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qu'elle n'instruit point, et que, si elle apprend quelque chose, ce n'est assurément ni l'histoire, ni le français.

Je renonce à prouver, par un plus grand nombre de citations, que M. Anquetil n'a refait l'Histoire de France qu'en copiant les autres histoires. Mais il n'est peut-être pas inutile de faire observer à ceux qui seroient frappés par quelquesunes des réflexions qu'on y rencontre, que ces réflexions, lorsqu'elles sont gaies, sont toujours de M. Anquetil, et que lorsqu'elles sont sages, elles sont ordinairement d'un autre historien. Ainsi il dit, en commençant l'histoire de Philippe de Valois, que les grands Empires s'établissent par un sage conscil, qu'ils s'élèvent par le bonheur, et qu'enfin ils se ruinent par le défaut de l'un et de l'autre. Mais cette réflexion est de Mézerai. Il observe, en parlant du procès qui fut fait par Philippe-le-Hardi à la reine Marie, son épouse, que c'est à la cour où on se pique d'être au-dessus du préjugé vulgaire, que se trouve le plus de crédulité sur ce qu'on appelle astrologie, divination, nécromancie; et que cette crédulité vient de l'importance que les grands attachent à leur existence; mais cette observation est de Velly. De tout ce que j'ai cité jusqu'à présent, il n'y a que la chose qui inquiétoit Henri IV, que je n'ai pu rencontrer ailleurs que dans M. Anquetil.

Releverai-je maintenant les erreurs sans nombre qui fourmillent dans toutes ses pages? Dirai-je qu'il place Bouvines, la fameuse plaine de Bouvines, sur une des rives de la Meuse, non éloignée de la ville de Lille (1), laquelle ville est très-loin de la Meuse? Ajouterai-je que, dans plusieurs exemplaires de cet ouvrage que j'ai rencontrés, au lieu de Robert comte d'Artois, frère de Saint-Louis, on trouve je ne sais quel comte de Vermandois, qui n'a jamais existé? Mais comment se fait-il que cette faute ne soit pas dans l'exemplaire que j'ai sous les yeux? Ce qui est sûr, c'est que cet ouvrage en est encore à la première édition. C'est un fait dont il faut demander l'explication aux libraires;, je le fais remarquer, afin que les tecteurs aient du moins un moyen de distinguer les exemplaires qui ont été un peu corrigés, de ceux qui ne l'ont pas été du tout?

Il me reste à prouver une dernière assertion: cet ouvrage n'apprend pas mieux le français que l'histoire. M. Anquetil dit, en parlant de Clovis, que la vie de ce prince fut toute de combats, peu de revers, beaucoup de triomphes. Ainsi

(1) Il y a deux villages de Bouvines. Celui qui est célèbre par la victoire qu'y remporta Philippe-Auguste sur l'empereur Othon, est près de la Deule, à deux lieues de Lille.

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voilà une vie qui fut peu de revers et qui fut beaucoup de triomphes. Il dit que Louis VIII avoit trente-six ans quand il monta sur le trône, et de Blanche son épouse des enfans dont l'ainé atteignoit déjà l'adolescence. Est-ce qu'on a des enfans de la même manière qu'on a des années ? J'aimerois autant dire qu'un homme passa une rivière et du fil dans une aiguille. Il prétend que l'ordre de Frères-Précheurs, et celui de Franciscains qui parut quelques temps après, n'étoient pas riches. Ils faisoient, ajoute-t-il, un singulier contraste avec les moines de Cluni et de Citeaux qui regorgeoint. Et de quoi regorgeoient-ils? C'étoit ce qu'il falloit dire : car ici le verbe regorger ne peut pas se passer d'un régime. Veut-on des phrases entortillées ? L'avantage de se concilier le clergé qui avoit un grand crédit sur le peuple, a fait malignement conclure, par un raisonnement trop ordinaire, qu'il peut dans la conversion de Clovis moins de conviction que de politique. Veut-on des figures monstrueuses? Cette nue étincellante d'éclairs, retentissante de tonnerre, qui menaçoit la France (c'est-à-dire la ligue de Cambrai), se fondit en négociations partielles. Un avantage qui fait conclure par un raisonnement! une nue qui se fond en négociations! On est étonné de rencontrer des phrases pareilles dans l'ouvrage d'un homme qui a passé toute sa vie à écrire. Jeunes gens, jeunes gens, qui avez la manie ou le talent d'écrire, je ne vous répéterai pas qu'avant d'entreprendre un ouvrage vous devez consulter long-temps votre esprit et vos forces. L'expérience seule pourra vous éclairer là-dessus : c'est par vos chutes ou par vos succès que vous apprendrez de quoi vous êtes capables. Mais je vous dirai: Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage; polissez-le sans cesse et le repolissez. Ce n'est pas seulement avec du talent, de l'esprit et des connoissances, que l'on fait de bons livres : c'est avec du temps et du travail. GUAIRARD.

