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sa prudence et la sagesse avec laquelle il évitera de la compromettre. Qu'il laisse donc, qu'il laisse les jeunes gens disputer entr'eux de courage et d'activité; qu'il applaudisse aux efforts qu'ils font pour mériter un jour, comme lui, les palmes et les honneurs de la littérature: ces combats conviennent à leur âge; et ces prétentions, lors même qu'elles sont peu fondées, ont du moins pour excuse leur ardeur naturelle et leur peu d'expérience. Pour lui, que, semblable au nautonnier échappé du naufrage, il suspende á la voûte du temple des lettres les armes qui firent sa gloire, et qu'il ne songe plus désormais qu'à éviter les dangers.

Voilà ce qu'on a dû se dire, lorsqu'on a su qu'à près de 80 ans M. Anquetil pensoit à composer une Histoire de France. Certes, c'étoit déjà bien assez qu'il eût voulu faire à cet âge une Histoire Universelle; et l'audace de cette entreprise, qu'il croyoit avoir conduite à sa fin, avoit été suffisamment remarquée pour qu'il dût désormais se montrer plus réservé. Il semble qu'en effet l'auteur de l'Esprit de la Ligue, de Louis XIV, sa Cour et le Régent, et de quelques autres petits ouvrages qu'on avoit lus avec plaisir, n'avoit aucun motif d'être mécontent de la réputation qu'ils lui avoient faite, et que loin de la compromettre par des essais qui, à tout âge peut-être, auroient passé ses forces, toute son ambition devoit se borner à la conserver avec soin. Mais se connoît-on jamais bien soi-même? Les vieillards sont-ils plus exempts que les jeunes gens des illusions de l'amour propre ? Et les auteurs ne sont-ils pas, de tous les hommes, ceux qui y sont le plus exposés ? On se flatte toujours d'obtenir encore un succès: ceux que l'on a obtenus semblent eux-mêmes un juste motif d'en espérer de nouveaux. Le talent, se dit-on est comme les arbres : il s'accroît, il se fortifie de tout ce qu'il enfante; et à mesure qu'il enrichit le public de ses productions, il se met en état d'en donner chaque année de plus belles et de plus abondantes. Voilà ce qu'on se dit, et on n'ajoute pas qu'il y a des arbres qui, par leur nature, sont destinés à rester petits, et qu'on les frapperoit de stérilité si on aspiroit à les élever; on n'ajoute pas que les chênes eux-mêmes vieillissent, et qu'il vient un temps où il faut empêcher les plus grands arbres de produire, si on veut que, par leur ombrage, ils soient encore long-temps l'honneur du verger. On ne fait pas sur soi-même des réflexions si désagréables. Oh! qu'il est triste d'avoir à les faire, en parlant d'un auteur qu'on ne peut s'empêcher d'estimer! Qu'il est triste sur-tout d'avoir à les faire sur son tombeau à peine fermé !

Cette histoire n'est pas bonne, et, dans un article qui de

voit, il y a près de deux mois, être inséré dans ce journal, je le disois avec toute la franchise dont je fais profession: car je ne pense pas qu'un auteur, parce qu'il est membre de l'Institut, ait droit à plus de ménagemens qu'un autre. Au contraire, c'est parce qu'il est assis parmi les maîtres qu'il doit être jugé avec plus de rigueur en occupant le trône académique, il a contracté en quelque sorte l'engagement de devenir un modèle de correction et de goût; sur-tout il a contracté celui de donner aux élèves l'exemple et la leçon du travail. « Si vous êtes, lui dirois-je, un de nos maîtres, conservez donc, avant tout, la tradition des vôtres; observez leurs lois; n'oubliez jamais leurs conseils. Avant donc que d'entreprendre un ouvrage, consultez long-temps votre esprit et vos forces;; ensuite vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage; polissez-le sans cesse et le repolissez. Si vous venez vous vanter à moi d'avoir fait une grande histoire en deux ans, et de l'avoir faite avec toute l'ardeur d'un homme pressé de finir (1), que voulez-vous que je vous réponde, si ce n'est que le temps ne fait rien à l'affaire, et que lorsqu'il s'agit d'une histoire, l'essentiel n'est pas de la finir, mais de la bien faire. » Lors donc qu'il arrive à un membre de l'Institut de faire un mauvais ouvrage, ou de travailler comme un écolier qui se hâte d'achever son thême, nous devons le dire, et le dire plus haut encore, parce que c'est un membre de l'Institut. Eh sur qui donc, bon Dieu! exercerions-nous nos censtires? Sur les jeunes gens? Sur les auteurs sans nom, et dont l'exemple ne sauroit être dangereux ? Sur cette foule de brochures qui s'écoulent continuellement de toutes les imprim eries, sans qu'on s'en apperçoive, et sans qu'on s'informe de ce qu'elles deviennent? Certes ce seroit bien mal connoître les fonctions du critique, que de le réduire ainsi à ramasser les écu mes de la littérature pour en infecter le public. Pour moi, je pense que son devoir est sur-tout de faire remarquer ce qu'il y a d'imparfait dans un bou livre, de signaler au public les mauvais exemples qui ont été donnés par les bons auteurs; et qu'enfin, il n'est jamais plus utile que lorsqu'il est réduit à prouver que ce qu'il y a de plus respectable dans un ouvrage qui fait du bruit, c'est le nom de celui qui l'a fait.

