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prennent spontanément leurs armes et leurs rangs, sourds à la voix des généraux, et s'élancent sur les pas d'Ordener pour retourner à leur empereur. La ville, les routes et les bois retentissent de leur fureur et de leurs acclamations, désespoir d'une indomptable fidélité au vaincu.

XXII

Le gouvernement provisoire, informé de cette révolte et tremblant qu'elle ne gagne les corps et les populations, conjure Marmont de se dévouer à la fureur de son armée et de la ramener au devoir. Le maréchal y court comme à une mort certaine, mais qui dénouera au moins l'ambiguïté de faute et de malheur de sa situation. Il s'élance sur un de ses chevaux les plus rapides à la suite d'Ordener sur la route de Rambouillet. « Arrêtez! s'écrie-t-il à ce colonel; ramenez mes troupes à Versailles, ou je vous fais saisir et juger pour usurpation de commandement. Je vous en défie, répond le colonel; vos troupes ne sont pas vos troupes, il n'y a pas de loi militaire qui les condamne à obéir à la trahison, et y en eût-il, il n'y aurait pas ici de lâches soldats pour les exécuter. »

Les éclats de voix des deux généraux, l'agitation du groupe où ils s'adjurent et s'interpellent, la halte confuse qui suspend le pas des colonnes, attirent autour de Marmont les officiers et les soldats. Marmont, dont ils suspectent la fidélité, mais dont ils aimaient le courage et dont ils reconnaissaient la voix, déchire son uniforme devant eux, leur montre les cicatrices de ses blessures, leur rappelle

leurs exploits sur les mêmes champs de bataille, se justifie d'un ordre qu'il n'a pas donné, mais les adjure de se prononcer entre l'insurrection et lui, et leur affirme que la paix déjà signée va rendre leur mouvement de la nuit sans danger pour leurs frères d'armes et pour l'empereur. Il leur demande la mort pour lui plutôt que cet opprobre pour eux d'abandonner leur général. Les soldats les plus rapprochés s'émeuvent à sa voix, se repentent de leur indiscipline, abandonnent Ordener, crient : «Vive Marmont ! » entraînent les autres et reprennent derrière lui la route de leur cantonnement. Marmont les harangue, les passe en revue, les remet sous la main de leurs généraux, et revient triomphant à Paris.

M. de Talleyrand, les ministres, les souverains alliés, l'embrassent et le comblent d'éloges. Une seconde fois, disent-ils, il a sauvé le sang de la capitale. Entouré, servi, exalté à la fin d'un dîner chez M. de Talleyrand, on bat des mains à la poussière de ses habits. Marmont, à l'enthousiasme des ennemis de son maître, dut reconnaître la triste réalité de sa défection.

XXIII

Pendant que ces événements, pressés dans l'intervalle d'une nuit et d'une matinée, se passaient à Paris et à Versailles, l'empereur, seul à Fontainebleau, attendait en vain Marmont et Mortier, ces deux derniers espoirs de sa fortune. Au lieu de ces deux maréchaux, dont il voulait tenter encore la fidélité pour entraîner le reste, il reçut par

une dépêche confidentielle de Caulaincourt la copie de la convention secrète entre Marmont et les alliés. Une heure après, Gourgaud et Chastel accoururent lui annoncer la défection nocturne de toute l'armée d'Essonne. Les actes et les proclamations injurieuses du Sénat lui parvinrent au même moment. Il s'abattit de nouveau pour se relever encore. Mais, tout abattu qu'il était, il voulut lutter au moins de récriminations et d'invectives avec ce Sénat servile qui ne recouvrait la voix que contre le vaincu. Il s'enferma dans son cabinet, et il écrivit à l'armée cet ordre du jour :

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L'empereur remercie l'armée pour l'attachement qu'elle lui témoigne, et principalement parce qu'elle reconnaît que la France est en lui et non pas dans le peuple de la capitale. Le soldat suit la fortune et l'infortune de son général, son honneur et sa religion. Le duc de Raguse n'a point inspiré ce sentiment à ses compagnons d'armes; il a passé aux alliés. L'empereur ne peut approuver la condition sous laquelle il a fait cette démarche; il ne peut accepter la vie et la liberté de la merci d'un sujet.

