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» ne veut point abuser de sa raison, de conserver là-dessus >> aucun doute. »

Une décision si tranchante nous avoit d'abord effrayés; mais bientôt nous avons vu l'auteur lui-même convenir que le sentiment qu'il défendoit étoit susceptible d'ê're controverse; nous nous sommes souvenus, comme il l'assure expressément, que le sentiment contraire étoit devenu plus commun - dans l'Eglise depuis le cinquième siècle. Enfin nous avons relu Bossuet, et son Commentaire sur l'Apocalypse, que M. de Sacy appelle dans son explication de ce même livre une lampe qui luit dans un lieu obscur; nous avons sur-tout consulté les livres saints, où le P. Lambert trouve de si fortes armes, et nous avons osé douter encore.

Bossuet, qu'il est toujours dangereux d'avoir contre soi, non-seulement a révoqué en doute le règne visible de JésusChrist sur la terre pendant mille ans, mais il l'a formellement combattu. Il a même trouvé que ce règne de mille ans, pris à la lettre, engagçoit en des absurdités inexplicables ; et peut-être s'étonnera-t-on qu'un arrêt si sévère, émané d'un tel juge, n'ait pas imposé davantage à un écrivain qui proteste continuellement de son respect pour une si grande autorité.

Au reste, il est juste d'observer que le millénarisme n'avoit jamais reçu tant et de si précieux développemens. Le P. Lambert, rejetant avec horreur les imaginations grossières et impies d'un Cérinthe et de ses disciples, nous présente le système des millénaires sous le jour le plus favorable. Et tel sera du moins l'avantage qui résultera du dernier combat qu'il livre en faveur de cette doctrine: nous connoîtrons mieux que jamais tout ce qu'elle a de fort ou de foible.

Les bornes d'un journal ne nous permettent pas d'exposer, comme nous l'aurions voulu, le système tout entier. Nous avouerons d'ailleurs que nous avons eu quelque peine à découvrir dans les vingt chapitres dont se compose l'ouvrage, l'enchaînement des faits qui doivent amener, caractériser et suivre le règne de mille ans. Mais nous avons cru apercevoir des contradictions assez nombreuses, de grandes invraisemblances, et au milieu des plus utiles vérités, des assertions fort étranges. Plein d'amour pour la religion, et pénétré de respect pour les écrivains qui consacrent leurs talens à la défense de cette illustre abandonnée, nous avons cru devoir soumettre à l'un de ses plus zélés et de ses plus intrépides défenseurs, quelques observations que intérêt seul de la vérité nous a suggérées.

« Jésus-Christ lui-même sera le souverain du nouvel Empire; et tous ceux qui auront échappé à la terrible vengeance qu'il doit exercer sur les nations apostates et rebelles au jour de

Bon avènément, se soumettront à lui avec un respect plein d'amour. Au don de la plus éminente sainteté, sera joint le don plus précieux encore, de la persévérance. Toute la terre sera remplie de la connoissance du Seigneur, comme le fond de la mer est couvert de ses eaux. Ce que les plus grands saints, ce que les plus sublimes génies possèdent de connoissances en co monde, n'est que le foible crépuscule de l'éclatante lumière qui se lèvera sur les justes de la nouvelle terre. Candidats de la céleste Jérusalem, leur vie ne sera qu'une continuelle préparation à l'ineffable jouissance qui les attend dans le ciel. Les yeux de leur intelligence, dit Saint-Irénée, s'accoutumeront ainsi par degrés à contempler, sans en être ébloui, ces clartés éternelles qui environnent le trône de Dieu dans le séjour de l'éternité, et à voir face à face la vérité même dans toute la splendeur de sa gloire. L'expression de Saint-Irénée est magni fique, ut paulatim assuescant capere Deum. »

Ainsi, une des principales fins du règne de mille ans seroit d'accoutumer peu-à-peu les saints qui habiteront la nouvelle terre, à jouir de Dieu. Mais quoi! est-ce donc là le privilè ze d'un peuple de saints qui vivent sous l'empire immédiat et visible de Jésus-Christ? ou faut-il attendre un troisième monde, pour obtenir un avantage que nous trouvons déjà dans ce monde, tout corrompu qu'il est, et tout foibles et tout imparfaits que nous sommes ?

N'est-ce pas un dogme de la foi catholique, « que les ames » des saints qui, au sortir de ce monde, sont parfaitement » purifiées du péché, et n'ont plus rien à expier, passent tout » d'un coup des misères de cette vie à la félicité éternelle par » la claire vision de Dieu dans le ciel ?» Le P. Lambert le reconnoît: qu'il reconnoisse donc aussi que le règne de mille ans est parfaitement inutile sous ce rapport à la gloire de Dieu et au bonheur des Chrétiens.

