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le sait. La prudence écarta du registre les délibérations politiques. On prit quelques mesures de sûreté, et l'on décida que toutes les autorités de la ville s'assembleraient le lendemain, pour délibérer sur la conduite à suivre au milieu de ces circonstances critiques.

En effet, le lendemain matin, 6 août, le Parlement qui comptait alors vingt-quatre membres, la Chambre des comptes, la Cour des aides, les généraux des finances, le Corps de ville, tous les fonctionnaires de quelque importance se réunirent en assemblée générale aux Cordeliers. On compléta les moyens de précaution à prendre contre un soulèvement; on organisa un Conseil de ville, formé de deux ou trois membres de chacun des corps présents à la séance. Puis, sans aborder la question de l'avenir, ne considérant que l'odieux assassinat de leur prince, tous ces hommes, frappés du même coup, enflammés par cette sorte d'exaltation qu'on respire dans l'air des révolutions, jurèrent hautement de venger le roi. On voulut également animer le peuple. Le jour même, à trois heures, on provoqua une assemblée des habitants au carrefour St.-Pierre. Le président de Lisores et le conseiller Cabart s'y rendirent. On y lut d'abord les lettres qui racontaient le crime, les dépêches de Montpensier, dépêches ardentes de colère, où l'on rejetait sur toute la Ligue le sang versé par un fanatique; puis, la foule commençant à s'émouvoir, le président de Lisores prit la parole, et, après avoir recommandé la concorde entre les habitants, il les exhorta par un discours véhément à déplorer un si lâche attentat, surtout à le venger, et le peuple en fit le serment (1).

Bien que deux siècles nous séparent de ces événe

(1) Reg, secr., 5 août 1589. Arch. de la ville de Caen. Reg. 29, fo. 35.

ments, à voir ces magistrats émus d'indignation, ce peuple soulevé, tous ces hommes enflammés d'une ardeur de vengeance, une certaine émotion saisit encore. Sans doute, cette fièvre sera tombée le lendemain, et l'on eût reculé devant l'accomplissement de ces menaces; mais on sent qu'à cette heure une passion réelle agitait la foule. Ils veulent se venger, et sur qui? Sur l'assassin? il n'est déjà plus; sur son parti? il faudra donc immoler la moitié de la France, et encore la vengeance ne sera pas complète. Le vrai coupable, c'est l'esprit de ce siècle entier, esprit implacable, qui a assassiné Guise et l'a vengé sur Condé, qui a assassiné un autre Guise et vient de le venger sur Henri, et veut venger Henri sur des têtes inconnues. C'est lui qui, à la nouvelle du crime, a fait éclater, à Rouen, la haine en transports de joie; à Caen, la douleur en projets de vengeance; c'est cette tyrannie d'une logique inflexible, partie d'un faux principe d'intolérance, qui, ne tenant aucun compte des faiblesses de l'intelligence humaine, s'acharnait sur les hommes, quand elle avait seulement le droit de discuter les doctrines, tuait toute pitié dans les âmes, et, croyant amener le triomphe de la vérité, n'établissait que le règne de la force et l'autorité précaire de l'assassinat.

CHAPITRE II.

Situation de la France à la mort de Henri III.-Caractère et conduite du roi de Navarre.-Hésitation au sein du Parlement.-Henri de Navarre est reconnu roi de France.— Conduite des échevins de Caen; leurs lettres au Roi.-Difficultés entre le Parlement et le Clergé.-Le Parlement censure l'Administration municipale.-Conduite indécise du gouverneur de Caen, La Vérune; craintes qu'il inspire au Parlement.—Plusieurs conseillers effrayés se retirent de Caen.-La Vérune veut occuper militairement le pont St.Pierre; combat entre ses troupes et les bourgeois; La Vérune triomphe.-Représentations faites en vain par la Cour au gouverneur.-Hauteur avec laquelle le Roi reçoit les supplications de la Cour.

AOUT-OCTOBRE 1589.

