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bord, deux portefaix employés à la purge des marchandises, moururent. Le chirurgien Gayrard, soit qu'il eût été gagné, soit qu'il n'y entendît rien, déclara qu'il n'avait remarqué aucun vestige de la contagion. Gayrard, malgré d'autres décès qui offraient les mêmes symptômes, rassurait toujours par ses déclarations. On se défiait de lui. D'autres chirurgiens furent mandés. Ceux-ci reconnurent les preuves manifestes de la présence du terrible venin. Alors des mesures sévères furent arrêtées; mais il n'était plus temps. La maladie confinée aux infirmeries, franchit la barrière du lazaret, et descendit dans la ville. Voyez jusques où allaient l'imprévoyance et le manque de surveillance. Des gens affidés avaient reçu des paquets et des pacotilles infectés que des marins des navires pestiférés leur avaient envoyés par-dessus les murs des infirmeries; dans la nuit du 6 au 7 juin, un bateau pêcheur aborda le navire du capitaine Chataud, et retourna en ville avec des paquets qu'on lui avait remis. Un marchand de la Cannebière, ayant acheté un de ces paquets renfermant douze pièces de bourre du Levant, en vendit deux jours après la plus grande partie; une de ses nièces, qui avait reçu du marchand une de ces pièces, s'empressa de la remettre à sa tailleuse.

Le 20 juin, dans cette rue grimpante et sale, de l'Echelle, au centre des vieux quartiers, la

peste se manifesta sur une femme qui eut un charbon à la lèvre. La rue fut bientôt tout entière infectée. Les médecins Sicard et Peysonnel fils annoncèrent partout que la peste était dans la ville. Le plus profond abattement fut le résultat de cette terrible nouvelle.

On touchait à la fin de juillet; la ville se couvrit de deuil, de funèbres heures sonnèrent pour elle. Le parlement d'Aix défendit, sous peine de mort, toute communication avec la ville agonisante. Les échevins voulurent combattre le mal à l'aide de grands feux et de fumigations de soufre, le fléau se joua de ces mesures.

Chicogneau et Verny, médecins de Montpellier, et Michel, chirurgien en la même université, vinrent à Marseille, le 12 août, par ordre du duc d'Orléans, régent du royaume. Ils en sortirent vite, frappés de terreur ; mais, ayant honte de leur peur, ils retournèrent dans cette ville au milieu du mois de septembre, suivis de Deidier, de Soulliers, de Faybesse de Montpellier et du jeune Fournier de Dijon.

En arrivant à Marseille, ils y trouvèrent plus de vingt mille morts et neuf à dix mille malades ou mourans, ce spectacle affreux les fit pleurer et les saisit tellement, qu'ils ne purent prendre de la nourriture. En parcourant les rues de la ville, ils ne savaient où mettre les pieds en bien des endroits, à cause de l'amoncèlement des cadavres et

des malades. Ces pauvres pestiférés s'étonnaient de voir des médecins s'approcher d'eux et les toucher; une faible espérance illumina rapidement leurs yeux presque éteints. Les morts s'élevaient en hideuses couches; les pères et les mères traînaient leurs enfants dans les rues, et les fuyaient après avoir placé à côté d'eux une cruche remplie d'eau. Les enfans montraient une révoltante insensibilité, tous les sentimens généreux avaient été étouffés par la main glacée du squelette de la mort.

La mortalité était si rapide, si intense que les cadavres accumulés devant les maisons, sous les porches des églises, partout, se putréfiaient au souffle d'un vent chaud et impur. Des exhalaisons d'une affreuse infection montaient dans l'air, produites par ces corps se détachant en lambeaux, coulant en chairs molles et dissoutes.

Les cadavres étaient nus, de vieux haillons couvraient à peine les malades; ces malheureux tombaient presque tous de défaillance, sur la route, quand ils essayaient de se diriger vers l'hôpital. Des femmes à demi couvertes, imploraient une goutte d'eau, elles montraient du doigt le ruisseau fétide de la rue, et comme personne n'écoutait leurs voix, alo elles se résolvaient à ramper jusqu'à ce ruissau, leurs nourissons pendus à la mamelle, pour tremper leurs lèvres dans cette boue fétide. Quand la mort arrivait, la violence

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du mal était attestée par une affreuse contraction de nerfs.

D'autres pestiférés, couchés sans pouvoir quitter cette horrible place, au milieu de tant de cadavres, ne heurtaient que des morts avant d'expirer.

Le nombre des morts allait toujours en s'augmentant, de telle manière qu'il devint impossible de les enterrer; on les jetait des fenêtres, ils s'accumulaient dans les rues ; le vertige fesait tourner toutes les têtes. Les habitans que le mal n'avait pas atteints, marchaient dans les rues, sans but, sans savoir où ils allaient, et s'évitant les uns les autres ; d'autres transformaient leurs maisons en citadelles, comme pour soutenir un siége contre la mort ; d'autres se cachaient dans leurs bastides; d'autres encore montaient sur des bateaux ; mais la peste les saisissait partout.

L'avidité de certains médecins fut satisfaite: pour les retenir dans ce lieu de désolation, on leur donnait jusqu'à dix mille livres par mois, et on s'engageait à faire une pension à leurs familles, s'ils succombaient. Des jeunes garçons chirurgiens accoururent, dans l'espoir d'une grande fortune, mais ils moururent presque tous.

Dans ces jours de calamités, le cœur de l'homme se montra à nu, il étala toutes ses misères, ses ignobles penchants, ainsi que ses beaux dévoûments et ses vertus. Ces gens, surtout, qui, cachés dans les derniers rangs sociaux, ne sont contenus

que par la crainte des lois, se crurent dégagés de toute contrainte, et se livrèrent à d'horribles excès. Les galériens; devenus les pourvoyeurs des tombes, traînaient les tombereaux avec une insouciance moqueuse ;'pour voler plus tôt ils tuaient les agonisans, ils mêlaient des vivans encore avec des morts, et versaient, en riant, ces horribles charges dans les fosses. Des fonctionnaires, des employés, des prêtres, désertèrent leurs postes, et les moines de Saint-Victor s'enfermèrent dans leur forteresse.

Mais d'autres hommes firent rayonner sur cette ville dolente, leur humanité sainte. Des prêtres accoururent de divers points de la France, pour venir s'enfermer dans ce cirque de la mort; leur zèle était constamment excité par l'exemple du sublime dévoûment que Belsunce, évêque de Marseille, leur donna. La crainte de la mort ne refroidit pas sa charité, il parcourut les rues, s'assit auprès des moribonds, se pencha sur eux, pour les confesser, et, au milieu de ces actes de sainte humanité, le fléau le respecta. Il voulut désarmer le Seigneur par des cérémonies d'expiation publique ; la corde au cou, les pieds nus, il s'offrit lui-même en holocauste à Dieu.

Langeron, commandant de Marseille, seconda ce digne évêque c'était lui qui maintenait la police de la ville et veillait à la désinfection de l'air. Autour de cet homme généreux, l'histoire

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