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IV. Les trois cours ont-elles le droit exclusif de régler à elles seules, sans l'intervention d'aucune puissance, le sort futur de la ville et du territoire de Cracovie?

Pour avoir réponse à ces questions, les trois cabinets prirent la résolution de se réunir en conférence à Vienne; ils se sont trouvés, dès leur première séance, naturellement reportés à l'époque de l'année 1815, qui avait donné naissance à l'État de Cracovie et qui l'avait placé sous leur protection particulière et spéciale. Ils ont eu alors à examiner :

1o Les principes qui avaient servi de base à cette création;

2° L'usage qu'avait fait Cracovie de sa liberté pendant le cours de son existence politique, depuis l'année 1815 jusqu'au mois de février 1819;

3o Les circonstances qui ont amené sa désorganisation et accompagné sa destruction.

L'exposé qui va suivre, sous forme de récit historique, développera les faits et les motifs qui ont dicté à la conférence les résolutions qu'elle a prises.

Lors de la dissolution de l'ancien royaume de Pologne, la ville de Cracovie et le territoire qui lui fut donné avaient été, en vertu de la convention conclue à Saint-Pétersbourg le 24 octobre 1795, remis à l'Autriche. Les troupes de Sa Majesté Impériale et Royale Apostolique en prirent possession le 5 janvier 1796.

Cet événement s'est accompli par l'accord établi entre les trois cours, sans l'intervention d'aucune autre puissance étrangère.

Pendant quatorze ans, Cracovie et son territoire sont restés paisiblement sous la domination de Sa Majesté Impériale et Royale Apostolique.

Le traité de Vienne du 14 octobre 1809 détacha Cracovie de l'Autriche, pour la donner au duché de Varsovie, appartenant alors au roi de Saxe.

Les guerres napoléoniennes en Pologne avaient amené la formation du duché de Varsovie : ce duché ne fut autre chose qu'un quatrième partage en faveur d'un quatrième occupant.

L'issue de la campagne de 1812 mit l'empereur Alexandre en possession des diverses parties du territoire qui avaient servi par leur réunion à former le duché de Varsovie.

Tous les cabinets savent comment cette occupation militaire amena la formation d'un royaume de Pologne, et comment et sous quelles conditions la ville de Cracovie fut appelée à l'existence d'un État libre et indépendant.

Après que les trois cours eurent arrêté cette détermination, consignée dans les traités du 21 avril (3 mai) 1815, les autres puissances signataires du traité de Vienne acceptèrent cette combinaison comme le résultat des négociations directes entre les trois cours, sans intervenir dans cet arrangement territorial qui leur était étranger.

Quoique les derniers événements de l'année 1846 soient suffisants pour montrer l'esprit qui domine la population de Cracovie, cet esprit sera prouvé d'ailleurs, d'une manière irrécusable, par l'examen de ce qui s'est passé dans cette ville depuis 1830. Il y avait, avant l'époque de l'insurrection du royaume de Pologne en 1830, des symptômes de fermentation dans l'État de Cracovie; l'autorité s'y montrait faible et de conduite équivoque en face de l'agitation des esprits qu'elle aurait eu le devoir d'apaiser.

Les puissances protectrices, inquiètes de cette situation, avaient pris la résolution de renforcer les troupes d'observation qu'elles avaient sur les frontières de cet État, pour être en mesure d'étouffer une explosion, si elle devait avoir lieu, et de rétablir l'ordre.

Sur ces entrefaites, vint à éclater l'insurrection de Varsovie en 1830. La disposition des esprits en fit accueillir la nouvelle avec l'enthousiasme le plus prononcé : chaque fait d'armes favorable à l'armée révolutionnaire y fut célébré par des cérémonies religieuses dans les églises et par l'illumination de la ville. Mais la population de Cracovie ne se borna pas à ces démonstrations. La guerre contre la Russie y fut proclamée guerre sainte par tous ceux qui avaient droit et mission de parler au peuple. Une légion d'étudiants y fut armée et équipée pour faire cette guerre.

On prit un soin particulier pour fournir à l'armée révolutionnaire tout ce dont elle avait besoin des fabriques d'armes et de poudre furent établies, et ce que la fabrication ne pouvait pas donner fut acheté en pays étranger. Les négociants de Cracovie se chargèrent de fournir les principaux objets d'équipement pour hommes et chevaux.

Le comte Stanislas Wodzicki, alors président du sénat, ayant essayé de mettre des bornes à cette infraction manifeste des traités, une émeute populaire fut organisée contre lui: menacé de mort, il fut forcé de résigner sa place, et les mutins le chassèrent hors du territoire.

Pendant tout le temps que dura cette guerre la ligne de douanes entre l'État de Cracovie et le royaume de Pologne fut considérée comme non existante. Les commerçants de Cracovie usèrent de la circonstance pour faire des profits illicites.

