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» qu'aucune autre nation de la constitution naturelle des so>> ciétés civilisées: remarquez aussi la supériorité que les arts » de l'esprit avoient acquis en France dans l'imitation de la >> belle nature; et voyez au contraire dans les sociétés an>>ciennes et modernes, les mêmes arts s'éloigner de l'imita>>tion de cette nature perfectionnée, dans la même propor» tion que leurs institutions s'éloignent de la nature de la so>>ciété constituée. Je n'en excepte aucun peuple, pas même » les Grecs, qui, l'imagination encore pleine de leurs rois et » de leurs héros, immortalisoient dans leurs chefs-d'œuvre, » des temps et des hommes qui n'étoient plus; mais qui des>>cendent souvent, dans les sujets même les plus relevés, à » des imitations d'une nature familière, basse, et quelquefois >> ignoble, parce que leur société, sans constitution pu»blique, n'étoit au fond qu'un rassemblement fortuit et >> turbulent de sociétés domestiques, souvent dans l'état

>> sauvage.

» Le goût ou l'imitation de la belle nature ne se perfec>>tionne chez les Romains que lorsque les institutions mo>>narchiques prennent la place du désordre démocratique. >> Les temps d'Ennius et de Lucile sont ceux des Gracques » et des Saturnius; le siècle d'Auguste, est celui de Virgile et >> d'Horace.

>> Ce seroit, ce me semble, le sujet d'un ouvrage de lit>>térature politique bien intéressant, que le rapprochement de » l'état des arts chez les divers peuples, avec la nature de leurs » institutions, fait d'après les principes que nous venons d'ex»poser. L'auteur trouveroit peut-être dans la mollesse des ins>>titutions politiques des Etats d'Italie, le motif de l'afféterie » qui domine dans leurs arts; dans l'imperfection des insti>>tutions despotiques, aristocratiques, presbytériennes des >> peuples du Nord, le secret principe du peu de goût et de >> naturel de leurs productions littéraires du genre noble; » dans la constitution mixte de l'Angleterre, la cause de ces » inégalités bizarres, de ce mélange d'une nature sublime et » d'une nature basse et abjecte, que l'on remarque dans ses poètes; il rejetteroit le principe secret de ces imitations,

» exagérées, de cette grandeur gigantesque que l'on aperçoit » dans les productions de la littérature espagnole et jusque » dans le caractère de ce peuple, sur les événemens extraor» dinaires au milieu desquels cette société a vécu, et qui » n'ont pas permis d'en limiter assez le pouvoir par des insti» tutions politiques; il n'oublieroit pas sur-tout de remar» quer que les arts en France s'éloignoient de la nature noble » et perfectionnée, pour descendre à une nature simple, » champêtre, enfantine, familiere, depuis que la société » politique penchoit vers la révolution, qui devoit la ra» mener à l'état sauvage des sociétés domestiques, par l'es» tinction du pouvoir monarchique et la dissolution de tous » les liens publics. Ainsi, la poésie peignoit les jouissances » des sens, plutôt que les sentimens du cœur ou l'héroïsme des » vertus publiques; elle mettoit sur la scène les détails naïfs, » ignobles, quelquefois larmoyans, souvent obscènes de l'in» térieur de la vie privée, plutôt que le tableau des événe» mens qui décident du destin des rois et de la fortune des » Empires, plutôt que la représentation des mœurs nobles et » décentes. La peinture exprimoit plus volontiers la férocité » de Brutus que la magnanimité d'Alexandre; l'architecture » avoit moins de monumens à élever que de boudoirs à em» bellir; et la même disposition d'esprit qui changeoit un » jardin où l'art avoit perfectionné la nature en en dispo»sant avec ordre les différentes beautés, en une campagne » inculte et agreste, sous le nom de jardin anglais, devoit » bientôt remplacer la régularité majestueuse d'une société » constituée, par le désordre et le délire des institutions poli»tiques de l'homme (1). »

Ainsi les principes du goût dans les arts ne seroient pas plus arbitraires que les principes des lois; ainsi l'on auroit une règle sûre pour distinguer, même dans les productions de l'esprit, ce qui est bon de ce qui est mauvais. On pourroit appliquer à la législation littéraire ce que Cicéron dit de la législation politique : Legem bonam a malá nullá alið nisi

(1) Théorie du Pouvoir, Tom. I, liv. 4, chap. 5,

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naturali normá dividere possumus. « Ce n'est que dans la »> nature que nous pouvons trouver une règle sûre pour dis» tinguer une bonne loi d'une mauvaise; » et il y auroit en littérature un naturel qui seroit le principe et la règle du goût, et qui dérive du naturel dans la société, qui est le principe et la règle des lois.

Après ces observations préliminaires et ces points de vue généraux, nous entrerons avec plus de confiance dans quelques applications particulières, en cherchant à les renfermer dans les bornes qui nous sont prescrites.

par

Nous ne voyons dans l'antiquité que trois peuples dont la littérature nous soit connue des écrits venus jusqu'à nous, les Juifs, les Grecs et les Romains; encore les Juifs n'ont qu'un livre; mais ce livre, s'il est permis de le considérer sous des rapports humains et littéraires, offre à chaque page la double expression de la constitution publique, dont le peuple juif n'étoit que le dépositaire, et de la constitution domestique sous laquelle il vivoit. Certes, ce n'étoit pas un peuple gouverné par des lois humaines, que celui qui nous offre dans le livre qu'il nous a conservé, et dès les temps les plus anciens dont nous ayons connoissance, de si hautes et de si justes idées sur la divinité, sur la société, sur l'homme, sur le pouvoir et les devoirs; des idées revêtues d'un style si magnifique dans son abondance, ou si sublime dans sa concision; pensées et style qui seront à jamais, sur les mêmes objets, la source de toutes nos pensées et le modèle de tous nos écrits: et c'est avec raison que M. de La Harpe a remarqué que les ouvrages de notre littérature, distingués par un plus grand caractère de perfection, sont ceux dont les auteurs, tels que Bossuet, Racine ou J. B. Rousseau, ont puisé leurs sujets ou leurs pensées dans les Livres Saints, et en ont emprunté jusqu'aux expressions.

