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(No. CCLXXIV.) (SAMEDI 18 OCTOBRE 1806

MERCURE

DE FRAN C E.

POÉSIE

ÉPITRE

A M. DE BOISJOLIN,

Sur l'Emploi du Temps,

Ecrite de Lyon en 1790.

SUR les bords de la Saône, heureux dans ma retraite,
Possédant plus de biens qu'il n'en faut au poète,
Ma volage pensée au milieu de Paris

Court retrouver encor tous ceux que j'ai chéris,
Ces premiers compagnons des goûts de ma jeunesse,
Qui préféroient aux rangs, aux dons de la richesse
Les rêves de la gloire, à cet âge si chers,
Une heureuse indigence, et l'amour, et les vers.

Boisjolin, c'est à toi qu'aujourd'hui je m'adresse.
Nous aimons tous les deux les arts et la pare-se:
Peut-on nous en blâmer? Sans nous, assez d'auteurs
De leur fécondité fatiguent les lecteurs !

Il est doux de rêver; il l'est si peu d'écrire !
Plus d'un Linière encore appelle la satire;
Mais tout a son excès: n'attendons pas trop tard;
On railla justement le sommeil de Conrard.
Exerçons la pensée : elle croît par l'usage.

Les vers comme l'amour vont si bien au jeune øge !

Et

Mets-le à profit, crois-mor: tout fuit, cher Boisjolin; trop tôt le talent a ses jours de déclin.

Quand il nait tout l'accueille; ou aime son aurorë.
Rappelle-toi ces jours où, commençant d'éclore,
Ta Muse, qui brilloit des plus fraîches couleurs,
Orna d'attraits nouveaux la Déesse des fleurs,
Alors que ton crayon, pur et brillant comme elles,
Accroissoit du printemps les graces immortelles.
O jours d'enchantemens ! L'Espérance à tes yeux
Ouvroit dans un ciel pur ces lointains radieux
D'où la Gloire, au travers de cent miroirs magiques,
De son temple élevé fait briller les portiques.
La course étoit immense et ne t'effrayoit pas.
Quelle langueur oisive a su pendu tes pas !
Tu m'as trop imité : les plaisirs, la mollesse
Dans un piége enchanteur ont surpris ta foiblesse.
La Gloire en vain promet des honneurs éclatans;
Un souris de l'Amour est plus doux à vingt ans ;
Mais à trente ans la gloire est plus douce peut-être.

Je l'éprouve aujourd hui : j'ai trop va disparoltre
Dans quelques vains plaisirs aussitôt échappés
Des jours que le travail auroit mieux occupés.
Oh, dans ces courts momens consacrés à l'étude
Combien je chérissois ma docte solitude!
J'y bornois tous mes vœux; et charmant mon loisir,
Chaque heure fugitive y laissoit un plaisir.
Là d'un air recueilli, mais sans être farouche,
Le Silence pensif, et le doigt sur in touche,
Ecartoit loin de moi les vices, les malheurs,
Les dégoûts, et l'ennui pire que la douleur.
Alors indépendante, et même un peu sauvage,
Ma Muse ne cherchoit qu'un solitaire ombrage,
Ou venoit, quand Vesper a noirci le coteau,
S'asseoir sur les débris des tours d'un vieux château,
Ou rêvoit au milieu de ces tombes champêtres,
Qui du hameau voisin renferment les ancêtres.
Quelquefois p'us riante, elle ornoit un verger,
Un jour dans les cieux même elle osa voyager.
Les Alpes, le Jura l'appeloient sur leurs of nes.
Elle aimoit à descendre au fond de leurs abymes;
Dans ces antres sacrés d'où sort la voix des Dieux,
D'où montoient jusqu'à moi ces sons mystérieux,
Ces acoens inspirés, que dans un saint délire,

L'enthousiasme seul peut entendre et redire.
Tels étoient mes plaisirs; tels ont été les tiens;
Et nos illusions nous donnoient tous les biens.
Malheur an vil mortel, malheur à l'amant même
Qui méconnoît des vers la puissance suprême !
Ce grand art dont l'éclat souvent m'enorgueillit,
M'embellissoit l'amour par qui tout s'embellit.

Que n'es-tu près de moi ? Les lieux où je t'écris,
A l'amant, au poète offriroient des abris.
Tu chantois le printemps; ses beautés m'environnent.
Du front de cent coteaux que les vignes couronnent,
Mon regard abaissé sur d'immenses moi-sons,
Voit des Alpes au loin resplendir les glaçons.
Deux fleuves en fuyant dans leurs eaux réfléchissent
Une antique cité que les arts enrichissent.

Quel contraste! En ces champs peuplés d'heureux troupeaux
Des cruels triumvirs ont flotté les drapeaux :

Là fut placé leur camp; là des vierges modestes
D'un palais des Césars foulent aux pieds les restes :
Ces débris sont leur temple; et leurs pieuses mains
Cultivent quelques fleurs sur des tombeaux romains.
Ici plus d'une fois rêva l'auteur d'Emile,

Et cet antre écarté fut, dit-on, son asile :
Ami de la nature, il aimoit oes beaux lieux.
Qui peindra ces tableaux qu'ont admiré ses yeux ?
Pour Delille et Vernet qu'ils seroient favorables!
Jadis la poésie, au siècle heureux des fables,
Eût dit qu'en ces vallons dans le mois des amours,
Les Nymphes à dessein reprenant leurs atours,
De la Saône à mes pieds par le Rhône entraînée,
Viennent orner le lit, et fêter l'hymenée.

