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hommes restés fidèles à un prince protestant, se tenant assurés de sa loyale protection pour le catholicisme, ne voulant voir dans la Ligue qu'une révolte couverte d'un faux prétexte de religion, conservaient cependant de si vives défiances, on ne saurait croire ces craintes dépourvues de raison. On est convaincu du contraire pour peu que l'on pénètre dans l'esprit de ces temps, dans ce désir aveugle d'une domination exclusive, de l'unité dans la foi, dût-on l'obtenir par la force. Que serait-il advenu si Henri IV fût monté protestant et victorieux sur le trône de France? Il serait téméraire et puéril de porter un jugement sur de pures hypothèses; mais, à cette pensée, les Parlements royalistes euxmêmes, saisis de crainte, se refusaient aux concessions de liberté religieuse, ne sachant plus, une fois entraînés sur cette pente, s'ils pourraient s'arrêter encore, et si, à l'intolérance des catholiques ne succéderait point l'intolérance des huguenots. Leurs yeux se tournaient vers l'Angleterre, y voyaient avec horreur les persécutions commandées par la protestante Élisabeth, et se reportaient alors effrayés sur l'avenir de la France.

CHAPITRE VII.

- Groulart se rend

Henri IV assiége Rouen ( 11 nov. 1591). auprès de lui On lui propose de nouveau la charge de chancelier. Ennuis de son séjour au camp.-Il se rend à Dieppe où il est retenu par les vents contraires. Histoire du Parlement pendant l'absence de Groulart. Procès entre la ville de Caen et l'Université. - Restauration du collége du Bois.-Le prince de Parme contraint Henri IV à lever le siége de Rouen. -Entrevue du roi et de Groulart à St.-Aubin-le-Cauf. Séjour de Groulart à Dieppe. Son retour à Caen.· État des esprits au milieu de l'année 1592. -Les pamphlétaires politiques et religieux en Normandie pendant la Ligue. Le Doux Satiric Le Francophile.

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NOVEMBRE 1591.

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MAI 1592.

Au mois de novembre de l'année 1591, la pauvre Normandie servit de nouveau de champ de bataille aux armées, et l'on vit l'heure où, sous les murs de Rouen, allait se décider le sort, non-seulement de la province, mais de toute la France. Au mois de mai précédent, sur les instances de Groulart, sur les promesses d'argent faites par la Cour, le roi avait résolu d'assiéger Rouen. La désunion des chefs, le mauvais état des remparts, l'insuffisance des munitions pouvaient alors faciliter la prise de cette place si importante. Mais Henri, après avoir reçu à Dieppe quelques renforts d'Angleterre, était reparti

au-devant des reîtres qu'on lui amenait d'Allemagne. Au lieu de revenir aussitôt sur Rouen, selon sa promesse et son intérêt, il s'oublia dans de nouvelles amours auprès de Gabrielle d'Estrées. Ces retards, le temps qu'il mit encore à reprendre Noyon, sauvèrent les Rouennais. Villars, habile et vaillant capitaine, prit le commandement de leur ville; la population, bien dirigée par lui, naturellement courageuse, répara les brèches des remparts, en éleva rapidement de nouveaux, détruisit sans regret tout ce qui pouvait nuire à la défense, tira du Havre d'abondantes provisions. Un grand nombre de ligueurs de la Haute-Normandie, la noblesse du pays de Caux notamment, se jetèrent dans la place, si bien que l'armée du roi, enfin venue à Rouen, ne l'investit que le 11 novembre, « avec des incommodités infinies; » il y avait plus de gens de guerre dedans que dehors (1).

A cette résistance inattendue, la mauvaise humeur du roi s'en prit tout d'abord au Parlement qui lui avait conseillé l'entreprise. De tout temps, l'usage fut de rendre « garans ceux qui font des ouvertures aux roys.» Henri envoyait à Caen messagers sur messagers pour sommer la Cour de fournir sans retard les cinquante mille écus promis par elle, et commander à Groulart de se rendre à l'armée en compagnie de MM.deMotteville et deLanquetot, de la Chambre des comptes. En même temps, des lettres de Biron exigeaient de Pont-Audemer, de Caen, de Bayeux, des secours en draps, linge et effets de campement. Il fallut dix jours aux Caennais pour réunir cent paires de