Mais au milieu de ces pensées si profondes, de ce style si élevé, on retrouve dans des livres entiers de la Bible, comme le Cantique des Cantiques, ou les Livres Sapientiaux, le genre familier le plus gracieux, et la naïveté la plus aimable. On les retrouve, et dans le ton général de la partie historique, et

jusque dans les chants les plus sublimes des prophètes, ou leurs instructions les plus sévères. Et qu'on ne s'en étonne point, et que sur-tout on ne pense pas que l'on cherche ici des raisons trop humaines à l'expression divine des Livres Saints. Dieu, soumis lui-même aux lois générales qu'il a établies, et dont ila fait dépendre l'harmonie du monde moral, parloit de luimême et de ses attributs en langage divin, et que tous les peuples, même les plus avancés, étoient appelés à entendre; et il parloit pour le peuple juif le langage humain, si j'ose le dire, celui qui convenoit le mieux à l'âge de cette société : et de là vient que le langage sublime de la société theocratique, telle qu'est au fonds toute société soumise aux lois naturelles dont Dieu est l'auteur, se trouve dans les Livres Saints partout uni au langage naïf de la société domestique, particulier à un peuple qui vivoit plus qu'un autre, qui vit même encore uniquement en société domestique, et chez qui la famille étoit aussi fortement, aussi naturellement constituée que l'état public et c'est ce qui fait que le sublime dans ces livres, est sans mélange d'exagération; et le familier, sans mélange de grossiéreté.

Orphée, chez les Grecs, précéda tous les poètes qui nous sont connus ; et le peu qui nous reste de ses chants religieux, s'il n'en a pas pris les idées dans les livres de Moïse, comme quelques-uns l'ont pensé, atteste qu'à l'époque où il écrivoit, les premières et les plus pures notions de la divinité ne s'étoient pas encore effacées de la mémoire des hommes.

Après Orphée, si l'on peut le compter, les plus anciens poëmes venus jusqu'à nous, sont ceux d'Hésiode et d'Homère, dont l'un chante les traditions de la religion, les jours et les travaux de la famille; et l'autre célèbre dans l'Iliade l'évé nement le plus mémorable de la société politique. La Théogonie d'Hésiode est absurde comme la religion païenne; les Travaux et les Jours attestent l'imperfection des premières. idées des peuplades idolâtres; et M. de La Harpe, sans respect pour l'antiquité, les compare à l'Almanach de Liége.

Homère, qui seul mérite de nous arrêter, a chanté les temps héroïques et monarchiques de la Grèce; et même les seuls

que

monarchiques de la Grèce, considérée comme une seule société : ceux où confédérée tout entière sous un chef unique, elle réunit toutes ses forces pour venger l'hospitalité violée. Et, pour le dire en passant, on ne peut prendre le sujet d'un poëme épique, que dans l'histoire d'une grande société. Il ne falloit pas moins aux yeux des anciens les destins de la Grèce et de Rome, et aux nôtres que les destins de la chrétienté et ceux du humain même, pour fonder genre l'intérêt et soutenir la majesté des quatre grandes épopées, et peut-être des seules qu'ait produites la littérature ancienne et moderne. Dans l'Iliade, l'importance de l'entreprise, au moins pour les Grecs; la grandeur des moyens; ces rois, tous héros, tous enfans des Dieux; cet Agamemnon, roi de tous ces rois, issu lui-même du maître des Dieux; l'Europe luttant contre l'Asie, les Dieux contre les Dieux; l'Olympe qui délibère, la terre qui attend, le destin des hommes, la volonté même des Dieux suspendue par l'inaction d'un seul homme tous ces grands objets élevèrent l'imagination du poète, et donnèrent à son cuvrage cette majesté qui s'est accrue d'âge en âge, même par l'éloignement du temps: ce qui a fait de l'Iliade, le premier et le plus beau titre du génie de l'homme. Mais à côté de tant d'élévation et de dignité, on retrouve fréquemment la naïveté du premier âge, et quelquefois la familiarité grossière des premières mœurs; et l'on aperçoit l'imperfection d'une société naissante, qui retient dans l'état public les habitudes de l'état domestique. La divinité se montre dans l'Iliade sous de belles images et des idées absurdes. Le pouvoir politique y est mal affermi: le chef ne règne que sur des égaux; il est même entièrement effacé par Achille; et lui-même ne sait pas commander à ses passions. «‹ Aga» memnon, dit M. de La Harpe, est le seul qui me paroisse » jouer un rôle peu noble, et indigne de son rang. » La vertu de tous ces héros n'est que la force du corps: l'humanité, la pitié, la générosité, qui sont l'ornement de la société publique, leur sont inconnues; et le poète les met sur la scène avec tous les besoins et toutes les foiblesses de la vie domestique. Tout est privé dans le sujet du poëme, fondé sur le rapt d'une

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