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vêtus (1), ils conservaient toujours le culte des traditions, célébraient la fête de St.-Louis, «le dévot roy de France, » le 12 août, jour où la Normandie avait été affranchie de la domination anglaise (2), et malgré les revers, ils gardaient une foi inébranlable dans le succès de leur cause. La preuve en fut grande le jour où un conseiller du Parlement de Toulouse, de passage à Caen, se rendit aux Cordeliers, demandant à saluer la Cour et à prendre séance. La majeure partie de ce Parlement de Toulouse, la ville elle-même appartenaient à la Ligue; les autres conseillers erraient chassés de ville en ville; la Cour, en recevant le conseiller, n'en posa pas moins cette condition, que pareil honneur serait rendu à ses membres, au Parlement de Toulouse; condition qui montrait bien et la dignité jalouse de ces hommes, et leur ferme espérance,et quirappelait ces traits héroïques de la plus belle antiquité, où l'on achetait avec confiance le sol occupé par l'ennemi victorieux.

(1) A la St.-Martin d'hiver de 1590, les présidents étaient sans manteaux, et les conseillers n'avaient ni robes rouges, ni chaperons, « à raison des troubles et guerres civiles» Reg. sec., 12 nov. 1590.

(2) Reg. sec., 12 août 1590-1591.

CHAPITRE VI.

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Situation du Parlement au commencement de l'année 1591. Conflit entre la Cour et la Chambre des comptes; ses causes, ses développements, sa fin. Continuation de la guerre en Normandie : les royalistes prennent Avranches et le Château-Gaillard; les ligueurs, en revanche, s'emparent d'Honfleur et de Verneuil.-Secours d'argent accordé au roi par le Parlement, pour qu'il puisse assiéger Rouen. Élections du Corps de ville, à Caen, février 1591. Troubles dans la ville. Nouvelles démarches des échevins pour obtenir l'enregistrement des lettres-patentes. Prise de Louviers par Henri IV.-L'évêque d'Évreux, Claude de Sainctes, est fait prisonnier; son procès, sa condamnation, sa mort. Condamnation des bulles du pape Grégoire XII, par le Parlement de Caen. Contre-arrêt du Parlement ligueur. · Prétention des protestants; embarras qu'ils donnent à la Cour. Déclaration du roi qui remet en vigueur l'édit de tolérance de 1579; approbation du Parlement de Caen.

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Malgré sa fière attitude et ses constants efforts pour maintenir sa dignité première, le Parlement ne pouvait se défendre du discrédit dans lequel la confusion des affaires et l'indifférence du pouvoir militaire le laissaient de plus en plus tomber. Les juridictions rivales, enhardies par cet abandon, en profitaient pour se soustraire à toute dépendance et conquérir des droits nouveaux.

De là de nombreux et perpétuels débats qui nous surprennent, habitués que nous sommes à voir notre administration moderne si admirablement ordonnée.

Les commencements de l'année 1591 furent signalés par un de ces conflits entre le Parlement et la Chambre des comptes, et, de part et d'autre, les esprits s'échauffèrent si vivement qu'il ne fallut pas moins que l'intervention du roi pour les pacifier. Il sembla ne s'élever qu'à propos d'une simple question de compétence; mais la cause véritable, cause qui maintenait depuis de longues années entre les deux pouvoirs une hostilité permanente, c'était la différence d'origine de leurs membres, qui se méprisaient et s'enviaient mutuellement. Sous ces querelles de prééminence, se cachait une querelle de races, de noblesse et de bourgeoisie, de gens de robe et de gens de finance, semblable à celle qui divisa si long-temps l'aristocratie et le tiers-état. C'est là un point assez curieux et jusqu'ici presqu'inaperçu.

