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Œuvres d'Evariste Parny, nouvelle édition, corrigée et considérablement augmentée. A Paris, chez Debray, libraire, place du Muséum, no 9. Portefeuille Volé. A Paris, au magasin de librairie, rue Saint-Honoré, vis-à-vis celle du Coq.

Le premier de ces recueils, avoué par l'auteur, lui a fait une réputation parmi les poètes érotiques; le second qu'il a eu la pudeur de ne pas signer, mais qu'il a publié malgré l'accueil peu favorable qu'on a fait à la Guerre des Dieux, porte le même caractère de foiblesse que ce dernier ouvrage. On y voit la même prétention à fouler aux pieds toutes les convenances sacrées et humaines, et la même impuissance à être agréable et piquant. On peut appliquer à ces productions d'autant plus misérables qu'elles n'annoncent pas même le talent du vice séduisant, ce que disoit Pascal des hommes qui passoient leur vie à étre sottement libertins.

Nous nous étendrons sur le premier recueil; et nous ne parlerons du second que pour montrer combien l'impiété dépourvue d'imagination et d'esprit est quelquefois absurde, plate et ridicule.

Avant d'examiner les poésies érotiques de M. de Parny, il ne sera pas inutile de faire quelques observations sur le genre dans lequel il s'est exercé: c'est une question littéraire qui n'a pas encore été traitée à fonds.

Pourquoi la réputation des Tibulle et des Properce marchet-elle presque de pair avec celle d'Homère et de Virgile, de Sophocle et d'Euripide ? Tibulle et Properce n'offrent pourtant ni cette raison supérieure, ni cette fécondité d'imagination, ni cette richesse et cette variété de coloris que l'on toujours admirés dans les grands poètes épiques et tragiques dont nous venons de parler: quelle est donc la raison qui a

a

donné aux premiers tant de célébrité? Personne ne pourra soutenir qu'une certaine pureté dans le style, une certaine élégance dans la versification, une certaine mollesse de sentiment, puissent être mises en parallèle avec les grandes conceptions de l'Epopée, et de la tragédie, sur-tout lorsque ces qualités se trouvent dans ces belles productions toutes les fois que le sujet l'exige. Il faut donc chercher dans le cœur humain la solution de ce singulier problème.

Les hommes accordent volontiers leur suffrage aux ouvrages qui flattent leurs passions. C'est peut-être mal à propos que l'épopée, la tragédie et la comédie prétendent corriger nos penchans vicieux par le tableau des excès auxquels ils peuvent nous entraîner. Mais du moins elles ne peignent nos passions qu'en général : elles n'offrent point, comme les poésies érotiques, les détails de volupté si chers aux hommes corrompus. Le ton élevé de l'épopée, la représentation publique de la tragédie et de la comédie, s'y opposent. La muse d'Homère et de Virgile fut toujours chaste; et les hommes assemblés au théâtre se sont assez respectés euxmêmes pour ne pas souffrir que leur poète leur manquât par des développemens licencieux. L'exemple d'Aristophane ne prouve rien contre cette dernière assertion. Sa licence tenoit à un gouvernement vicieux ; et elle fut interdite à ceux qui lui succédèrent. Il n'en est pas ainsi de l'élégie et de l'héroïde: elles flattent sans ménagement les goûts même les plus dépravés; elles pénètrent dans les plus secrets replis du cœur humain, pour y éveiller tous les penchans dont il est succeptible.

On ne se rend jamais bien compte de ses goûts; mais n'estil pas permis de penser que le plaisir qu'on éprouve en lisant Homère et Virgile, et celui que procurent Tibulle et Properce, sont d'une nature différente? Il se mêle dans le sentiment qu'on a pour les premiers une admiration, un respect et une estime qui rendent cette jouissance plus délicate et plus pure.. Comme les hommes ont malheureusement une propension

naturelle à aimer ceux qui flattent leurs passions, il n'est pas étonnant qu'ils aient accueilli avec faveur les poètes érotiques. Mais ils ne nous plaisent que comme des flatteurs complaisans, qui entrant dans le secret de nos foiblesses, se montrent livrés aux mêmes passions que nous aimons à éprouver, et les réveillent en nous par le tableau séduisant qu'ils nous en re

tracent.

Le siècle de Louis XIV n'a point produit de poètes dans le genre érotique, car on ne peut compter madame de la Suze an nombre des classiques. Cette singularité à une époque où presque tous les genres de littérature furent portés à leur perfection, sert à confirmer l'opinion que nous avons eu déjà l'occasion d'émettre, c'est que les écrivains de ce siècle regar➡ doient comme indigne d'eux de flatter les passions des hommes.