Un jour, ô jour fatal, les Nymphes dans leurs pleurs, -
Rejetèrent soudain leurs couronnes de fleurs !

Plus de jeux, plus de chants! Les deux fleuves gémirent ;
De I mentables voix sur les eaux retentirent,

Qui de ces deux amans, l'un par l'autre immolés,
Annoncèrent la mort aux vallons désolés.
Thérèse et Faldoni, vivez dans la mémoire !
Les vers doivent aussi consacrer votre histoire.
Héloïse, Abeilard, ces illustres époux,
Furent-ils si touchans, aimoient-ils mieux que vous ?
Comme l'amour en deuil à jamais vous regrette!
Qu'il console votre ombre, et vous donne un poète.

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Viens ami, leurs malheurs sont dignes de tes chants. Ta voix qu'instruisit Pope en tes plus jeunes ans, Des bosquets de Windsor ressuscita la gloire. Jeune, tu vis les champs embellis par la Loire; Mais ceux où je t'invite ont encor plus d'appas. Comme on voit, quand l'hiver a chassé les frimas, Revoler sur les fleurs l'abeille ranimée, Qui six mois dans sa ruche a langui renfermée, Ainsi revole aux champs, Muse, fille du ciel; De poétiques fleurs compose un nouveau miel, Laisse les vils frelons qui te livrent la guerre A la hâte et sans art pétrir un miel vulgaire ; Pour toi, saisis l'instant; marque d'un œil jaloux Le terrain qui produit les parfums les plus doux ; Reposant jusqu'. u soir sur la tige chois'e, Exprime avec lenteur une douce ambrosie; Epure-la sans cesse, et forme pour les cieux Ce breuvage immortel attendu par les Dieux.

M. DE FONTANES.

ÉLÉGIE

A M. DE B***,

Sur la Mort de mon Fils.

Tous deux adorateurs des Nymphes de Mémoire,
Caressant tour-à-tour et Vénus et la Gloire,
Amans aimé, tous deux, tous deux amans trahis,
D'une beauté parjure avant tous deux un fils,
Tous deux nous confiant nos plaisirs et nos, peines,
D'une égale amitié nous serrâmes les chaînes,
Nos cœurs s'applaudissoient d'avoir un même sort.
Hélas! mon fils mourant trouble ce doux accord..
La Parque a moissonné cette rose charmante;
Pour la seconde fois j'ai perdu mon amante.
Dans nos cœurs divisés peut-être quelque jour,
Il eût éteint la haine et rallumé l'amour.
Ou, s'il n'eût pu fléchir une ainante perfide,
Du moins il m'eût offert les traits d'Ad laïde.
J'aurois vu, dans mon fils, ses charmes épurés
Qu'un parjure odieux n'eût pas défigurés :
Dans ses yeux ingénus j'aurois cru voir la flamme
Dont sa mère enivroit et mes yeux et mon ame;
Et j'aurois cru sentir, dans ses bras innocens,
D'Adélaïde encor les baisers ravissans.

Mais où va m'égarer un plaisir trop funeste?
Tout bonheur m'est ravi!... ce doux espoir te reste.
Ami! c'est pour toi seul que, fléchis par mes vœux,
Vont luire des cieux purs et des soleils heureux.
Toi seul peux de la gloire encor suivre les traces,
Et te mêler aux choeurs des Muses et des Graces;
Tu peux dire à Vénus : J'aime et j'ai pardonné;
Tu peux voir de tes feux le gage fortuné:

Un fils, un tendre fils, délices de son père,

De ses bras caressans va t'unir à sa mère;

Et le mien!... n'est pour moi qu'un triste souvenir;
Sa mort change en désert mon funeste ɔvenir.
Tout ce qui l'eût peuplé de riantes images

Me trahit, m'abandonne, ou tombe aux noirs rivages.
Ce fils, mon seul espoir, ma seule volupté,
Erre avec mon bonheur aux rives du Léthé.
Non, je ne verrai plus le Pinde et l'Idalie!
Un cœur tendre se plaît dans sa mélancolie;
J'aime mes pleurs; ces pleurs à mes sens éperdus
Sont une amante encor, sont un fils qui n'est plus ;
Et les Muses, Vénus, l'immortalité même
Ne vaut pas la douceur de pleurer ce qu'on aime.

L'Amitié! l'Amitié dont j'adore les lois,
Peut seule à mes soupirs mêler sa douce voix;
Elle seule à mes jours prête encore des charmes,

Je n'ai que deux plaisirs, son bonheur et mes larmes !
Le bonheur dans mon ame est expiré pour moi;
Cher ami! que du moins il renaisse pour toi.
Puissent des jours d'un fils éclipsé à l'aurore,
Les jours du tien s'accroître et s'embellir encore;
Comme une fleur, mourante aux rayons du matin,
Accroît d'une autre fleur la vie et le destin!
Puisse Amour te garder sa flamme la plus pure,
Et mon amante avoir épuisé le parjure!
Hélas! persécuté par un astre ennemi,
Qu'au moins je sois heureux du bonheur d'un ami !
Quand Nisus en tombant vit sa palme échappée,
Des succès d'un ami l'ame encore occupée (1),
Il suivoit Euryale et des yeux et du cœur,
Et, dans son Euryale, il crut être vainqueur.

Par M. LE BRUN, de l'Institut.

(1) Non tamen Euryali; non ille oblitus amorum.

VIRGILE.

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