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cher ce point pendant son séjour près de lui; mais il n'est pas douteux qu'au milieu des caresses de la faveur royale, et malgré sa large tolérance, il ne fût affligé de cette obstination, seul obstacle réel à la pacification des troubles et que la force des choses devait briser tôt ou tard.

A son retour à Caen, il annonça que le roi n'y viendrait pas. Encore qu'on fût mécontent d'une garnison que Montpensier avait imposée à la ville, et que, tout en sollicitant la venue du roi, on l'eût prié de ne pas amener ses troupes avec lui, habitants et échevins s'étaient mis en mesure de le recevoir de leur mieux. Tableaux à la porte Millet, vers, chansons, discours, beau linge de table, produit de cette industrie dont Caen était si fier, tout était préparé. On s'était renseigné même sur ce qui était le plus agréable à Henri; on savait, par un envoyé de la ville, que ses couleurs étaient d'incarnat bleu et blanc, et que les belles armes lui plaisaient plus qu'aucune autre chose. On allait donc le fêter selon ses goûts. Mais le roi était trop pressé de courir au secours de Meulan qu'assiégeait Mayenne; on se contenta de solliciter par lettres ces faveurs qu'on ne pouvait pas lui demander de vive voix, et surtout la décharge des tailles, en considération des grands frais qu'avait causés l'armée de Montpensier, et des nombreux ravages commis depuis si long-temps par de Vicques (1).

De son côté, le Parlement, rendu plus actif encore par ces succès de l'armée royale, s'efforçait de mettre à profit sa victoire et d'assurer ses conquêtes. Avait-elle re

(1) Archives de la ville de Caen, Reg. 29, fo. 82 vo., 83-85 vo. Dans une lettre précédente, les échevins disent: « La liberté des trafic et négoce est interdite; on ne peut plus sortir de la ville sans être pris par les ennemis qui font des courses jusqu'aux portes. » Ibid., fo. 77 vo.

pris une ville, aussitôt des conseillers étaient envoyés comme commissaires, pour y informer de la conduite des juges et des officiers, réorganiser une administration avec les uns, punir sévèrement la trahison des autres : c'est ainsi que les conseillers Godefroy et Cabart eurent mission d'examiner le bailliage d'Alençon; MM. Le Cordier et Bouchard, la vicomté de Bayeux. Le vice-bailli Daniel allait faire ses exécutions à Domfront, à Lisieux, partout où il y avait quelqu'un à pendre et à étrangler. Avant même qu'une ville fût prise, on signalait, de peur qu'ils n'échappassent, les ligueurs qui s'y trouvaient enfermés. Des rebelles de Rouen étaient à Falaise : on se hâte d'écrire au roi pour qu'il les arrête et les livre à la Cour qui saura bien faire justice; on punit corporellement les uns, on force les autres à réparer le dommage causé par eux; plusieurs même, par ordre du roi, virent leurs biens saisis et vendus (1). Ainsi, selon le flux ou le reflux des armées victorieuses, on pillait les autres, ou l'on était dépouillé soi-même, sans que la fortune du vainqueur fût de beaucoup plus heureuse que celle du vaincu.

Ces souffrances communes nourrissaient les vieilles colères qui, couvant dans les cœurs, n'attendaient que le jour du triomphe pour éclater en actes de vengeance. Henri, on doit le reconnaître, était à la fois plus politique et plus sage. Il avait publié des lettres-patentes promettant aux ligueurs qui reviendraient à lui l'amnistie complète du passé. Mais la Cour, en les enregistrant, fit cette importante réserve, que « les autheurs et entremetteurs des barricades, » que ceux qui avaient

(1) Reg. secr., 8, 9, 10, 13 janvier et 5 mars 1590. Langevin, Histoire de Falaise, p. 394, 492.

fomenté et soutenu la rebellion en Normandie, exceptés de la clémence royale, seraient frappés par la justice dès qu'il serait possible de les atteindre. Toutefois, comme ces menaces auraient pu encourir le blâme du roi et engager les ligueurs dans une lutte désespérée, on n'osa point les proclamer hautement; mais chaque conseiller jura de garder le silence, et le Parlement ensevelit ses projets dans le secret de ses registres (1). C'était là le contre-coup des arrêts du Parlement ligueur de Rouen, arrêts non moins violents et non moins absolus, par lesquels il défendait à tous de reconnaître Henri IV, et en même temps commandait d'obéir à Mayenne, au nom de Charles X, roi de France (2).