Inutile, c'est peu dire: je crains bien que cette opinion, si elle se répandoit dans le sein du christianisme, et parmi des peuples déjà si violemment entraînés vers les biens terrestres et sensibles, ne fût, contre les intentions de ses partisans, nuisible aux hommes et injuricuse à Dieu. N'y a-t-il point de danger que le Chrétien, accoutumé, comme parle Bossuet accoutumé à transporter tous ses desirs au ciel, où il attend une cité permanente qui ne sera point bâtie de main d'hommes, arrête avec complaisance ses pensées et ses desirs à un royaume terrestre, où il possédera tout ensemble la présence de l'Homme-Dieu, la plus parfaite justice, et l'abondance des biens temporels dont sa piété sanctifiera l'usage. Plus heureax mille fois qu'il n'eût été dans le paradis terrestre, en

La

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conservant sa première innocence, aura-t-il le courage ou le besoin de desirer encore? Et prétend-on borner ses espérances; où n'est-ce rien que les retarder et les affoiblir?

Ces premières considérations ne frapperont peut-être qu'un petit nombre de Chrétiens zélés et fervens. Mais les invraisemblances et les contradictions frappent tous les esprits: elles s'offrent en foule dans le système que nous combations.

Après avoir représenté dans les premiers chapitres les ravages qu'une philosophie à la fois voluptueuse et superbe ne cesse de causer dans l'Eglise et dans la Société ; après nous avoir montré la consolante perspective d'un peuple entier adorant le Messie qu'il blasphème aujourd'hui, et se répandant par tout l'Univers pour y porter avec la lumière de la foi l'exemple de toutes les vertus, le P. Lambert ajoute que les Juifs convertis seront tous rappelés dans leur ancienne patrie, c'est-à-dire, dans la Palestine, où ils formeront comme le fonds et la partie principale du royaume visible de JésusChrist. « Les enfans d'Israël ne retourneront pas seulement à » la foi des patriarches; ils rentreront en possession de l'héri»tage qu'ils occupoient au moment où ils en furent chassés » par les Romains. La Palestine, en la renfermant même dans » ses plus étroites limites, suffiroit pour recevoir les Juifs >> rassemblés de tous les lieux de la terre. Que sera-ce donc

si l'on y joint tout le pays que Dieu avoit promis à Abra» ham et aux enfans de Jacob, et qui devoit s'étendre depuis » l'Egypte jusqu'à l'Euphrate, et embrasser toute la côte » maritime que possédoient les Sidoniens, les Tyriens, les » Philistins, tout le pays des Moabites, des Iduméens, tout » ce qu'avoit conquis David...? On verra donc le peuple »juif sortir tout-à-coup de son assoupissement, entendre le » signal pour le retour, se former en nombreux pelotons, » s'ébranler dans tous les lieux de la terre, se mettre en » marche de toutes parts pour revenir à Sion, vaincre tous >> les obstacles qui pourroient s'opposer à leur passage, rebâtir » les villes de la Judée, et sur-tout cette Jérusalem qu'ils ont »toujours si ardemment aimée; repeupler leurs provinces, » se multiplier sans mesure, jouir d'une protection miracu>>leuse, devenir par elle inattaquables ou invincibles; posséder » avec la plus éminente piété tous les liens sensibles et natu»rels dont elle sait faire un si bon usage. »

Voilà de magnifiques promesses; et sans doute on concevroit que leur exécution, quoique très-éloignée des idées communes, seroit néanmoins possible, si cette terre d'où les Juifs ont été chassés par les Romains, devoit subsister à l'époque où les Juifs seront rappelés. Mais quoi! je lis plus loin que

l'avènement intermédiaire aura lieu avant le rappel des Juifs; que l'embrasement du monde par un feu vengeur qui consumera tous les ouvrages de l'art et de la nature, doit concourir avec cet avènement intermédiaire; qu'alors la terre sera brûlée avec tout ce qu'elle contient; dans cette conflagration universelle, je me demande, non pas si Dieu pourra sauver ses élus, ce qui n'est pas douteux, mais s'il restera quelque trace de la Palestine et de tous ces pays conquis par David, en sorte que les Juifs puissent rebâtir leur Jérusalem terrestre, depuis la tour d'Ananaël jusqu'à la porte de l'Angle, porter le cordeau encore plus loin jusqu'à la colline de, Gareb, et le faire tourner autour de Goath et de toute la vallée des Corps morts et des Cendres.