Mais M. Anquetil mourut au moment où je venois de juger son ouvrage, et, pour mieux dire, où je venois de recueillir le jugement que le public en a porté ; et je crus dev oir respecter par mon silence la douleur encore récente de sa famille et de ses amis. Il est mort cependant, et, affranchi

11) Ces expressions sont tirées de la prface de M. Anquetil.

à son égard de ces formules de politesse qui ne sont ducs qu'aux vivans, il ne m'est plus permis de faire entendre, en parlant de lui, que le langage austère de la vérité. Je demande seulement qu'il me soit permis de la dire aussi rapidement qu'il me sera possible, et de m'en décharger comme d'un fardeau qui pèse à ma franchise.

Si j'en juge d'après quelques expressions qui sont échappées à M. Anquetil dans sa préface, il a voulu refaire l'histoire de MM. Velly, Villaret et Garnier. On en veut beaucoup à cette histoire sans la présenter jamais comme un ouvrage absolument méprisable, on affecte d'en parler avec un dédain dont elle ne me paroît point digne. Comme je pense que le meilleur moyen de bien juger d'un livre, c'est de le coinparer à ceux qui l'ont précédé, j'ai rapproché plusieurs morceaux_de M. Anquetil de ceux qui leur correspondent dans cette histoire, qu'on affecte d'appeler si volumineuse, et je me suis convaincu que, dans sa longueur même, celle-ci est ordinairement plus précise que toute autre. Je crois, el fin, qu'elle est un des meilleurs ouvrages, et peut-être le meilleur en son genre de tous ceux qui ont paru dans ce siècle, où il en a tant paru de trop volumineux; et j'espère qu'on me permettra de donuer ici quelques-unes des raisons sur les quelles je m'appuie pour en juger ainsi. Quels sont donc les reproches qu'on lui fait ?

On l'accuse d'abord de n'être que l'histoire des rois. Ce reproche est nouveau: on ne l'a jamais fait dans les temps anciens aux historiens de la Perse; et je crois que, depuis Thésée jusqu'à Codrus, l'histoire d'Athènes elle-même n'étoit et n'est encore pas autre chose. Elle n'est pas l'histo ire des peuples! Comme si l'histoire d'une monarchie ne dev oit pas être avant tout celle de ses monarques! Qu'on fasse donc le même reproche à Voltaire, qui non-seulement a écrit de mêi ne son Histoire Générale, mais qui de plus a établi en principe qu'on devoit l'écrire ainsi : « Les principaux personnages, diso it-il, >> en parlant de son Essai sur les Moeurs et l'Esprit des » Nations, sont sur le devant de la toile: la foule est dans » l'enfoncement. Malheur aux détails: la postérité les né» glige tous; c'est une vermine qui tue les grands ouvrag es. » L'histoire de Velly n'est pas l'histoire des peuples! Non, elle ne l'est pas je conviens que Velly et ses successeurs ont été assez heureux pour n'avoir presque jamais à faire que celle des rois. Malheur aux temps dont l'histoire est celle des peuples; malheur aux historiens qui ont à l'écrire ! Quand la foule est sur le devant, il faut s'attendre à trouver, pour conclusion. du tableau , que l'Etat fut dévoré par la vermine.

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Mais les temps où l'on porte sur des ouvrages, d'ailleurs assez estimables, de pareils jugemens, ne seroient-ils pas les avant-coureurs des temps que nous avons vus? Cette fureur de mettre le peuple sur le devant, n'annonçoit-elle pas la révolution qui s'étoit déjà faite dans tous les principes et toutes les idées? Allons plus loin: le véritable tort de Velly ne seroitil pas de ne s'être pas laissé entraîner au torrent de cette révolution? Son style est sage, on en convient; mais ses pensées et ses récits le sont tout autant, et on ne le dit pas. Il n'est pas frondeur; il ne parle de nos institutions qu'avec le respect convenable: voilà son tort. Si son histoire eût été, comme celle de l'abbé Millot, uniquement celle des démêlés de nos rois avec les souverains poutifes, on n'eût pas seulement remarqué qu'elle n'étoit pas celle des peuples, mais on eût fait observer qu'elle étoit pleine de philosophie; et ce mot eût suffi à son éloge. Les temps sont changés: on ne lit plus l'histoire trop succincte de Millot, et l'histoire volumineuse de Velly trouve encore beaucoup de lecteurs. On ne pense plus qu'un auteur soit obligé, pour plaire à un parti, de sacrifier à la vermine de certains détails le corps entier de son ouvrage; et un écrivain qui rempliroit maintenant une histoire de France avec les seuls récits de nos querelles religieuses, paroîtreit aussi ridicule que si, pour faire l'histoire d'Athènes, il faisoit celle des démêlés de la famille des Eumolpides avec celle des Eléobutades.