Elégies de Tibulle; par M. Mollevaut. Un volume in-8° Prix : 3 fr. 75 c., et 4 fr. 50 c. par la poste. A Paris, chez Debray, libraire, rue Saint-Honoré, vis-à-vis celle du Coq; et chez le Normant, imprimeur-libraire.

DORAT, dans une des longues préfaces de ses petits écrits, après avoir fait l'apologie de la poésie érotique, traduit à sa manière, l'un des morceaux les plus voluptueux de Tibulle; puis il s'écrie: « S'il étoit un être qu'offensât un aussi doux

» tableau, je le plaindrois d'avoir de tels scrupules, et je ne » me fierois pas à ses principes.» Voilà un véritable anathème, et qui devroit du moins étonner, si cette formule ne se trouvoit pas souvent sous la plume des sophistes du dix-huitième siècle, au moment même où ils avancent quelque paradoxe dangereux ou ridicule. Pour moi, je respecterois au contraire de pareils principes; mais je dirois peut-être qu'il est permisde ne pas les adopter dans toute leur rigueur; et, tout en me méfiant de l'influence que peuvent exercer sur ma manière de penser les poésies séduisantes de Properce et de Tibulle, j'avouerois que je ne les crois pas aussi nuisibles aux mœurs qu'elles l'ont paru à des écrivains respectables. On sait trop qu'il y a un âge où la plupart des hommes ne choisit guère qu'entre des déréglemens honteux et une passion dangeureuse que la morale, il est vrai, peut rarement approuver, mais qui du moins s'allie naturellement à des sentimens nobles et généreux, et qui prend sa source dans une sensibilité vive et profonde. Les poésies érotiques ont sans doute le danger de renforcer un penchant auquel nous ne sommes que trop disposés à céder; mais du moins elles ne célèbrent que des jouis sances où le cœur prend part, elles s'adressent plus à luiqu'aux sens; et si elles lui donnent quelquefois des émotionstrop vives et trop tendres, c'est du moins sans l'égarer et sans. le pervertir. Ce qu'il faut arracher des mains de la jeunesse, ce qu'il faut condamner sans réserve, ce sont les écrivains cou-pables qui, non contens d'intéresser les passions, ou même d'enflammer les sens par des images voluptueuses, s'efforcent encore de corrompre la raison, en justifiant par des sophismes les égaremens qu'ils retracent, et en réduisant, pour ainsi dire, le vice en principes. Voila à-peu-près tout ce qu'on peut dire en faveur des poètes érotiques; et il y a loin de là aux prétentions de l'écrivain frivole qui se flattoit de contribuer aux progrès des mœurs en enluminant des froids ornemens du bel esprit les médiocres vers de Jean le Second.

Si la vivacité de la passion, si la vérité des sentimens et la chaleur de l'expression font tout le prix des poésies amoureuses, Tibulle est dans ce genre le poète le plus parfait que l'antiquité nous ait transmis. On sent à la lecture de ses Elégies qu'elles ne lui furent inspirées que par le besoin d'épancher les sentimens dont son cœur étoit plein, et que tous les vers qu'il soupiroit lui étoient dictés par l'amour. Voilà ce qu'on ne sauroit dire de la plupart de ses imitateurs. On s'aperçoit trop qu'ils ont écrit pour le public autant que pour leur maîtresse, et que tout en feignant de ne point songer à leurs lecteurs, ils n'ont pas perdu de vue le soin d'intéresser et de

plaire. C'est afin d'y parvenir qu'ils ont concerté les différens sujets de leurs Elégies, et qu'ils les ont assujéties à une espèce de plan où l'art se fait aisément reconnoître. Ainsi le poète agréable que ses amis se sont trop hâtés de proclamer le Tibulle français, a voulu donner à ses poésies cette progression d'intérêt et cette unité que l'on aime à trouver dans un roman: il n'a voulu chanter qu'Eléonore. Tibulle aima Délie, Némésis et Nééra: et il les chanta toutes trois. Il eût été plus touchant sans doute qu'il n'eût jamais écrit que pour celle qui eut ses premiers vers, pour celle dont il vouloit encore presser la main de sa main défaillante; mais il peignit ses amours comme il les sentit. Quant à la gloire que devoient lui procurer ses vers, on n'aperçoit pas qu'il s'en soit fort inquiété. Il ne voyoit dans ses Elégies qu'un moyen de toucher et de captiver des beautés qui n'étoient pas toujours insensibles à des séductions d'une autre espèce. Aussi n'est-ce pas pour chanter la guerre ou la marche des astres qu'il invoque les Muses; et si elles ne peuvent toucher sa maîtresse, il est prêt à leur dire adieu (1).

