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mettre sous la protection de leur présence. Non, M. Mignet ne recherche aucune protection; il se protège lui-même, par un haut talent et par une réputation déjà faite, à l'âge où les autres la commencent; mais si le ministère public ne poursuit pas ceux des auteurs de la brochure qui se sont déclarés d'euxmêmes, sans doute c'est qu'il juge que la brochure est innocente. Sa plainte contre M. Mignet doit donc être rejetée.

L'ouvrage que vous allez juger, Messieurs, est un écrit de l'opposition, un écrit du parti populaire. Dans tous les lieux, dans tous les temps, les défenseurs du peuple se sont trouvés en présence des partisans de l'aristocratie; leur lutte perpétuelle a fourni des pages sanglantes à l'histoire de tous les pays. En France, après de longs et cruels débats, la Charte est venue, loi de paix et d'alliance, qui a dit aux deux partis de poser les armes et de se reconcilier. Fidèle à cette mission de paix, le gouvernement doit se renfermer dans la sphère des lois, et ne pas en protéger un au préjudice de l'autre. Pourquoi refuser à l'un d'eux le droit d'honorer la cendre de ses défenseurs? Un jour peut-être l'aristocratie aura aussi à consacrer la mémoire de ceux qui l'auront glorieusement servie. Qu'elle sache donc respecter aujonrd'hui les funérailles populaires ; qu'elle cesse d'engager continuellement des luttes de force et de puissance, et un jour s'établira entre toutes les classes de citoyens une noble émulation d'où sortiront la paix et la prospérité publiques.

DISCOURS

PRONONCÉ PAR M. MIGNET.

MESSIEURS,

Avant que mon défenseur prenne la parole pour vous démontrer que mes expressions n'ont pas dépassé la limite des lois, je vous dois quelques explications sur les sentimens dans lesquels j'ai rédigé l'écrit qu'on me reproche. Ces explications vous feront mieux connaître ma pensée, et vous permettront de la mieux apprécier. Je sais, Messieurs, que dans les temps de partis les mérites sont contestés, que les réputations ne sont pas plus convenues que les opinions, et que tel homme respectable pour les uns est loin de l'être pour les autres. Aussi, je ne prétends pas imposer à ceux qui ne pensent point comme moi la même estime pour les mêmes hommes; mais je leur demande la faculté que je leur accorde; car il doit être permis à chacun d'avoir ses sentimens et son culte. Quel qu'ait pu être M. Manuel pour un certain nombre de personnes, il était pour tous les hommes de mon opinion, pour tous les amis de la liberté, un citoyen élevé, courageux, éloquent. Pour moi il était plus encore; il était un compatriote, un ami précieux auquel je devais tous mes soins et tout mon attachement. Je lui souhaitais

une longue vie, parce que je croyais qu'elle serait utilement et glorieusement remplie. Mais quand cette vie a été sitôt terminée, j'ai souhaité ardemment que des hommages publics vinssent honorer sa cendre. Ces hommages, je les souhaitais pour l'honneur de ma cause et pour la mémoire de mon illustre compatriote. Je désirais que la France s'honorât elle-même en honorant un homme qui avait tant pris ses intérêts à cœur. Certainement, si j'avais pu communiquer mon émotion, et contribuer de ma plume à augmenter le concours, je l'eusse fait; mais les journaux ne s'appartiennent plus. On n'y peut plus rendre justice à un citoyen recommandable, ni déplorer la perte d'un ami. Il a fallu attendre du zèle seul et du zèle à peine averti, les marques de regret et de respect dont M. Manuel était digne. Ces témoignages n'ont cependant pas manqué; ils ont été touchans et unanimes; tous les amis de M. Manuel s'en sont réjouis, et ils auraient voulu que la France entière pût être témoin de la scène funèbre à laquelle ils assistaient.

