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franchir tous les espaces en un clin-d'œil, écoute ce que je vais te dire.Tu te trouves dans un pays enchanté, où tout ce que tu vois est inconcevable pour toi. Ton intelligence s'exerceroit en vain pour l'expliquer. Si tu veux savoir ce que deviendront les poissons qui viennent d'être pêchés dans cet étang, prends le livre que je te présente, il t'enseignera bien d'autres merveilles avec lui tu pourras t'introduire dans le palais du sultan sans être vu; tu converseras avec les plus fameux enchanteurs ; tu verras les actions des bons et des méchans génies; les plus grands malheurs t'environneront sans pouvoir t'atteindre; tu seras le spectateur invisible de toutes les félicités humaines, et tu jouiras, avant le temps, de la révélation des crimes et des vertus de tes semblables. Mais prends bien garde de le quitter: car à l'instant même tu te retrouverois sur le che min où tu t'es arrêté pour considérer le pêcheur; et ménagesen la lecture avec discrétion, parce qu'avec elle doit finir ton enchantement. >>

La voix cessa de parler, et le voyageur étonné, regardoit de tous côtés s'il ne découvriroit pas celui qui venoit de se faire entendre: il ne vit rien, et il ne concevoit pas comment il pouvoit recevoir un livre qu'on ne lui montroit pas; mais en se détournant pour examiner encore, il sentit quelque chose qui lui fit diriger sa vue à ses pieds; il aperçut ce même livre qu'il ramassa bien promptement; il l'ouvrit sur-le-champ, et il reconnut que c'étoient les Mille et une Nuits.

Les Amours Epiques, poëme héroïque en six chants; par M. Parseval-Grandmaison. Un vol. in-8°. Prix : 5 fr., et 6 fr. par la poste. A Paris, chez Dentu, libraire, quai des Augustins; et chez le Normant, imprimeur-libraire.

Tous les poètes épiques ont consacré un de leurs chants à l'amour. Cette passion partage avec la gloire le cœur des héros. Le myrte de Venus est un ornement nécessaire des lauriers de Bellone. Si des philosophes austères condamnent cette alliance, on leur répond qu'il y a une morale particulière pour la poésie comme pour la politique. Homère banni de la république de Platon, jouit avec honneur des droits de cité dans toutes les autres républiques; et le sévère législateur de notre Parnasse, en apprenant aux poètes le principal moyen de plaire, leur dit, en parlant de l'amour:

De cette pession la sensible peinture,

Est, pour aller aux cœurs, la route la plus sûre,

Afin d'entrer dans les vues de Boileau, M. Grandmaison a entrepris de traduire en vers les différens épisodes que les plus fameux poètes épiques ont composés sur l'amour, et de les enchaîner entr'eux de manière qu'ils forment un ensemble régulier. Pour cela, l'auteur suppose que les plus célèbres d'entre les poètes épiques se réunissent dans les Champs-Elysées, au milieu de tous les manes empressés de les écouter, et qu'ils répètent entr'eux les mêmes chants qu'ils ont autrefois composés sur l'amour. Les poètes rivaux sont au nombre de six: Homère, le Tasse, l'Arioste, Milton, Virgile, le Camoens. L'auditoire est composé de la manière sui

vante :

On voyoit autour d'eux, cherchant à se placer,
Tous les chantres divins à l'envi s'empresser.
Ils brilloient tous, fameux par d'illustres merveilles.
Là, non loin de Sophocle, est l'aîné des Corneilles ;
A côté d'Euripide est son tendre rival.

Là Molière, tout seul (1), cherche en vain son égal;
Là, presque à son insçu, cher au dieu d'Hypocrène,
Près d'Esope et de Phèdre arrive La Fontaine (2).
On voit Anacréon qui jeune en cheveux blancs,
Mêle avec son hiver les roses du printemps;
Et le grave Boileau qui, conduit par Horace,
Sut imiter son goût, sans égaler sa grace;
Et le brillant Voltaire, au mobile talent,
Trop léger quelquefois, toujours étincelant.
Sapho de ses fureurs y répand le délire;
L'ingénieux Ovide y joue avec sa lyre;
Tibulle y touche un luth arrosé de ses pleurs.
Plus loin se rassembloient, le front paré de fleurs,
Ces poètes charmans, ces Chaulieu, ces Lafares,
Au son des tambourins, des flûtes, des guitares,
Fredonnant leurs couplets, aiguisant cent bons mots,
Et du joyeux Momus agitant les grelots.