L'amour paroît donc la grande affaire de sa vie ; mais tous les sentimens doux et tendres qui caractérisent une ame vraiment sensible respirent aussi dans ses vers. Il aime la paix des champs et la douceur de la vie rustique: car c'est aux champs que le cœur recueille mieux ses douces émotions, et se repose à loisir dans son bonheur. C'est du cœur qu'il célèbre la gloire et les exploits de son cher Messala, de son protecteur et son ami; et son style s'élève alors à la sublimité de l'ode. Mais l'éclat d'un nom célèbre et les honneurs réservés aux guerriers ne lui inspirent aucune envie. Il ne dissimule pas qu'il redoute le fracas des armes: il ne se vante pas de mépriser la mort, et ses couleurs deviennent tristes et mélancoliques toutes les fois qu'il pense aux approches de la vieillesse et à la briéveté de la vie. Un tel caractère est loin d'être héroïque sans doute; mais s'il n'admet pas les vertus d'une ame forte et élevée, il exclut aussi bien des vices. Il atteste d'ailleurs que le poète dut vivre heureux et aimé; et il n'en faut pas davantage pour qu'il inspire à ses lecteurs beaucoup d'intérêt.

Tibulle a été traduit plusieurs fois en prose, et toujours sans succès. Il y en a pourtant une version qui est assez connue:

(1) Ite procul, Musa, si nil prodestis amanti Non ego vos, ut sint bella canenda, colo.

Non refero so isque vias.

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Ad dominam faciles aditus per carmina quæro.
Ile procul, Musæ, si nihil ista valent.

elle doit cet avantage, si c'en est un pour un médiocre ouvrage, au nom de Mirabeau, à qui on l'attribua 'dans l'origine, quoiqu'on n'y trouve ni la chaleur ni la passion qui animent les lettres de cet homme malheureusement célèbre. Aussi futelle réclamée, il y a quelques années, par un écrivain qu'on n'eut aucune peine à croire quand il assura qu'il en étoit l'auteur. Quant aux traductions en vers, il y a peu de jeune homme amoureux à qui il ne soit échappé des imitations plus ou moins exactes de quelques Elégies de Tibulle. Mais jusqu'a M. Mollevaut, aucun versificateur n'avoit osé le traduire en entier.

C'est une tâche bien pénible que celle de faire goûter en vers français les grands poètes de l'antiquité!

Sans parler des innombrables difficultés qui résultent de la différence des idiomes, il en est une à laquelle on ne fait guere attention, et qu'il est pourtant presque impossible de vaincre, parce qu'elle tient aux préjugés des lecteurs. Ceux d'entr'eux qui peuvent faire la réputation d'un traducteur, sont familiarisés dès leur enfance avec les auteurs classiques; ils ont chacun une opinion déjà formée sur les passages les plus difficiles à rendre; et quand le traducteur ne saisit pas précisément la même nuance que ses juges ont vue ou cru voir dans l'original, cût-il parfaitement réussi, il est rare que leur amour propre leur permette d'avouer qu'ils s'étoient trompés, et qu'il ne leur fasse pas condamner ce qu'ils devroient applaudir. De plus, quand nous lisons les anciens dans leur propre langue, toutes leurs pensées, celles mêmes qui į ont été cent fois imitées par nos écrivains, conservent à nos yeux un caractère de nouveauté que leur donne l'idiome étranger dans lequel elles sont exprimées. Elles perdent néces sairement cette espèce d'originalité dès qu'elles sont transportées dans notre langue; et cet inconvénient inévitable, nous ne manquons presque jamais d'en faire la faute du traducteur. Toutes ces difficultés s'accroissent encore, s'il s'exerce sur un excellent écrivain. Car alors c'est peu qu'il fasse de bons vers: nous voulons encore que ces vers reproduisent exactement et dans le même ordre toutes les pensées de l'ouvrage original; et ce n'est pas sans raison que nous somme si exigeans, puisqu'on ne peut ajouter à un excellent modèle, rien en retrancher, rien en déplacer sans lui faire perdre quelque perfection.

Outre ces écueils communs à toutes les traductions, Tibulle en présente de particuliers au caractère de son style, et à la nature de ses poésies. Le travail peut imiter ce que le travail a produit; mais rien n'est plus difficile à saisir que ces expressions passionnées où l'art du poète n'est pour rien, et que

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