N'importe: les enfans d'Israël doivent revenir dans la Judée; cette terre qui étoit inculte deviendra comme un jardin de délices, et les villes qui étoient désertes, abandonnées et ruinées seront habitées et fortifiées. Mais si cette prédiction du prophète Ezechiel doit être entendue dans le sens littéral, comment le P. Lambert expliquera-t-il ce qu'il fait dire au même prophète de ces ennemis furieux, rassemblés des quatre coins du monde, qui viendront, après les mille ans accomplis, attaquer Israël dans un pays sans défense et sans murailles, dans des villes sans murailles, où il n'y a ni barrières ni portes. La contradiction n'est-elle pas ici trop visible, ou faut-il admettre que des villes où il n'y a ni murailles, ni barrières, ni portes, sont cependant des villes fortifiées, à la lettre ? ou bien encore les fortifications élevées par les Juifs autour de leurs villes renaissantes, finiront-elles par s'écrouler d'elles-mêmes vers la fin du règne de mille ans, pour donner lieu aux insaltes de Gog et de Magog? Dans le sens figuré, toutes les prophéties reçoivent leur explication plus ou moins satisfaisante; mais quand on veut se tenir au sens littéral, la lettre tue.

Ce n'est pas que l'auteur n'ait plus d'une fois senti la nécessité de recourir, comme l'ont fait Bossuet, Duguet et Sacy, au sens spirituel et figuré, pour expliquer, et sur-tout pour concilier les paroles des prophetes. Mais ceci même se tourne en objection contre lui. On se demande par quels principes si sûrs, inconnus à tant de savans interprètes, il a su démêler, mieux que tous ensemble, les points précis où il devoit abandonner la lettre, ceux où il devoit la suivre. Un exemple nous fera mieux entendre. Suivant le P. Lambert, les prophètes ont annoncé en termes exprès que les enfans de Madian, de Saba, d'Epha, de Cédar et de Nabaïoth, c'est-à-dire les descendans d'Ismaël et de Céthura, qui sont les Musulmans

d'aujourd'hui, feront un jour la conquête des enfans d'Israël; qu'ils viendront se joindre à eux; qu'ils imiteront leur foi; qu'ils offriront avec eux et par eux des hosties spirituelles au Seigneur; et voici ces termes exprès qui prédisent un événement si mémorable. « Alors, ô Jérusalem, vous serez dans la » joie et dans l'éclat. Tout ce qu'il y a de grand dans les »> nations viendra se donner à vous. Vous serez inondée par » une foule de chameaux, par les dromadaires de Madian et » d'Epha. Tous viendront de Saba vous apporter de l'or et » de l'encens, et publier les louanges du Seigneur : on ras» semblera pour vous les troupeaux de Cédar. Les béliers de » Nabaïoth seront employés pour votre service. On me les >> offrira sur mon autel, comme des hosties agréables, et je >> remplirai de gloire la maison de ma majesté. » Il n'y avait pas moyen cette fois de s'arrêter au premier sens que présente la lettre. Il auroit fallu faire couler de nouveau le sang des béliers et des boucs sur ces mêmes autels qu'arrose depuis dix-huit cents ans le sang même d'un Dieu; et comme le dit si bien M. Duguet, le sens figuró est ici le sens littéral. Mais, alors, que le P. Lambert nous fasse donc voir clairement pourquoi Jérusalem ne seroit pas la figure de l'Eglise dans une prophétie, où les troupeaux de Cedar ct les béliers de Nabaïoth, sont la figure des Musulmans devenus enfans de l'Eglise.

Un autre exemple prouvera jusqu'à quel point le savant auteur, tout en se défendant d'adopter les sens trop charnels et trop judaïques qu'on voudroit donner à l'Ecriture, est épris du sens littéral. Tout le monde connoît ce beau passage d'Isaïe, où nous avions accoutumé de voir, sous des images aussi simples que frappantes, la douce influence de la doctrine évangélique sur les caractères les plus fougueux, et sur les peuples les plus barbares. « Le loup habitera avec l'agneau (1);

le léopard se couchera avec le chameau; le veau, le lion, » les brebis demeureront ensemble, et un petit enfant les » conduira; le veau et l'ours paîtront ensemble; leurs petits >> reposeront ensemble; et le lion comme le boeuf se nour»rira de paille. L'enfant qui sera encore à la mamelle se » jouera sur le trou de l'aspic, et celui qui vient d'être sevré >> portera sa main dans le trou du basilic, etc. » Il paroissoit d'autant plus naturel d'entendre cette prophétie dans un sens figuré, qu'elle se trouve dans le XI chapitre d'Isaïe, précédée et suivie de versets qui ragardent incontestablement le pre

(1) Voyez dans ce Journal un morceau de M. de Bonald sur les Juifs numéro du 16 août 1806,

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