Cependant Boileau, le législateur de notre Parnasse, a compté l'élégie au nombre des genres de poésies dont il a donné des règles; malgré sa sévérité, il a cru que ce genre devoit entrer dans une poétique. Nous aurions tort de nous montrer plus rigoristes que lui; et quoique en général les poésies érotiques soient une lecture dangereuse pour les jeunes gens dont elle amollit le cœur et étouffe les nobles penchans, nous considérerons celles de M. de Parny sous un rapport purement littéraire.

Quand on veut perdre quelques momens à parcourir des poésies érotiques, on desire d'y trouver les développemens variés d'une passion qui se modifie de mille manières différentes suivant les caractères et les situations. Si le poète revient sans cesse sur les mêmes idées et les mêmes mouvemens, s'il reproduit à chaque instant les mêmes expressions, s'il rappelle jusqu'à la satiété le contraste usé de l'amitié et de l'amour, s'il parle toujours de roses, de fleurs, on ne peut s'empêcher de convenir qu'il a manqué son but: une lecture que l'on a cru amusante fatigue et ennuie. M. de Parny n'est pas exempt

de ces défauts qui tiennent à une grande stérilité d'imagi

nation.

Il est aussi nécessaire dans ces collections d'élégies, qu'il y ait une action qui attache. Des incidens bien amenés doivent réveiller l'intérêt sur les deux amans: le tableau toujours uniforme de leurs jouissances ne peut fixer long-temps l'attention du lecteur. En cela Bertin l'emporte de beaucoup sur M. de Parny. Ses amours avec Eucharis sont souvent troubles; et les situations où le poète se met lui inspirent des sentimens éner― giques et variés que l'on ne trouve presque jamais dans l'amant d'Eléonore.

M. de Parny a cependant un avantage sur Bertin; et nous nous plaisons à le reconnoître., Son style est beaucoup plus pur; il y règne en général une douce élégance; et il est à présumer que si les louanges outrées que l'on donna à ses premiers essais ne l'avoient pas aveuglé sur ses défauts, le poète auroit été beaucoup plus loin. M. de Parny paroit avoir étudié Tibulle avec soin: c'étoit le meilleur modèle qu'il pût choisir. Il l'imite souvent; mais il développe trop ses idées, et ne s'aperçoit pas que la peinture des passions les plus voluptueuses et les plus molles doit avoir la précision qui lui est propre. En les délayant, on les affoiblit; et, quoique leurs développemens ne soient que trop séduisans, elles fatiguent si elles s'étendent trop. Nous citerons un exemple de ce défaut. Tout le monde connoît les vers charmans où Tibulle suppose que sa maîtresse lui survivra:

Te spectem suprema mihi cum venerit hora,

Te teneam moriens deficiente manu (1).

M. de Parny donne à cette peinture des développemens trop étendus.

O ma maîtresse ! un jour l'arrêt du sort
Viendra fermer ma paupière affoiblie :

(1) Tibulle, Eleg. 1, lib. 1.

Lorsque tes bras, entourant ton ami,
Soulageront sa léte languissante,
Et que es yeux, soulevés à demi,
Seront remplis d'une flamme mourante;
Lorsque mes doigts tacheront d'es uyer
Tes yeux fixés sur ma paisible couche,
Et que mon cœur s'échappant de ma bouche,
De tes baisers recevra le dernier;
Je ne veux point qu'une pompe indiscrète
Vienne trahir ma douce oi scurité,

Ni qu'un airain à grand bruit a.ité
Annonce à tous le trépas qui s'apprête.

Ces vers sont beaucoup trop négligés, même pour l'élégie qui exige moins de rigueur que les autres genres de poésies; il y a profusion d'épithètes, et incohérence fréquente d'expression. L'arrét du sort ne vient pas fermer une paupière : c'est donner du mouvement à ce qui ne peut en avoir. So tenir la tête d'un malade n'est pas la soulager; le lit d'un mourant n'est pas une paisible couche. On peut dire en poésie que le cœur d'un homme qui expire s'échappe de sa bouche, mais on ne peut dire que ce cœur en s'échappant reçoit un baiser. Ily auroit encore un grand nombre d'observations à faire sur ces vers; elles seroient superflues: les fautes que nous avons relevées suffisent pour prouver que M. de Parny se laisse trop souvent égarer par sa facilité.

Ce poète a un talent qu'on ne peut lui contester, et dont il a plus d'une fois abusé, c'est celui de rendre en mots décens les idées et les tableaux les plus licencieux. Presque aucun. poète n'a porté plus loin cette espèce de délicatesse qui consiste à garder une mesure entre la grossièreté des objets, et les termes destinés à les exprimer. On devine facilement tout ce que l'auteur a voulu dire ou peindre: à l'aide d'une circonstance habilement placée, le voile de la pudeur se lève, sans que l'expression puisse faire rougir. Ce talent, si c'en est un, est le fruit d'un rafinement digne du 18 siècle : nos lecteurs jugeront s'il doit être admiré ou condamné.

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