Leurs doctrines, leur conduite surtout montrent quelle haute opinion les membres du Parlement avaient d'euxmêmes, et de quelle majesté ils se croyaient revêtus. A cet orgueil de la charge s'ajoutait celui de la naissance. Presque tous sortaient de bonnes familles, puissantes parfois, illustrées déjà dans ces mêmes fonctions, et les regardant comme un bien héréditaire. Sans repousser absolument de la Cour ceux qui partaient d'en bas, «on grommelloit » sur leurs réceptions. Les fils de gens de métier étaient mal vus, et derrière eux on répétait à demi-voix des dictons méprisants: Non generant aquilæ columbas, ou bien encore: Fortes fortibus creantur (1). Les membres de la Chambre des comptes, au contraire,

(1) La Roche-Flavyn, Les treize Parlements, liv. VI, ch. x1.

étaient presque tous fils de marchands. Si les pauvres ne pouvaient entrer au Parlement, les riches ne trouvaient aucun profit à le faire (1). Les charges de finances, au contraire, étaient fort lucratives, et l'ambition suprême des négociants rouennais était d'en obtenir une pour leurs enfants. Ils les y jetaient, selon l'énergique expression d'un contemporain (2). De là des différences saillantes entre les deux compagnies, l'une rapportant plus d'honneur, l'autre plus de fortune.

A des esprits déjà si enclins à la discorde, les prétextes ne font jamais défaut, et ils abondaient en ce temps-là. Les dissensions avaient éclaté dès 1589. La Chambre des comptes, installée aux Jacobins (3), avait refusé tout net de subir, en matière de foi politique, l'examen du Parlement. Elle ne paraissait pas à ses processions, faisait les siennes à part, chantait ses messes à part, affectait en toute occasion une sorte d'indépendance. Entre eux, tout était sujet de conflit; les uns permettaient ce que défendaient les autres, et réciproquement. Cependant, si la Cour procédait parfois avec hauteur, elle déploya presque toujours plus de vrai dévouement et plus de grandeur d'âme que la Chambre des comptes. Ses membres, à

(1) « Ilz (les pauvres) ne sçauroient gagner la moitié de la rente que le prix apporté à l'achat de leurs estats leur aporteroit au denier seize, voire au denier vingt, sans prendre aucune peine. » La Roche-Flavyn, ibid. liv. VI, ch. xv.

(2) Si le Parlement est suivy d'une Chambre des comptes, il est peu douteux que les marchands y jettent leurs enfants; l'exemple en est notoire à Rouen. » Lettre d'un nommé Godefroy au duc de Nevers sur le projet d'établir un parlement à Moulins. Bibl. imp., Mss., ancien fonds, 909, f. 58.

(3) Huet, Origines de Caen, p. 154, éd. 1706.

l'exemple de leur premier président, savaient mieux souffrir et mieux se sacrifier. Si pauvres, si dénués de ressources qu'ils fussent, manquant presque du nécessaire, à chaque appel du roi, ils donnaient généreusement le peu qui leur restait. Bien loin de là, les gens de finances tenaient la bourse, et ni force ni prière n'en déliaient les cordons. Dans une récente contribution, la Chambre des comptes et les généraux des finances avaient enfin donné quelques écus, avec tant de lenteur et de si mauvaise grâce que la Cour, en mépris de ces gens, « pleins de biens par eux amassés au maniement des finances du roi, tenant les grosses fermes du pays contre les ordonnances, et (qui) se veulent exempter de toutes subventions,» les leur rendit avec dédain (1).

"

A quelque temps de là, vers les premiers jours de janvier 1591, la Chambre des comptes vérifia un édit du roi sur les charges des officiers ligueurs, et rendit un arrêt sur cette matière. Aussitôt le Parlement y voit une usurpation, défend d'imprimer l'arrêt sous peine de cinq cents écus d'amende. La Chambre des comptes proteste, soutient que, s'il y a conflit, c'est au roi seul de juger, lequel saura bien par sa prudence qui des deux a le plus avancé ou retardé son service. » Réplique du Parlement, prétendant que c'est par erreur, et præter morem, que le chancelier avait envoyé cet édit à la Chambre, que Messieurs des Comptes n'auraient dû s'en occuper qu'après son enregistrement par la Cour, enfin qu'ils étaient personnes « ignorantes de formes et réglements anciens, qui sont bien outrecuidées de vouloir entreprendre réglement sur l'authorité non-seulement de la

(1) Reg. secret., 23, 30 août 1590.

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