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femme et l'enlèvement d'une esclave. Tout est privé dans
l'action, qui commence par la colère d'Achille contre Aga-
memnon, et se dénoue par son amitié envers Patrocle: senti-
mens plus puissans sur l'ame du héros, que le devoir ou
les ordres des Dieux, et qui seuls lui font quitter ou reprendre
les armes. L'homme privé l'emporte donc sur l'homme pu-
blic; et le poëme n'en est peut-être que plus brillant, parce
que l'énergie fougueuse et désordonnée des passions, prête
plus à l'imagination que la force calme et raisonnée des de-
voirs. Qu'on se garde bien de croire que j'aie prétendu rabais-
ser le mérite d'Homère. L'homme de génie devance les autres
hommes; mais il ne fait que suivre les progrès de la société :
l'art du poète consiste à peindre et non à deviner; et Homère
est parfait, même lorsqu'il représente une société impar-
faite. (1)

MERCURE DE FRANCE,

C'est ici le lieu d'observer qu'on ne peut prendre le sujet d'une épopée, que dans l'histoire d'une société monarchique. Il faut l'unité de pouvoir pour produire l'unité d'action indispensable dans le poëme épique; et c'est une preuve plus forte qu'on ne pense, que le gouvernement monarchique est l'état naturel de la société. Si le poète vouloit mettre en épopée quelqu'événement d'une société populaire, il seroit du moins nécessaire d'en attacher l'action à un seul personnage qui seroit, par ses vertus et ses exploits, le héros du poëme, s'il n'étoit pas le chef de la nation; et pour composer le poëme, il faudroit, en quelque sorte, constituer la société. Ce défaut d'anité est le vice principal des foibles poemes de Silius Italicus, de Stace, de Lucain même, qui n'ayant chanté que des guerres de république contre république, ou de citoyen contre citoyen, n'ont pas vu que la multiplicité de personnages égaux excluoit l'unité d'action, si rigoureusement nécessaire dans l'épopée, et qu'un poëme héroïque pouvoit ne pas être un poëme épique.

(1) C'est là le noeud de la dispute entre Mme Dacier et la Mothe. La Mothe vouloit qu'Homère fût imparfait, parce qu'il avoit chanté une société imparfaite; et Mme Dacier voul sit que les moeurs de l'Iliade fussent parfaites, parce qu Homère étoit parfait. Tous les deux avoient raison sous un point de vue, et tort sous un autre.

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On retrouve cette prédominance, si je puis m'exprimer ainsi, de la société domestique chez les Grecs, et dans leur genre lyrique, qui ne chante que les victoires de particuliers aux jeux solennels, et dans leur comédie toujours dirigée contre des particuliers; et dans la naïveté quelquefois grossière de leurs romans et de leur pastorale, et jusque dans leur tragédie simple et sans action, privée dans les sujets, familière dans les détails, remarquable sur-tout par la vérité des sentimens domestiques. C'est ce qui fait dire à M. de La Harpe, à propos de la tragédie grecque : « La sim»plicité des anciens peut instruire notre luxe..... Notre » orgueilleuse délicatesse, à force de vouloir tout ennoblir, >> peut nous faire méconnoître le charme de la nature primi»tive..... Il ne faut pas sans doute imiter en tout les Grecs; » mais dès qu'il s'agit de l'expression des sentimens naturels, » rien n'est plus pur que le modèle qu'ils nous offrent dans » leurs bons ouvrages. » Le critique a raison; mais cette délicatesse qu'il appelle orgueilleuse, est le résultat nécessaire du progrès de la société, et du développement de l'état noble ou public. La tragédie est publique chez nous; elle étoit domestique chez les Grecs et en cela, cette partie de leur littérature étoit, comme les autres, l'expression de leur société.

Jusqu'à Auguste, et sous le règne du peuple, si l'on excepte les écrits des historiens et les discours des orateurs dont nous traiterons ailleurs, il n'y eut chez les Romains d'autre littérature que celle des Grecs. Les Latins en empruntèrent d'abord les productions du genre familier: comédie, pastorale, poésie érotique et comique. L'aristocratie romaine, sur-tout avant les Gracques, se rapprochoit bien plus que la démocratie grecque, de la constitution naturelle des sociétés : la comédie, à Rome, fut moins personnelle dans ses applications; et plus tard, la pastorale fut plus décente dans ses tableaux. Vers le règne d'Auguste, ou après ce prince, les Romains imitèrent ou traduisirent les tragédies grecques: car jamais ils n'eurent de drame national. Occupés de grandes choses, ils dédaignèrent toujours de paroître sur une autre

scène que sur la scène du monde ; et dans leur dignité hautaine, ils firent servir à leurs plaisirs ces mêmes peuple qu'ils avoient soumis à leurs lois. Le peuple-roi n'eut donc proprement une littérature à lui, que dans le genre épique et lyrique; et lorsque Rome échappée aux désordres de l'anarchie populaire fut, du moins un moment, constituée en monarchie sous Auguste, l'ode héroïque et l'épopée parurent avec éclat, la littérature latine prit rang à côté de la littérature grecque; et comme la société étoit mieux ordonnée, on put remarquer dans les productions du génie latin, une noblesse plus soutenue que dans celles des Grecs, et moins altérée par le mélange du familier.

