jésuite ne comptaient que pour une seule, de sorte que la majorité légale entraînait la condamnation. Le vote décisif n'était pas encore sorti de l'urne c'était celui du premier président Lebret ; mais il prononça son acquittement. Donc, par arrêt du 10 octobre 1731, le parlement déchargea Girard de l'accusation portée contre lui et le renvoya devant l'officialité de Toulon, pour le délit commun. On appelait ainsi un délit commis par un ecclésiastique, mais qui n'entraînait pas une peine afflictive ou infamante. Quand les débats s'ouvrirent au sujet de La Cadière, il y eut une exaltation égale dans la discussion; pourtant l'arrêt rendu à la majorité de quatorze voix contre douze, les acquitta tous, néanmoins condamna La Cadière aux dépens de la procédure faite à Toulon. et Le peuple, qui ressentait le contre-coup de ce qui se passait dans la salle des délibérations, tenait constamment tous les abords du palais envahis; le jugement qui venait d'être prononcé lui parvint bientôt ; alors, des clameurs confuses s'élevèrent dans l'air, l'agitation montait, grondait et se déchaînait, en tonnerre de voix et de cris, dans toutes les rues voisines; les juges qui avaient opiné pour Girard furent grandement hués; ils se sauvèrent à travers la populace, assourdis de vociférations, et insultés de gestes. Le premier président Lebret dut à la vitesse des chevaux de son carrosse, de ne pas être lapidé; une grêle de pierres l'accueillit; le président Maliverny fut couvert d'applaudissemens, tous les honneurs du triomphe lui furent prodigués. La Cadière, mise en liberté, se retira chez son procureur, où elle recevait à chaque instant des visites de félicitations; le peuple assemblé sous ses fenêtres la demandait, et toutes les fois qu'elle se montrait, une immense clameur de joie s'élevait jusqu'à elle. Quand elle alla remercier les membres de la cour qui s'étaient prononcés pour elle, plus de dix mille personnes formèrent son cortège. On la reçut dans les principales maisons d'Aix; les dames jansenistes la baisaient au front, et la populace touchait de ses lèvres le bas de sa robe. On lui donna des sérénades, des dîners; Madame de Simiane, fille du lieutenant-général comte de Grignan, et petite fille de Madame de Sévigné, se fit remarquer par la véhémence de ses caresses et de ses complimens; elle ne quittait pas La Cadière. La présence de cette femme dans Aix continuant à y exciter des rassemblemens trop tumul-. tueux, le président fit entrer dans la ville le premier régiment de Flandres, et ordonna à La Cadière de quitter Aix; on a toujours ignoré le lieu où elle se retira. Le père Girard, après sa mise en liberté, se T. IV. 22 plaça dans une chaise à porteur, dont il eut soin de tirer les rideaux sur lui; mais il fut découvert. Aussitôt on se précipite sur sa chaise, on l'accable d'invectives, on l'appelle sorcier, scélérat, sacrilège. Les porteurs hâtent le pas, et parviennent avec peine à jeter le père Girard sur le seuil de l'église des jésuites, où il se réfugie en grande précipitation. On en barricade les portes. Girard, remis de sa frayeur, s'agenouille aux pieds du maître-autel et entonne un Te Deum d'actions de graces, puis il revêt les ornemens sacerdotaux et célèbre la messe. Ses amis le blâmèrent. De Brancas, archevêque d'Aix, reprocha au supérieur du couvent d'avoir toléré un pareil scandale. A Marseille, on brûla des mannequins de paille qui imitaient des jésuites; mais à Toulon, il y eut une plus grande manifestation de rumeurs populaires. L'évêque, partisan de Girard, assurait que La Cadière serait au moins fouettée; aussi était-on consterné; mais, quand on eut appris l'acquittement de cette pénitente, la joie fit explosion. Le cercle des bourgeois se pavoisa et s'illumina ; dans un salon, on plaça sur un trône une chaise ornée de rubans et de guirlandes. La foule se porta au couvent des jésuites dont on décida l'incendie; déjà des sarmens et des fagots étaient amoncelés, quand le père Grignet, s'élançant dans la rue par une porte dérobée, alla quérir du secours. Le commandant de la place vint en toute hâte, dispersa, à l'aide de sa troupe, cette foule électrisée; alors on promena pendant trois jours, dans toute la ville, une soutane placée au bout d'une perche que surmontait un trépied triangulaire renversé dont chaque pied était garni d'une corne repliée, à l'imitation de celle dont les peintres décorent le front du diable. On arrêtait le grotesque mannequin devant chaque porte des pénitentes du père Girard, affligées du sobriquet de Girardines, et là, on fesait subir à la soutane un risible interrogatoire, puis on prononçait la peine du feu. La sentence fut exécutée sans encombre au champ de bataille. Pourtant chacun se moquait de l'arrêt absurde du parlement d'Aix qui avait acquitté tout le monde. D'Aguesseau en montra son étonnement dans une lettre adressée au président de Maliverny, le 14 novembre 1731. Mais les jésuites se vengeaient; Belzunce, évêque de Marseille, les soutenait de tout le crédit que sa vie héroïque lui donnait; cet évêque engageait le cardinal de Fleury à commettre des actes de violence, pour raffermir l'église que tant d'audace humiliait et déconsidérait. Le pouvoir usa donc de quelques rigueurs ; il exila à Vivien l'avocat Gastaud, accusé de s'être montré un des plus chauds partisans de La Cadière. Quatre négocians de Marseille, qui tinrent des propos indiscrets, furent jetés en prison. L'abbé de Caveyrac, pour avoir rimé de mauvais vers sur le procès, se vit arrêté. Une lettre de cachet relégua dans ses terres la dame Marsel de Volonne ; les jésuites obtinrent des lettres de cachet contre dix habitans de Toulon. Le 20 février 1732, l'official de Toulon acquitta pleinement le père Girard, et l'évêque de Vivien, François de Villeneuve, écrivit une lettre d'admiration et de félicitation au jésuite persécuté et maintenant triomphant. Le père Girard alla se reposer de toutes ses fatigues dans et il se retira le palais épiscopal de Vivien ensuite à Dôle, où il mourut le 4 juillet 1733, en odeur de sainteté, s'il faut en croire la relation publiée à ce sujet par le préfet du collége des jésuites. Au commencement de 1735, de La Tour vint remplacer le premier président Lebret, dont la mort mit fin à toutes les persécutions dirigées contre les partisans de Jansénius. Les exilés rentrèrent, et le souvenir de toutes ces scènes ridicules ou scandaleuses n'eut plus rien d'inquiétant. Charles Albert, électeur de Bavière, Auguste III, électeur de Saxe et roi de Pologne, le roi d'Espagne Philippe V, profitant de la mort de Charles VI, dernier prince de la maison d'Autriche et empereur d'Allemagne, se portèrent pour héritiers de l'empire; ils disputèrent la |