» Le Sénat s'est permis de disposer du gouvernement français; il a oublié qu'il doit à l'empereur le pouvoir dont il abuse maintenant; que c'est l'empereur qui a sauvé une partie de ses membres des orages de la Révolution,

tiré de l'obscurité et protégé l'autre contre la haine de la nation.

» Le Sénat se fonde sur les articles de la constitution pour la renverser; il ne rougit pas de faire des reproches à l'empereur, sans remarquer que, comme premier corps de l'État, il a pris part à tous les événements. Il est allé si loin qu'il a osé accuser l'empereur d'avoir changé les actes dans leur publication. Le monde entier sait qu'il n'avait pas besoin de tels artifices. Un signe était un ordre pour le Sénat, qui toujours faisait plus qu'on ne désirait de lui. L'empereur a toujours été accessible aux remontrances de ses ministres, et il attendait d'eux, dans cette circonstance, la justification la plus indéfinie des mesures qu'il avait prises. Si l'enthousiasme s'est mêlé dans les adresses et les discours publics, alors l'empereur a été trompé. Mais ceux qui ont tenu ce langage doivent s'attribuer à euxmêmes les suites de leurs flatteries.

» Le Sénat ne rougit pas de parler de libelles publiés contre les gouvernements étrangers; il oublie qu'ils furent rédigés dans son sein! Si longtemps que la fortune s'est montrée fidèle à leur souverain, ces hommes sont restés fidèles, et nulle plainte n'a été entendue sur les abus du pouvoir. Si l'empereur avait méprisé les hommes comme on le lui a reproché, alors le monde reconnaîtrait aujourd'hui qu'il a eu des raisons qui motivaient son mépris. Il tenait sa dignité de Dieu et de la nation; eux seuls pouvaient l'en priver; il l'a toujours considérée comme un fardeau, et lorsqu'il l'accepta, ce fut dans la conviction que lui seul était à même de la porter dignement.

» Le bonheur de la France paraissait être dans la destinée de l'empereur; aujourd'hui que la fortune s'est décidée

contre lui, la volonté de la nation seule pourrait le persuader de rester plus longtemps sur le trône. S'il se doit considérer comme le seul obstacle à la paix, il fait volontiers ce dernier sacrifice à la France. Il a en conséquence envoyé le prince de la Moskowa et les ducs de Vicence et de Tarente à Paris pour entamer la négociation. L'armée peut être certaine que l'honneur de l'armée ne sera jamais en contradiction avec le bonheur de la France. »

XXV

Cette adresse à ses troupes couvrait cependant encore un appel à la pitié sous l'apparence d'un découragement résigné de l'empire. Il s'acharnait à l'espérance à mesure qu'elle lui échappait. Une voiture qui roulait dans les cours vint lui enlever ce qui restait de son illusion. Il se précipite à la fenêtre pour en voir descendre Caulaincourt, Macdonald et Ney, qui lui apportaient le dernier mot de ses ennemis. Leur physionomie seule lui révélait la tristesse et l'inflexibilité de sa destinée. Caulaincourt et Macdonald en tempéraient l'impression par la compassion muette de leur attitude. Le maréchal Ney, quoique loyal, portait sur ses traits la rudesse d'une résolution avec laquelle il ne faut plus disputer. Lui-même il ne disputait plus avec lui-même. Déjà fatigué avant de quitter Fontainebleau d'une contestation vaine et antipatriotique entre l'empereur et la destinée, son séjour et ses conversations à Paris l'avaient disposé à moins de ménagements que jamais avec cette obstination à régner. Elle lui semblait l'obstination d'un

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