Une nombreuse jeunesse se disputait l'honneur de porter le corps de M. Manuel. Quelque religieux que fût cet hommage, comme un règlement de l'autorité l'avait défendu, et que ce règlement, quoique injuste, ne pouvait être enfreint sans beaucoup de désordre, les amis de M. Manuel s'étaient entremis pour faire déposer le cercueil sur le char funèbre. Les jeunes gens avaient cédé avec déférence; mais, par une inspiration qni aurait dû paraître respectable puisqu'elle conciliait les règlemens de l'autorité avec le vœu irrépréhensible des assistans, après avoir renoncé à porter le cercueil, ils avaient voulu traîner le char. Le cortège s'avançait

avec ordre; sa marche était calme et silencieuse. Nous accompagnions les restes de M. Manuel, non comme des perturbateurs ou des rebelles, mais comme des amis affligés ou des admirateurs reconnaissans. Nous marchions ainsi sans trouble depuis deux heures, escortés par des troupes pacifiques comme nous, accompagnés par des magistrats qui, loin de blâmer ce que nous faisions, y donnaient une approbation, évidente, accomplissant un devoir sacré dans tous les pays et pas encore proscrit dans le nôtre, lorsque nous avons été tout à coup arrêtés par des escadrons de gendarmes. La vue de la force armée a changé le silence et le recueillement en tumulte. Sans qu'il y eût désordre ou désobéissance, sans que l'enthousiasme même pour la mémoire de M. Manuel eût rien de provocateur contre l'autorité, M. le préfet de police a fait cerner un cortège funèbre comme un attroupement séditieux, et a failli changer une cérémonie de paix et de deuil en une sanglante mêlée.

L'autorité est-elle donc dans son droit, quand elle veut commander et se faire obéir sans consulter les convenances de ses ordres et les frais de notre obéissance?

M. le préfet de police est averti que le cercueil n'est pas sur le char, mais qu'il est porté à bras. Il prescrit sur-le-champ qu'on envoie cinq cents sabres pour que victoire reste à ses ordonnances; il ne sait pas si le fait est vrai; si, le fait même étant vrai, il est possible de l'empêcher sans une catastrophe : il ordonne toujours. Cependant le fait est faux, le cercueil n'est point porté à bras; il est sur un char, et la lettre des réglemens est du moins exécutée. Des milliers d'hommes

entourent ce char. Après avoir fait une première concession, ils sont peu disposés à en faire une seconde. Leur nombre immense ne permet pas d'être entendu d'eux. Il n'y a qu'un moyen de communiquer avec eux, c'est de les sabrer. N'importe, M. le préfet de police, ignorant tout cela, veut être obéi et compromet la force armée en l'exposant à verser le sang des citoyens, pour exécuter un ordre autrement inexécutable. Cet ordre, Messieurs, était tel que la gendarmerie ellemême s'est arrêtée devant ses terribles conséquences; elle a renoncé à s'ouvrir le sabre à la main un passage à travers cette multitude, et à conduire triomphalement sur des cadavres le nouveau corbillard qu'elle amenait. Sans doute, si quelques milliers d'hommes en pleine rébellion, bravant l'autorité par une désobéissance audacieuse, eussent traversé les boulevards en tumulte, l'intervention de l'autorité eût été fondée, et son intérêt à être obéie, à quelque prix que ce fût, eût été pressant. Mais quand la lettre des règlemens était exécutée, quand un silence respectueux était partout gardé, et qu'au lieu de bravades, on ne voyait que des regrets, vouloir prescrire une dernière condition qui n'avait pas été préalablement imposée, qui n'était pas exigible, et le vouloir au risque d'une profanation et d'un massacre, était-ce, Messieurs, raisonnable, humain, politique?

Voilà, Messieurs, la véritable situation du public et de la police pendant cette circonstance des funérailles; elle a rempli tous les assistans d'un sentiment, qu'en narrateur exact des faits, je n'ai pas pu appeler autrement que l'indignation, et j'avoue qu'il n'y a pas de ménagement de langage qui puisse me faire trouver 'Tom XII.

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