(1) Mém. de Groulart, ch. III.-Houel, Annales des Cauchois, t. III, p. 278. Rouen s'imposa un écu par muid de vin. Le Parlement ligueur, et la Chambre des comptes firent des dons volontaires.-Mémor. de la Chambre des compt. 1591-1592, fos. 92, 93, 97. Archiv. de la SeineInférieure.

draps, cent couvertures et trente paillasses. Les Bayeusains, dont la contribution était moitié moindre, eurent moitié plus de peine à l'acquitter. « La ville, répondaient-ils, est pauvre et dénuée de semblables ustensiles, et à grandes peines en sommes-nous venus à bout. » Le roi ne s'en plaignait pas moins de ces retards, et traita même les échevins de Caen en termes fort rudes (1).

Le commerce était si bas qu'on ne put trouver dans le port un navire à fréter pour Dieppe. Groulart, pour se rendre à Rouen, dut prendre la route de terre. N'avançant qu'avec lenteur, au milieu de périls continuels, il fut douloureusement affecté à la vue de tous ces petits châteaux qui, « malgré les arrêts de la Cour, » tenaient encore pour la Ligue et le contraignaient, lui premier président, à prendre des chemins détournés. Parti de Caen le 18 décembre, il n'atteignit Louviers que le 24, ayant mis huit jours à faire trente lieues. Là, des lettres de M. d'Incarville lui annoncèrent que Chiverny, celui-là même qui avait obtenu les sceaux, déjà offerts à Groulart pendant le siége de Falaise, et qui s'était montré depuis si hostile au Parlement, étant fort mal en Cour et en danger de perdre sa charge, voulait au moins en sauver le prix; il offrait au premier président de la lui céder pour quarante mille livres comptant. M. d'O appuyait la négociation, et promettait à Groulart qu'il rentrerait dans ses fonds en moins d'un an. C'était la seconde fois qu'on lui faisait cette proposition, et, tout en s'acheminant sur Rouen, il la retournait dans son esprit, ne sachant trop si elle était

(1) Mém. de Groulart, ch. III. Arch. de la ville de Caen, reg. 30, lettre de Biron, f. 240; délibération des échevins, fo. 212-220; lettre du vicomte et des gens du roi, de Bayeux, fo. 223; lettre d'Henri IV, fo. 226. Sully, Économies royales, ch. xxxIII.

sérieuse ou si l'on ne voulait pas le tenter. Arrivé au camp, il trouva les choses changées de face, et Chiverny rentré en faveur. Il crut devoir néanmoins s'en expliquer avec le roi; il lui dit qu'il avait bien découvert la ruse du chancelier, mais qu'il ne voulait pas s'élever par de tels moyens à ces hautes fonctions. Le roi répondit, comme toujours, qu'il approuvait fort sa conduite et la récompenserait. Il ne reçut rien, et dut faire dès lors cette réflexion, consignée plus tard dans ses Mémoires: « Les affaires de Cour ne se peuvent traiter qu'avec artifice, qui sont fort éloignez de mon naturel. »

D

Son séjour au camp fut triste, plein de troubles et d'ennuis. Les gens de guerre montraient peu de déférence envers les magistrats. Groulart remarquait, dans l'armée royale elle-même, «plusieurs traistres qui espioient surtout les gens de robes longues, contre lesquels il semble que toutes leurs menées soient dressées. » La conduite du roi n'était guère moins étrange. Par un singulier caprice, il voulut à plusieurs reprises emmener aux tranchées Groulart, qui s'en défendait avec bon sens, sur ce qu'ignorant la profession des armes, il ne pourrait dire si les travaux étaient bien ou mal faits, et que, s'il y était blessé, il servirait de moquerie aux ennemis. Le roi, soit fantaisie bizarre, soit malin désir de mettre un premier président dans une position ridicule, n'en insistait pas moins. « Sire, lui dit enfin Groulart, ne désirez-vous pas être tenu et reconnu roi de France? » Oui, répondit Henri, ne sachant où il voulait en venir. » — «< Apprenez donc à chacun à faire son métier. » Le roi, qui se connaissait en heureuses saillies, se prit à rire et ne lui reparla plus de visiter les tranchées(1).

(1) Mém. de Groul., ch. 111.

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