On reproche encore à cette histoire de n'être pas celle de la législation, du commerce et des arts, c'est-à-dire, de n'être pas tout ce qu'elle ne doit pas être : car enfin, une bonne histoire ne doit être qu'un dépôt général de faits, d'après lequel on fera, si on veut,une foule d'autres ouvrages. Ainsi, d'après Velly, Méze rai, Daniel, on fera le tableau des progrès de nos sciences, de nos lumières, de l'industrie; et tous ces tableaux seront des ouvrages à part; et ils ne seront bons qu'autant qu'ils seront en effet des ouvrages à part. C'est aussi avoir un peu trop le goût de son siècle, que de vouloir qu'on parle de tout, et longuement de tout dans un même livre. Les estimables coopérateurs de notre grande histoire ont noté l'établissement de chacune de nos lois; ils ont fixé l'époque de nos principales découvertes. Que devoient-ils faire de plus? Falloit-il que leur histoire fat une autre Encyclopédie ? Ils n'ont pas même oublié le commerce; ce commerce si important, si nécessaire; ce commerce devenu la base des Etats, quand la morale et la religion ne l'ont plus été. Oui, ils ont dit du commerce tout ce qu'ils dévoient en dire. Mais quoi! et c'est ici un de leurs torts dont je dois convenir, ils n'ont pas donné, comme les histo

riens anglais, la table des divers prix d'un boeuf et d'un mouton, en chaque siècle et en chaque année.

Enfin, on les accuse d'avoir fait une histoire trop longue; et je réponds que ce n'est pas leur faute si la monarchie dont ils racontoient les commencemens et les progrès avoit duré quatorze siècles. Je leur reprocherai bien plutôt, je reprocherai aussi à M. Anquetil d'en avoir fait certaines parties beaucoup trop courtes. Par exemple, comment des historiens instruits ont-ils pu se flatter de renfermer en un demi-volume l'histoire suffisamment détaillée de quatre siècles et de trente rois? C'est pourtant là tout l'espace que Velly et M. Anquetil ont donné au tableau de la première race. Mais il y a, dit-on, trop d'obscurité dans nos origines..... C'est pour cela qu'il falloit employer plus de temps à les éclaircir. Nos anciens auteurs sont infideles, et ne sont pas toujours d'accord..... Il falloit donc se donner l'espace nécessaire pour raconter leurs diverses opinions, et les discuter. Mais les faits d'alors ne nous intéressent presque plus.... Cela est-il bien vrai? Eh! que cherche-t-on dans une histoire, si ce n'est le récit des faits anciens ? Pour les événemens modernes, nous avons les Mémoires du temps et une foule d'ouvrages qui sont tous à notre portée, et que nous pouvons consulter. Ce que nous demandons à des auteurs tels que Velly, Mézeray, ou même M. Anquetil, c'est de nous éviter la peine d'aller feuilleter les vieux livres.

Un homme qui passoit pour avoir l'esprit juste et pour être un bon écrivain, et qui ne fut jamais qu'un grand géomètre et un bon calculateur, a fait, dans le dernier siècle, un petit ouvrage pour prouver qu'il faut étudier l'histoire à rebours. Nos historiens vont plus loin, ils l'écrivent à rebours: ils racontent longuement tous les événemens modernes, dont nous pourrions être instruits sans tant de secours ; ils ne disent presque rien de l'histoire des anciens temps, qui est à-peu-près la seule que nous voulions apprendre d'eux. La vérité, disentils, est trop difficile à trouver dans les vieilles chroniques et les anciens monumens. Je le crois bien ; et c'est pour cela que nous faisons grand cas de ceux qui l'y cherchent, et qui l'y trouvent; mais, pour ces écrivains bavards qui ne font que ressasser dans un nouveau livre ce qu'on a dit mille fois avant eux, tout ce que nous pouvons faire, c'est de les plaindro d'avoir si mal employé leurs journées.

Il seroit temps, peut-être, d'examiner si les descendans de Clovis n'ont pas joué un assez grand rôle dans le monde, pour être dignes d'occuper une plus grande place dans notre histoire, et si tous ces rois qu'on a nommés fainéans mérifèrent en effet l'ignominie de ce titre. Ce qui est sûr, c'est

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