(1) L'abbé Conti, dans sa description du temple d'Apollon, y a place Corneille, Racine, Molière et La Fontaine de la même manière; mais les vers de M. Grandmaison semblent une copie décolorée de ceux du poète italien :

Cornelio alto colosso, cinto d'allor le chioma,
Spira nel volto austero l'imagine di Roma.
Racine porta in fronte la maesta e' il dolore;
E i coturni gli affissa, con gran rispetto, Amore,
Infra Terenzio et Plauto, Moliere giganteggia,
Et trà Fedro ed Esopo il Fontene festeggia.

(2) Puisque La Fontaine consent à prendre place entre Esope et Phèdre, si Molière croit déroger en se mettant à coté de Térence et de Plaute, il ne sauroit du moins être déshonoré par le voisinage d'Aristophane et de Ménandre.

Là s'offre aussi Sakespear, monstrueux phénomène,
Géant qu'avec horreur enfanta Melpomene;
Ice Dante effrayant, dont les terribles vers
De la plus sombre nuit font jaillir mille éclairs.
Antour d'eux se pressoient les ombres bocagères,
En foule rassemblant leurs peuplades légères;
Sur-tout celles qu'on vit céder au tendre amour,
Lorsqu'elles respiroient la lumière du jour.
Elles aiment encore en ce lieu de délices;

Mais leur tendre penchant ne fait plus leurs supplices.
Andromaque y soupire, et des nouds les plus doux
Y presse entre ses bras son fils et son époux.

On

y voit les beautés chères à Calliope:

C'est Hélène, Circé, Calypso, Pénélope;
C'est toi, tendre Didon; toi de qui les malheurs
Dans mes yeux tant de fois ont fait rouler des pleurs.
Quelle est d'autres beautés cette foule charmante?
C'est vous, Marphise, Olympe, Alcine, Bradamante,
Fleur-d'Epine, Angélique; auprès de vous encor
S'offrent Zerbin, Roger, l'intéressant Médor.
Plus loin parolt Olinde auprès de Sophronie;
L'heureux Tancrède aux bras de l'heureuse Herminie:
Herminie! Oui, c'est elle; oui, c'est cette langueur
Qui, si long-temps, du sort accusa la rigueur;
Voilà ses doux attraits et sa grace angélique (1),
Et de ses yeux rêveurs l'azur mélancolique,
Et le charme touchant de son triste souris.
Quels cœurs a son aspect ne seroient attendris!
Mais où m'entraîne encor la ravissante Armide?
Un art voluptueux à ses attraits préside;
Une étude piquante ajoute à ses beautés;
Renaud l'aime, et sans cesse il est à ses côtés.

Le calme règne au sein de l'assemblée immense;
On se tait, on écoute.

Chacun des six poètes débite à son tour son épisode amoureux; après quoi on distribue les prix. Par quels juges sont distribués ces prix ? Quel est le président du concours? C'est ce qui n'est point marqué d'une manière précise par l'auteur. Il se contente de dire vaguement:

A tous, pour honorer leurs chefs-d'œuvre suprémes,
Il fut distribué de brillans diadèmes,

Ornés des attributs de leurs talens divers.

D'Homère et de Milton, dans leurs sublimes vers,

On admira la verve et le puissant génie;

Virgile obtint sur tous le prix de l'harmonie,
Du style tendre et pur, et de ces vers divins

Qui s'échappent du coeur des profonds écrivains.

(1) Comme la scène se passe dans l'enfer des Paiens, je ne crois pas qu'on puisse employer l'épithète d'angélique.

Le

DEP

NOVEMBRE 1806:

Te brillant Camoens, l'Arioste et le Tasse,
Rivalisant d'éclat, de fraîcheur et de grace,
Des riches fictions avant cueilli les fleurs,
Partagèrent le prix de leurs vers enchanteurs;
Et les manes, charmés qu'à ces illustres sages
L'Elysée it offert ce doux tribut d'hommages,
Se séparent enfin, et sous leurs abris verts

Vont répandre leur foule en centgroupes divers.

257

5.

en

Cette dernière tirade renferme quelques jugemens susceptibles d'appel. Celui qui place Milton à côté d'Homère, ne peut être ratifié qu'en Angleterre. Les Italiens ne souscriront pas à celui qui place le brillant Camoens auprès de l'Arioste et du Tasse; ils en appelleront au tribunal de toutes les nations, qui admettra leur requête ce tribunal confirmera à Virgile le prix d'harmonie sur tous, excepté sur Homère (1). En cela, il ne fera que suivre l'opinion même des Latins.