C'est un spectacle fort animé et plein de grandeur de voir ces hommes, arrachés au calme recueillement de la justice, jetés au milieu des troubles et s'y employant de tous leurs moyens, par la force, par la ruse, sans trève ni relâche, s'efforcer d'arrêter l'ennemi, de pousser leurs partisans au combat. Le roi, quittant Falaise, marchait à pas précipités vers de nouveaux succès. Lisieux, malgré les mille soldats et les cent gentilshommes de sa garnison, était au premier coup de canon tombé en son pouvoir. Honfleur résista plus vigoureusement; mais Henri, laissant Montpensier attendre la reddition de la place, poursuivit sa marche en avant, prenant sur son chemin, par lui ou par ses lieutenants, Pont-Audemer, Évreux, Verneuil (3). De son côté, Mayenne, pour fermer au roi les abords de Paris, s'avançait à sa rencontre en

(1) « Retentum in mente Curiæ.... et juratum ab omnibus de non revelando.» Reg. secr., 17 déc. 1589; 29 janvier 1590.

(2) Registre secret des délibérations de la Grand' Chambre du Parlement ligueur, 18 décembre 1589.

(3) Lettres missives, t. III, 16-19-25 janvier 1590. Louis Du Bois,

tenant le cours de la Seine et de ses affluents. Bientôt les deux armées allaient se trouver en présence, et tous les regards se tournaient vers ces plaines du Vexin-Normand, déjà tant de fois ensanglantées par ces guerres, et dans lesquelles une nouvelle bataille allait peut-être décider du sort de la France.

A l'approche de ce moment solennel, les deux chefs s'efforçaient de grossir leurs rangs, et chacun poussait ses partisans inactifs ou attardés vers le théâtre de la guerre. A Rouen, pour amoindrir l'effet des derniers triomphes du roi, le Parlement ligueur ordonnait une enquête sur la conduite de Longchamp et de Fresnay, accusés d'avoir rendu trop facilement Lisieux (1). D'un côté punissant les traîtres, de l'autre il donnait l'ordre à tous les gentilshommes et gens de guerre d'aller sur-le-champ rejoindre Mayenne. Les conseillers eux-mêmes, prêchant d'exemple, se rendaient aux portes, excitaient les bourgeois à faire bonne garde, payaient sur leurs gages la garnison des faubourgs, tandis que de longues et fréquentes processions sillonnaient la ville, allant d'église en église demander à Dieu le triomphe de la sainte Union (2).

Le Parlement royaliste ne déployait ni moins de zèle ni moins d'activité. Il avait déjà, par de nombreux arrêts, ordonné à la noblesse de se rendre à l'armée de Montpensier; et ses efforts, sans réussir complètement, n'en

Hist. de Lisieux, t. I, p. 195, dit que Lisieux n'ouvrit ses portes que le 22 janvier; les lettres missives fixent la prise de Lisieux au 16 au plus tard; dès le 19, on la connaissait à Rouen.

(1) Reg. secr. des délibérat. de la Grand' Chambre du Parlement ligueur, 19 janvier 1590. Fresnay prit la fuite; Longchamp ne se

défendit que par lettres.

(2) Reg. secr. des délibérations de la Grand'Chambre, 19 janvier,

3, 7 février, 9 mars 1590.

avaient pas moins, en grande partie, été couronnés de succès. Bien que la plupart des villes se fussent déclarées pour la Ligue, la noblesse, effrayée par cette tempête populaire, qui menaçait de l'emporter, oubliait ses prétentions aristocratiques et se serrait autour du roi pour se sauver avec lui. On comptait parmi ses chefs des hommes d'une grande valeur: Canisy, Beuvron, Thorigny, tous appartenant à cette race de nobles «< qui semblaient nés l'épée à la main » (1). Le Parlement n'épargnait ni ses éloges aux gens de cœur, ni ses réprimandes aux retardataires, à ces hobereaux «< casaniers » qu'on ne pouvait émouvoir. Sur des lettres du roi datées de la chaussée même d'Ivry, lettres pressantes et appelant à lui l'arrière-ban, la Cour commanda de nouveau à tous les gentilshommes du bailliage de Caen de monter aussitôt à cheval, de se réunir à Livarot, d'en partir en toute hâte au secours du roi. Quiconque n'obéirait pas serait déclaré « ignoble et roturier, » et le produit de ses biens affecté au soutien de la guerre. Mais ce dernier appel, malgré sa vigueur, ne fut point entendu. Ceux qui avaient bon courage tenaient depuis long-temps la campagne, aux côtés du roi; les autres, insouciants de ces menaces trop souvent répétées, restèrent dans leurs maisons, ou ne prirent les armes que pour les jeter lâchement à la première approche de l'ennemi (2).

S'il était important de grossir l'armée du roi, il ne l'était pas moins d'affermir et d'exalter le moral du peuple. Comme la Ligue avait ses fameuses processions, les royalistes voulurent organiser les leurs. Le Parle

(1) Parendo di esser tutti nati con la spada in mano. » Relat. des ambass. vénitiens, t. II, p. 647.

(2) Reg. sec., 9 fév., 6 mars 1590.

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