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ment arrêta que, pour obtenir du ciel le triomphe du roi, on ferait, le 13 février, une grande et solennelle procession. On enjoignit donc à l'official d'avertir le clergé ; un docteur en théologie de l'Université, maître de Bretteville, fut chargé du sermon; tous les corps publics furent invités à se joindre à la Cour, et les crieurs publièrent à son de trompe, par toutes les rues et dans tous les carrefours, une défense aux habitants, sous peine de vingt écus d'amende, de se livrer « à aucune œuvre méchanique » pendant la durée de la procession. Rien ne fut omis de ce qui pouvait donner à cette démonstration le plus pompeux et le plus imposant caractère. Mais, le jour venu, quand il fallut ordonner la marche de ces nombreuses autorités, les rivalités mesquines, que la gravité des temps commandait d'oublier, se soulevèrent toutes ensemble, plus vives que jamais. Le recteur refusa de se joindre au cortége, « prétextant du grand nombre des membres de ladite Université, qui contient un grand lieu de sortie. » La Chambre des comptes s'en excuse également pour ne point céder le pas à la Cour des aides. Les autres corps se décident à rejoindre le Parlement, assemblé d'abord dans l'église St.-Sauveur pour se rendre ensuite à l'église St.-Pierre, où se faisaient alors les cérémonies publiques. Tout allait bien; mais, au moment de partir, voilà qu'une discussion surgit entre les greffiers et les notaires on se hâte de l'apaiser. Presqu'aussitôt les officiers du Présidial et le Corps de ville se querellent à leur tour; le Corps de ville l'emporte, et l'on croyait toutes les jalousies éteintes quand ces mêmes membres du Corps de ville et les officiers du Présidial, ennemis naguères, se réunissent soudain pour triompher des avocats et des procureurs du roi, qui prétendaient marcher avant eux. Il est à croire qu'on

ne serait jamais parti et que le jour se fût consumé en disputes, si le Parlement, pour en finir, n'eût jugé sommairement ces inextricables procès. Alors les victorieux prenaient le pas avec un air d'orgueil, et les autres, contraints de céder, suivaient en murmurant et non sans protester que de tels jugements ne tiraient point à conséquence pour l'avenir. Enfin, la procession se mit en marche et parvint à l'église St.-Pierre. Là, nouveaux incidents : le Corps de ville et les chanoines du Sépulcre se sont placés sur « les hautes chaises, ce qui a été trouvé indécent. »> Pour comble de malheur, dans cette cérémonie, où l'on appelait la faveur du ciel sur les armes du roi, le prédicateur laisse échapper dans son sermon plus d'une parole mal sonnante à des oreilles royalistes. Les conseillers eurent besoin de toute leur dignité pour demeurer calmes devant cette audace. Ils revinrent tout indignés, et le lendemain Groulart fit dire au recteur qu'il eût, jusqu'à nouvel ordre, à s'abstenir de la procession qu'il préparait, de peur qu'on n'y fit « prédication aussi peu agréable que celle du jour d'hier et qui tourneroit à scandalle » (1).

Le Parlement, irrité, n'en sévit que plus rudement contre les « prêcheurs séditieux: » les uns furent emprisonnés, les autres chassés; tous reçurent de sévères avertissements, et les registres de la Cour nous ont conservé le détail de ces curieuses procédures qui trouveront place dans cette histoire.

L'attention de la Cour et celle des populations était toujours fixée sur le mouvement des deux armées royaliste et ligueuse. Un instant on crut que Rouen allait être pris. D'Alègre, par un hardi coup de main,

(1) Reg. secr., 9, 10, 12, 13, 14 février 1590.

avait enlevé le vieux château; Henri IV, quittant le Vexin, s'y portait à marche forcée, et, à cette nouvelle, les conseillers de Boislévêque et Godefroy se retirèrent pour courir à Rouen sauver leurs maisons d'un pillage imminent (1). Mais le succès des royalistes n'avait eu qu'une durée éphémère, et, battus par une vigoureuse canonnade, ils avaient dû rendre le château quelques heures après s'en être emparés (21 février). Le roi revint assiéger Dreux; Mayenne le suivit, et chacun attendit l'événement au milieu d'une anxiété plus vive

encore.