Après la destruction de l'armée révolutionnaire et la soumission forcée du royaume, l'État de Cracovie fut occupé par une division de l'armée russe, pour y poursuivre et désarmer les débris de l'armée polonaise qui s'y étaient réfugiés. Cette guerre terminée, les trois puissances protectrices s'occupèrent des moyens d'y rétablir l'ordre; faisant la part des circonstances difficiles du moment, et continuant à agir dans l'esprit d'une généreuse protection, qui les avait toujours animées en faveur de cet État, leur création, ce fut en leur nom qu'une amnistie générale, sans aucune restriction, fut proclamée à Cracovie, de sorte que les habitants de cette ville ne conservèrent de cette époque d'autre souvenir que celui des avantages pécuniaires qu'ils en avaient retirés. Cette circonstance est une des raisons principales qui ont rendu, depuis lors, la population cracovienne si accessible à toutes les tentatives de révolution. Le retour des troubles dans les provinces limitrophes leur promettait l'espoir d'y retrouver tous les bénéfices dont ils gardaient le souvenir. Le bienfait de l'amnistie, loin de calmer les esprits, ne fit que faire naître un sentiment d'ingratitude, qui devint d'autant plus actif qu'il était une spéculation.

En opposition explicite aux traités, ceux des Polonais sujets des trois puissances, compromis dans la révolution du royaume de Pologne, qui voulurent chercher un asile sur le territoire de Cracovie y furent reçus, toutes leurs machinations protégées et soutenues. Les émissaires les plus marquants qui se firent voir depuis dans toutes les provinces de l'ancienne Pologne, tels que Zalewsky, Konarski, etc., sont tous partis de Cracovie, où ils s'étaient pendant plusieurs mois préparés à leur voyage de propa

gande. Ce sont deux frères négociants qui s'étaient chargés du soin d'organiser leur marche, ainsi que de celui de l'envoi clandestin, dans les États voisins, des nombreux pamphlets incendiaires que les foyers principaux de cette propagande leur faisaient parvenir.

C'est pendant cette époque que s'organisèrent dans l'État de Cracovie et se répandirent dans les provinces voisines les sociétés démagogiques connues sous le nom de Confédération générale de la nation polonaise, de Réunion du peuple polonais et de Société anonyme.

Les effets d'un pareil état de choses ne tardèrent pas à se manifester dans toute l'étendue des anciens territoires polonais : en le comparant avec la situation précédente, il n'était pas difficile de comprendre comment des idées d'insurrection générale commençaient à se manifester au grand jour.

Le sénat de Cracovie fut le premier à reconnaître l'impossibilité dans laquelle il était de faire cesser un pareil état de choses, incompatible avec les traités qui formaient la base de l'existence de l'État libre de Cracovie, et devant finir par compromettre ses rapports avec les trois cours protectrices.

Ce fut donc après six ans de longanimité que les trois puissances protectrices, prenant en considération la déclaration que le sénat de Cracovie fit de son impuissance, résolurent, comme mesure strictement défensive et pour leur propre sûreté, d'occuper militairement l'État de Cracovie, afin d'en éloigner tous les réfugiés qui l'agitaient et d'y rétablir l'ordre.

Au mois de février 1836 eut lieu l'occupation de ce territoire par les troupes combinées des trois puissances. On y trouva près de 2,000 réfugiés politiques qui s'y étaient établis sous de faux noms et se donnant des occupations fictives.

La population de Cracovie apporta toutes les difficultés possibles à l'éloignement de ces individus étrangers à son territoire. Les autorités chargées de vérifier l'identité des personnes eurent à combattre toutes les intrigues d'une coupable complicité; on ne cessait de produire de faux certificats.

Presque tous les registres des paroisses du territoire furent falsifiés, et dans la seule paroisse de Sainte-Marie de la ville de Cra

covie plus de deux cent trente actes de naissance furent juridiquement constatés avoir été faussés.

Après l'expulsion des réfugiés polonais et d'autres transfuges de tous pays, on crut trouver dans la révision de la constitution de Cracovie, qui avait eu lieu en 1833, les moyens d'établir l'ordre public sur une base plus solide.

Afin de rendre cette occupation aussi peu dispendieuse que possible pour l'État de Cracovie, le nombre des troupes d'occu→ pation fut diminué; et il ne resta à Cracovie qu'un faible bataillon de troupes autrichiennes et un détachement de cavalerie.

Cependant, malgré la confiance qu'on avait cru devoir accorder à la durée du rétablissement de l'ordre et au sentiment que la population de Cracovie devait enfin avoir des conditions néces→ saires à son propre bien-être, la police ne tarda pas à acquérir des preuves nombreuses de nouvelles machinations révolutionnaires. Les autorités et les tribunaux, intimidés par des menaces secrètes, ne remplissaient plus ou ne remplissaient que faiblement les devoirs de leur charge. L'on reconnut enfin, en 1838, la né→ cessité de renforcer encore une fois le corps d'occupation autrichien par un second détachement de troupes de cette puissance. Ce ne fut qu'après une nouvelle épuration et une nouvelle organisation de la police et de la milice cracovienne, et après révision et modification des règlements de police correctionnelle et des lois criminelles, que l'on crut possible de rendre, au commencement de l'année 1841, la ville de Cracovie à elle-même, et d'en retirer les troupes d'occupation. Cependant, ni les soins qu'on avait pris d'éloigner tous les réfugiés polonais étrangers au territoire, ni les modifications organiques qui avaient eu pour objet de donner plus de force aux autorités constituées de la république, rien ne put suffire au maintien de l'ordre; le germe du mal n'était pas seulement étranger, il existait dans la population de Cracovie elle-même. Aussi, dès que l'occupation militaire vint à cesser, toutes les machinations révolutionnaires furent reprises avec une nouvelle ardeur et par les mêmes moyens.

Des faits nombreux, constatés comme positifs par la publicité la plus entière, et qui ne peuvent être niés que par des hommes qui, sans scrupule, sont toujours prêts à nier la vérité, fournis

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