En effet, avec moins d'élévation qu'Homère, Virgile offre partout une dignité plus égale, et par cela même moins sensible, parce qu'elle n'est pas rehaussée, comme dans le poète grec, par le contraste du familier et du naïf. Il n'y a pas dans l'Enéide de plus grandes images de la divinité que dans l'Iliade, mais on y trouve une mythologie plus raisonnable; et même le chant de la descente aux Enfers, qui appartient tout entier au poète latin, présente sur tous les objets de la morale publique des notions épurées qui annoncent de grands progrès dans les esprits, et qui n'étoient que l'aurore d'une meilleure et plus haute philososophie qui alloit se lever sur l'univers. Le développement des idées politiques n'est pas moins marqué. Le pouvoir du chef est plus reconnu, et mieux affermi. Les personnages secondaires ne sont même dans l'Énéide que trop effacés; et Virgile n'a pas su, comme le Tasse, conserver au chef toute sa supériorité naturelle, en jetant un grand éclat sur les subalternes. La fable d'Homère n'est fondée que sur des affections privées. Le ressort de l'Enéide est l'ordre des Dieux qui appellent Enée en Italie, le soutiennent dans toutes les traverses qu'il éprouve, et l'arrachent même à sa passion pour Didon : car dans l'Enéide, l'amour ne fait que retarder l'action du poëme, au lieu que l'amitié dénoue celle de l'Iliade. La nature morale est moins brillante dans l'Enéide, mais elle y est plus sage et mieux réglée. Enée est religieux autant que politique: qualités né

cessaires,

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cessaires, l'une comme l'autre, à un fondateur de société LE LA courage s'allie à la subordination, et la fureur guerriere nest pas sans humanité. Cependant, au milieu de ce progrès des idées publiques, si bien exprimé dans cet immortel poëme, on retrouve quelque chose des idées domestiques des temps anciens, et de cet état de sociétés qui n'étoient pas encore parvenues à la perfection de l'âge mûr. On le retrouve, et dans l'amoureuse foiblesse du chef, et dans la description de ces jeux qui tiennent une si grande place dans l'Enéide; et dans la puérilité de cette prédiction sur les tables, accomplie par un jeu de mots; et dans le sujet de la guerre entre les Troyens et les Latins, à l'occasion d'un cerf élevé par une jeune fille; même dans quelques détails, rares toutefois, de soins domestiques. Et pour dernière preuve, il faut observer que la production la plus parfaite de la littérature latine, est le poëme de Virgile sur l'agriculture et les travaux de l'homme domestique.

Mais l'Empire constitué un moment sous Auguste, et arraché par ce prince à la démocratie du peuple, retomba bientôt après lui dans la démocratie des soldats. Le goût de la saine littérature né avec la monarchie finit avec elle: on ne retrouve après Auguste ni le même génie dans les écrivains, ni presque la même langue dans leurs écrits. Il n'y a pas plus de naturel dans la littérature que dans la constitution politique; et l'on ne voit presque plus dans l'une et dans l'autre, jusqu'aux derniers temps de l'Empire, que des tyrans qui corrompent les lois, et de beaux-esprits qui corrompent le goût. Je passe aux peuples modernes.

DE BONALD.

(La suite de ces réflexions dans le numéro suivant.)

M m

Les Bucoliques de Virgile, traduites en vers français. Un vol. in-18.Prix : 3 fr. 50 cent., et 4 fr. 50 cent. par la poste. Idem, in-8°., 7 fr., et 8 fr. 50 cent. par la poste. A Paris, chez Giguet et Michaud, imprimeurs-libraires, rue neuve des Bons-Enfans; et chez le Normant, imprimeur-libraire, rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois, n°. 17.

S'IL est vrai que, de tous les poètes anciens, Virgile soit le plus difficile à traduire, il faut avouer aussi que, de tous ges ouvrages, les Bucoliques sont peut-être le moins favorable aux efforts d'un traducteur français. Un long poëme comme l'Enéide a, dans la grandeur et la variété des événemens, un intérêt qui se retrouve plus ou moins dans les versions les plus imparfaites. Un talent supérieur a fait pour nous des Géorgiques un ouvrage national; mais le sujet des Géorgiques a de l'importance chez tous les peuples: on y traite du premier des arts, et cet art n'a point changé depuis le poète romain. Il n'en est pas ainsi des Bucoliques: les mœurs pastorales peintes par Virgile ne sont plus les nôtres; les bergers de ses Eglogues n'ont point de modèles dans l'Europe moderne. L'intérêt de ces petits ouvrages ne peut donc plus être pour nous que dans l'expression; et si le traducteur ne sait pas bien la saisir, le charme disparoît.

Plusieurs poètes, dans ces derniers temps, se sont essayés sur les Bucoliques. Leurs efforts méritent d'être encouragės: ils annoncent tous, du moins, l'amour des grands modèles, et ce goût de l'antiquité, présage ordinaire d'un vrai talent. L'ouvrage du traducteur que nous annonçons est celui qu'on a le moins cité. Il nous semble pourtant qu'il n'étoit pas le moins digne de l'être; mais le sort des livres ressemble beaucoup à celui des hommes: ceux qui ont le plus de mérite ne sont pas ceux qu'on met le plus promptement à leur place.

Au premier coup-d'œil jeté sur cette traduction, il est pourtant facile de reconnoître une main exercée. On sent même que l'auteur doit avoir l'habitude d'écrire dans des

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