La mort de Henri III laissait plus qu'un régicide à venger, il y avait un trône à remplir. Le Parlement royaliste se trouvait aux prises avec ces difficultés, dont la prévision seule avait suffi pour diviser la France. Il allait avoir à choisir, pour sa province, entre l'acceptation d'un roi huguenot ou bien une révolution dans l'ordre légitime de succession à la couronne. Ces conseillers, si ardents la veille pour venger leur prince, mis en présence de ces questions, restèrent comme frappés d'épouvante. Pendant douze jours, du 6 au 18 août, ils demeurèrent muets, indécis, n'osant se prononcer, et l'hésitation de ces hommes énergiques est une preuve

de la gravité des conjonctures qui peuvent seules l'expliquer.

Il était évident que la Ligue avait à sa tête des fanatiques et des ambitieux; il ne l'était pas moins que la grande masse du peuple était sincèrement convaincue du péril de sa religion et combattait pour elle. Plus tard quand la Ligue, victorieuse en fait, fut vaincue en principe, on put dire qu'elle ne se composait que d'ignorants, de nobles disetteux, de moines exaltés (1), mais de trèsbons esprits ne se dissimulaient pas alors l'importance réelle des prétentions des ligueurs. Un homme d'un esprit juste et modéré, Villeroy, disait aux royalistes, en parlant du sacre des rois et de leur religion: « De disputer si ces conditions sont nécessaires et essentielles à la royauté, ce serait possible chose à propos, si le différend avait à se vider dans une école... Mais tant Ꭹ a qu'en la saison où nous sommes, vous n'imprimeriez jamais à la plupart des François qu'il est vraiement l'oint du Seigneur, s'il ne reçoit le sacre et l'onction en la même forme que ses prédécesseurs et avec le même serment. » Et un autre personnage de ce temps, non moins modéré, disait également: « Le sujet de la religion tenait les esprits du plus grand nombre » (2). Toutefois ce parti, fort pour repousser un prétendant, était incapable de donner un roi à la France qu'il allait bientôt jeter dans l'anarchie et livrer même à l'étranger. Telle était la situation bonne et mauvaise de la Ligue.

D'un autre côté, le prince que l'ordre naturel appelait au trône se présentait avec un singulier mélange de

(1) Mém. de Groulart, chap. 1or. l. c.

(2) Mém. de Villeroy, Lettre à Bellièvre. Collect. Michaud.-Mém. de Marillac, Collect. Michaud, x1, 542.

droits et d'incapacités, inspirant tout ensemble et de vives sympathies et d'énergiques répugnances. Doué d'un rare bon sens, d'un esprit vif et subtil, aimable en ses manières, y mettant cette sorte de rondeur que les Français prisent bien plus encore que la distinction, habile surtout à se parer de ses avantages, il enchantait comme homme tous ceux qui l'approchaient. De belle mine et bien fait de sa personne, ayant ce grand air des hommes de commandement, il prenait au besoin la majesté d'un prince. Non pas peureux, mais ayant à lutter, pour ainsi dire, contre la frayeur de son corps, il savait qu'un roi de France devait être brave et il s'était enhardi à la bravoure. Sa conduite dans ces troubles avait toujours été pleine d'habileté. Victime, il avait excité la pitié ; victorieux, il avait tendu la main à son ennemi vaincu, et, travaillant à ses propres affaires, il paraissait encore relever généreusement celles d'autrui. Mais sa religion dérobait aux yeux du plus grand nombre l'éclat naissant de ces belles qualités. Il possédait bien le moyen de dissiper toute crainte et de trancher le noeud en se faisant catholique, il donnait même à entendre qu'il en arriverait là ; mais était-il sincère? Le plus grand nombre en doutait et le doute était permis. La franchise manquait à son langage; il promettait aux uns de se faire catholique, aux autres de rester protestant. A la mort de Henri III, « se trouvant demi-assis sur un trône tremblant, » il résolut de continuer ce système d'équilibre, et de ne faire fléchir devant personne son caractère impérieux. C'est dans cet esprit qu'il fit écrire au Parlement royaliste de Caen (1).

(4) Cette indécision de Henri IV est établie jusqu'à l'évidence par M. Jung Henri IV considéré comme écrivain. Paris, 1855, p. 95, 103,

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