1851 au 29 mars 1852, c'est le gouvernement accéléré. Seulement, il ne faut pas qu'il sorte des rails. Ses deux rails sont :

I. La séparation absolue entre ce qui est du domaine de la puissance individuelle et ce qui est du domaine de la puissance indivisible;

II. L'indépendance réciproque du pouvoir administratif et du pouvoir judiciaire, le premier rendant des décrets et le second rendant des arrêts.

Aussitôt que cette séparation absolue et que cette indépendance réciproque auront prévalu, le gouvernement accéléré n'aura plus de périls; il n'aura plus que des avantages. Le Pays et le Constitutionnel cesseront de lutter tous les deux à celui qui fera passer l'autre par le trou d'une aiguille.

Si l'acte du 2 décembre a droit à la reconnaissance de la France, ce n'est pas pour l'avoir délivrée d'un péril que l'abrogation de la loi du 31 mai eût suffi pour conjurer pleinement, mais c'est pour l'avoir délivrée de cette forme de gouvernement où tout s'évaporait en discours, où rien ne

se condensait en actes, où l'on délibérait toujours pour n'agir jamais, forme condamnée en ces termes par Châteaubriand, cet ennemi déclaré de l'Impuissance autant qu'ami dévoué de la Liberté :

a Tout ouvrage qui demande du temps, du secret, une même main, n'est presque plus possible dans le gouvernement représentatif tel que l'esprit français l'a conçu. Pourrait-on suivre aujourd'hui les négociations compliquées et mystérieuses qui servirent au maître de Louis XIII à humilier la maison d'Autriche, en armant les protestants d'Allemagne après avoir écrasé ceux de la France, en faisant sortir Gustave-Adolphe du rocher de la Suède? Un grand esprit de cabinet n'est jamais sûr dans ce paysci de vivre au delà d'une session; il est obligé de perdre les trois quarts de sa journée à défendre misérablement sa personne. La longueur d'une administration actuelle est presque toujours le signe de sa médiocrité; elle ne dure que par un accord touchant d'impuissance entre le gouvernant et le gouverné. Les qualités qui font les ministres immortels excitent trop de jalousies; elles sont, d'ailleurs, rebelles et ne savent pas se plier aux caprices des grands. Tout le monde sait-il élever des pies-grièches? Que les hommes supérieurs se trouvent dénués du talent de la parole, ils demeurent à jamais perdus pour l'Etat. Or, cette faculté appartient assez généralement aux têtes vides. Richelieu muet serait obligé de céder la place à un légiste bavard... Beaucoup de Ximénès et d'Albéronis mourrout maintenant inconnus (1). »

De 1815 à 1851, quels fruits a porté le parlementarisme, cet arbre sans racines? Appellerait-on des fruits tant de paroles vaines, bruissement de feuilles mortes, n'aboutissant qu'à se contredire réciproquement et qu'à se démentir successivement?

V.

30 avril 1852.

Conflit est le nom qu'on donne au différend qui vient d'éclater entre le Pouvoir constituant du 20 décembre et le Pouvoir judiciaire rendant le jugement qu'il a rendu, il y a trois jours, relativement à l'application du décret du 22 janvier 1852. Le tribunal, présidé par M. de Belleyme,

(1) CHATEAUBRIAND. Congrès de Vérone, ch. 53, t. I, p. 393.

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