On n'avait pas reçu à Caen de lettres du roi depuis le 27 février, et l'on y était fort incertain sur les mouvements des armées, quand, le 17 mars, un courrier arriva porteur d'une lettre pour le Parlement. On arrête aussitôt l'expédition des requêtes, on ouvre la dépêche; elle annonçait le gain de la bataille d'Ivry. A cette « bonne et joyeuse nouvelle » l'enthousiasme enflamma tous les cœurs; tous les magistrats se sentirent prêts à s'écrier, comme Pasquier le faisait à Tours: « Victoire ! victoire ! victoire pour quoy ne crierois-je pas par tout l'univers la miraculeuse victoire d'Ivry (2)!» Sans attendre d'autres détails ni les lettres du roi, la Cour s'assembla le dimanche 18 mars, nonobstant la fête, et décida qu'un Te Deum serait chanté le lendemain. Le lundi, en effet, elle se rendit à l'église St.-Pierre, et là un Te Deum d'actions de grâces fut chanté « à orgues et musiques,» au bruit des détonations de l'artillerie du château. L'espoir d'une paix prochaine, fruit de la victoire, déjà sans doute endormait les haines politiques et confondait les cœurs

(1) Reg. secr., 26 février 1590.

(2) Pasquier, Lettres, livre XIV, lettre x.

dans la joie. La cérémonie religieuse terminée, Groulart alluma lui-même un feu de joie près de la porte de l'église; d'autres feux brillaient en grand nombre dans tous les quartiers de la ville. Dans la rue Froide, des enfants firent un grand mannequin de cuir et de paille, et le brûlèrent en criant: « Voilà, voilà la puante Ligue qui brûle ! » Tout le reste de la journée se passa en réjouissances et en fêtes (1). A ces transports de joie, à cet enivrement du succès, on eût dit que cette victoire donnait un dernier coup à la Ligue écrasée, que l'heure des récompenses était venue, et que, la guerre terminée, il n'en resterait que ce souvenir toujours bien doux de l'infortune courageusement supportée. Heureuse la France si elle eût pu trouver dès lors un terme à ses maux! Mais elle était loin d'y atteindre, et l'on retomba bientôt de ces hautes espérances.

(1) Reg. secr., 17, 19 mars 1590.

CHAPITRE IV.

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Pro

Résultats de la bataille d'Ivry et situation des partis. cédures du Parlement contre les nobles, déserteurs du champ de bataille.- Prédications séditieuses dans les églises de Caen. Un jacobin est arrêté et mis en prison; on est forcé de le relâcher par crainte d'une sédition. - Arrêt du Parlement contre les ecclésiastiques. Refus formel du curé de St.-Jean de prêcher en faveur du roi.— Harangues séditieuses à l'Université; serment que la Cour exige des professeurs. Moyens employés par le Parlement pour empêcher les prédications et les discours séditieux.-Guerre déclarée par le Parlement aux nobles qui, retirés dans leurs châteaux, n'en sortaient que pour ravager le pays.- Arrêt contre les pillards de Neuilly-l'Évêque; prise du château, sa démolition. Prise du château de Fauguernon et de plusieurs autres dans le Lieuvain. - Guerre entre les ligueurs et les royaux dans l'Avranchin; part active qu'y prend le Parlement; lettre qu'il écrit à Canisy; réponse de Canisy. Mort du ligueur de Vicques au siége de Pontorson.

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Les beaux résultats que le Parlement espérait de la victoire d'Ivry ne se produisirent pas. La Ligue était trop enracinée dans le cœur des populations pour céder ainsi au coup d'une bataille perdue. Peut-être, en profitant de son triomphe pour accorder enfin ce qu'on lui demandait depuis si long-temps, le roi de Navarre eût-il désarmé le plus grand nombre des catholiques; mais,

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