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une sincérité, de peur de donner jour à une liberté. Il conjura les députés de penser tout bas. Il accorda le besoin général de paix; mais il contesta à la commission le droit d'élever la voix, même pour exprimer une souffrance du peuple.

M. Lainé avait l'attitude modeste et réfléchie de son caractère. Son geste contenu et sobre semblait, en approchant ses bras de sa poitrine, attester les convictions consciencieuses de son cœur. Sa tête inclinée n'avait rien du défi du tribun. Sa voix avait la gravité et le tremblement nerveux de ses pensées. Il s'indigna de tant de sous-entendus commandés aux organes d'un peuple devant son maître.

Non, s'écria-t-il avec douleur, non, il faut relever enfin le Corps législatif si longtemps déprimé; il faut faire entendre le cri du peuple pour la paix; il faut faire éclater ses gémissements contre l'oppression! » A l'exception d'une cinquantaine de députés rivés par les dignités au despotisme, ou tremblants de lâcheté devant la colère de l'empereur, tous les cœurs avaient parlé par la voix de M. Lainé. On le chargea du rapport. Il fut adopté. C'était à mots couverts le rappel à la constitution, une timide insurrection des âmes contre l'excès de l'asservissement, le droit de plainte, le dernier droit des peuples revendiqué, au moins, par ses représentants, un souvenir lointain de l'assemblée du Jeu de Paume à Versailles, mais sous le sceptre d'un maître en armes et dans un palais entouré de prétoriens.

XVIII

M. Lainé osait dire au nom du Corps législatif : « On éprouve, au milieu des désastres de la guerre, un sentiment d'espérance en voyant les rois et les nations prononcer à l'envi le mot de paix. Les déclarations des puissances s'accordent en effet, messieurs, avec le vœu si universel de l'Europe pour la paix, et avec le vœu si généralement exprimé autour de chacun de nous dans les départements, vœu dont le Corps législatif est l'organe naturel.

» Cette paix, qui peut donc en retarder les bienfaits? Nous avons pour premiers garants des desseins pacifiques de l'empereur, l'adversité, ce conseil véridique des rois... Les moyens qu'on nous propose pour repousser l'ennemi et pour conquérir la paix seront efficaces, si les Français sont convaincus que leur sang ne sera plus versé que pour défendre la patrie et ses lois protectrices.

» Mais ces mots de paix et de patrie retentiraient en vain, si l'on ne garantit les institutions qui créent l'une et qui maintiennent l'autre...

Votre commission pense qu'il est indispensable qu'en même temps que le gouvernement proposera les mesures les plus promptes pour la sûreté de l'État, l'empereur soit supplié de maintenir l'entière et constante exécution des lois qui garantissent aux Français les droits de la liberté, de la sûreté, de la propriété, et à la nation le libre exercice de ses droits politiques. Cette garantie nous paraît le

moyen le plus efficace de rendre aux Français l'énergie nécessaire à leur propre défense.

» Nous voulons lier le trône et la nation, afin de réunir leurs efforts contre l'anarchie, contre l'arbitraire et contre les ennemis de la patrie...

» Si la première pensée de l'empereur dans de graves circonstances a été d'appeler autour du trône les députés de la nation, notre premier devoir n'est-il pas de rapporter au monarque la vérité et le vœu du peuple pour la paix? »

Cette expression de députés de la nation était une révolution tout entière. Le 18 brumaire réapparaissait et se vengeait dans un mot.

XIX

C'était la première fois que Napoléon rencontrait une âme insurgée contre sa volonté depuis le jour où il avait tout affaissé sous le sceptre. Il eût mieux valu sans doute que ce reproche, contenu dans un cri national, se fût élevé pendant qu'il opprimait le monde, qu'au moment où il déclinait vers sa catastrophe, et où la France elle-même tombait avec lui. Mais M. Lainé n'était coupable d'aucune de ces adulations courtisanesques. Son âme avait été un murmure et une révolte continuelle contre la dégradation civile dans son pays; il avait le droit de tout dire, à toute heure. Il le disait en homme libre, et non en tribun. Les nations, d'ailleurs, envers lesquelles on n'a pas été généreux, ne sont pas généreuses elles-mêmes quand elles se redressent

sous la puissance qui déchoit. Elles profitent de la faiblesse de leurs tyrans pour exécrer la tyrannie. Ce n'est pas la magnanimité sans doute, mais c'est le destin.

XX

Napoléon sentait qu'il n'était plus Napoléon si cette voix indépendante de l'orateur du Corps Législatif n'était pas à l'instant étouffée par l'éclat de la sienne. Il poussa un cri de fureur simulée ou réelle. Il remplit son palais, son conseil, ses conversations du retentissement de son insulte. Il s'efforça de faire monter l'indignation officielle de ses courtisans et de la nation à la hauteur de son ressentiment. Il intima à ses ministres et à ses familiers l'ordre d'imiter et de propager les échos de sa colère. La publicité asservie ne fut qu'un cri contre l'insolence de M. Lainé. Le ministre de la police était Savary, duc de Rovigo. C'était un ancien compagnon d'armes de l'empereur. Son mérite était dans un dévouement personnel et aveugle aux caprices et aux intérêts du maître. Ce dévouement sans restriction avait été éprouvé par Napoléon à des services qui perdent l'amitié elle-même. Le duc de Rovigo avait son nom attaché au procès nocturne du duc d'Enghien. Jugé comme un assassin, le jeune prince était tombé dans les fossés de Vincennes, sous les balles d'une commission militaire rassemblée par ordre de Napoléon. Il avait été enlevé sur le sol étranger par un crime contre le droit des gens. Sa captivité avait été semblable à une trahison, sa mort semblable à un forfait. Son sang criait et criera de siècle en

siècle contre son meurtrier. Bien que Savary n'eût fait qu'obéir, il y a des obéissances qui s'appellent justement ou injustement des complicités. Cette justice ou cette injustice de l'opinion est la responsabilité des instruments de tyrannie. Il serait trop commode de la servir, si un acte devenait innocent par le seul fait qu'il est commandé. Il n'en est pas ainsi. La responsabilité remonte et descend. de la tête aux membres. Rien ne se perd, ni dans la pensée du crime, ni dans son exécution. Chaque goutte de sang répandu se retrouve ou sur le nom ou sur la main, même sur la gloire. Le dernier des exécuteurs en doit compte comme le premier.

XXI

Savary manda chez lui les membres de la commission. Une si insolente injonction du ministre de la police aux représentants d'une assemblée nationale ressemblait à un écrou. Les membres de la commission en recevant cet ordre délibérèrent s'ils y obéiraient. Quelques-uns, pressentant un coup d'État exécuté contre leurs personnes, opinèrent pour écrire une adresse à la nation, pour convoquer le Corps législatif en séance soudaine, et pour se placer sous la sauvegarde de la représentation menacée. Ces avis parurent extrêmes, et ces résolutions dénuées de la force morale nécessaire pour les soutenir. M. Lainé et ses collègues préférèrent se livrer seuls et porter les dangers du temps.

Ils se rendirent chez le ministre de la police. Son visage

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