On est étonné de voir dans l'auditoire Calypso et Circé. Ce sont deux nymphes immortelles qui, en cette qualité, ne peuvent se trouver dans les Champs-Elysées, dans un département de l'empire des morts, à moins que Pluton ou Proserpine ne leur ait envoyé des bilets d'entrée pour la séance de l'institut élysien. La vertueuse Pénélope est assez. mal placée auprès d'Hélène, de Calypso et de Circé, qui toutes les trois ont de grands torts avec elle; ensuite Hélène, Armide, Didon, Fleur d'Epine, ne doivent pas entendre grand'chose aux amours d'Eve et d'Adam. Ces deux personnages sont absens a et l'on voit bien que M. Grandmaison les a exclus de l'assemblée pour ne pas encourir le reproche du mélange du sacré avec le profane; et pourtant il introduit des héros chrétiens, des conquérans de la Terre-Sainte, Tancrède et Renaud. Cette contradiction est une suite du plan défectueux adopté par l'auteur. Milton ne devoit point paroître dans une lutte dont le théâtre est dans les Champs-Elysées, et dans laquelle surtout on lui oppose le Camoens. Les chastes amours d'Eve et d'Adam ne doivent pas être mis en parallèle avec les orgies crapuleuses des matelots portugais. Le lecteur se rappelle sans doute que le Camoens, dans sa Lusiade, fait débarquer les Portugais dans une île enchantée, qui sort de la mer pour rafraîchissement de Gama et de sa flotte. Le poète faisant un mélange monstrueux des divinités du paganisme avec la religion chrétienne, suppose que Vénus et Cupidon, de concert avec le Père Eternel, rendent les Néréides amoureuses des

le

(r) Voyez, dans le premier volume du Traité des Etudes de M. Rollin la comparaison des vers d'Homère avec ceux de Virgile, sous le rapport de l'harmonie.

R

LINE

Portugais. Après cette fiction absurde et impie, il s'abandonne sans ménagement à la description des plaisirs les plus lascifs. « Cet épisode (dit M. Delille) est décrit avec si peu de ména»gement, que l'île enchantée de la Lusiade ressemble beau» coup plus à un lieu de débauche qu'au séjour des Dieux. >> Ce seroit outrager Virgile que de lui comparer de pareilles >> productions. » Voltaire dit lui-même qu'une île enchantée dent Vénus est la déesse (1), et où des nymphes caressent des matelots après un voyage de long cours, ressemble plus à un musico d'Amsterdam, qu'à quelque chose d'honnête.

Nous observerons ensuite, que Milton ne devroit pas parler avant le Camoens, auquel il est postérieur. Par la même raison, l'Arioste et le Tasse ne devoient pas non plus parler avant Virgile. Comme souvent ils ne font que le traduire, il est naturel que la lecture de l'original précède celle des copies. Et puis ces imitations, ces emprunts des poètes modernes, doivent produire un petit sourire malin de la part des anciens. On dit qu'un poète français lisant un jour à Piron une pièce dans laquelle il avoit emprunté plusieurs vers de nos plus grands poètes, Piron avoit soin d'ôter son chapeau à chacun de ces vers, et de les saluer comme des gens de sa connoissance. Si les ombres portent des chapeaux, Virgile doit ôter fort souvent le sien quand il entend l'Armide du Tasse, dont les discours les plus passionnés sont quelquefois traduits littéralement de ceux de Didon (2). Il ne doit pas l'ôter

(1) C'est une dérision impie de prétendre, comme fait un traducteur du Camoens, M. Duperron de Castera, que, dans cette fiction, Vénus signiɓe la sainte Vierge, que Mars est évidemment Jésus-Christ, et que les principales Néréides représentent les vertus théologales. Le Camoens avoit voulu lui-même sauver l'indécence de cette fiction, en s'écriant: "Mortels profanes, ouvrez les yeux ! Ces Néréides si belles, ces voluptés >> qui vous tentent, ne sont qu'une image des honneurs et de l'immortalité >>> qui suivent les grandes actions. » Cette déclaration explicative est fort suspecte dans la bouche d'un poète chassé de Lisbonne pour ses galanteries. (2) Talia dicentem jamdudum aversa tuetur

Huc illuc volvens oculos; totumque pererrat
Luminibus tacitis, et sic accensa profatur:

«Nec tibi diva parens, generis nec Dardanus auctor
» Perfide, sed duris genuit te cautibus horrens

» Caucasus, Hyrcanaque admorunt ubera tigres.

» Nam quid dissimulo? Aut quæ me ad majora reservo ? » Num fletu ingemuit nostro ? Num lumina flexit?

» Num lacrymas victus dedit, aut miseratus amantem est ? » Tandis qu'il parle ainsi, Didon le regarde d'un air indigné; dans un Bombre silence, elle route sur lui des yeux égarés; enfin, sa colère éclate en ces mots : « Perfide! ce n'est point une Déesse qui t'a donné le jour; » non, tụ n'es pas du sang de Dardanus; l'affreux Caucase t'engendra

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