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traire, un mauvais ouvrage, lorsqu'il est produit par un bon écrivain, n'en doit paroître que plus mauvais; et il me semble encore que, par respect pour son auteur (on sent bien que je ne parle pas de M. de Mirabeau ), par celui qu'on doit aux bonnes études, par celui qu'on doit au bon goût; loin d'en multiplier les copies, il faudroit, s'il étoit possible, en effacer jusqu'au souvenir. Qu'on y prenne garde, les grands hommes en tout temps sont rares; mais le nombre de ceux qui prétendent à ce titre est toujours fort grand; et si on s'accoutume à estimer, à rechercher un ouvrage, sur le nom seul de celui qui l'a fait, sans considérer ni le fond, ni la manière dont le sujet est traité, on ne manquera jamais d'écrivains qui se croieront assez importans pour pouvoir se présenter au public dans leur négligé. Alors plus d'études, plus de travail : tout homme qui aura une fois fait un livre estimable, croira avoir acquis le droit d'en publier de mauvais, sans que sa gloire ou' ses intérêts en souffrent; son exemple en entraînera d'autres qui en publieront de plus mauvais encore; et de proche en proche, la paresse deviendra le défaut de tous les auteurs, et la négligence celui de tous leurs ouvrages.

Proscrivons donc ce fatras d'écrits inutiles, dont le moindre inconvénient est d'en faire naître de plus inutiles encore. Surtout n'ayons point d'indulgence pour les éditeurs de lettres, je dis, de ceux même qui font imprimer des lettres qui ne leur ont pas été adressées, de ceux même qui, en le faisant, n'ont du moins pas violé le dépôt qui leur fut confié par l'amitié. A plus forte raison, repoussons sans ménagemens ceux qui publient des le tres de leur ami, des lettres 'où ils nous le font voir sous des traits tantôt communs et tantôt odieux, et qui nous disent « Voilà mon ami, le voilà tel qu'il fut. » Car, enfin, mettons les choses au pire, et supposons (ce qui étoit le cas de Voltaire et du plus grand nombre de ses correspondans), que ce soient des conspirateurs qui s'écrivent. Je dirois à un éditeur: De quel droit révélez-vous les secrets de votre

complice ?

SE

Complice? Ayez du moins la morale des brigands, et ne vous DE LA

rendez pas sans nécessité le dénonciateur de celui qui comer!.

plota avec vous. Quoi! ces lettres que, du vivant de gelui
qui vous les écrivit vous n'auriez osé lire peut-être art 5
votre société ordinaire, vous les livrez après sa mort au puben
Vous les lui vendez ! Vous les, faites imprimer, quoiqu'elles
soient sans intérêt, et qu'elles ne contiennent rien de nouveau!
Et cela, par le motif seul, que le nom de votre ami étant
célèbre, vous espérez qu'il fera acheter votre recueil! Ainsi
donc, vous ne trafiquez pas seulement de son secret, vous
trafiquez de sa gloire; et vous vendez l'un et l'autre au prix
de quelque argent.

Je ne connois que
deux occasions où les lettres familières
d'un homme célèbre puissent inspirer quelqu'intérêt au public,
et dans lesquelles il soit vraiment utile de le montrer lui-mêmė
tel qu'il a été dans sa famille et avec ses amis. La première
est celle où ses lettres rappellent des mœurs et des vertus dignes
d'être imitées, et peuvent par cela même servir à l'instruc-
tion de ses descendans. Par exemple, dans les lettres de Racine,
je ne reconnois pas l'auteur d'Athalie et d'Iphigénie; mais
j'aime à y voir que dans le siècle de Louis XIV, les grands
auteurs, après avoir fait leurs grands ouvrages, ne songeoient
pas à nouer des intrigues pour les faire réussir, et qu'ils se
délassoient du travail de la journée, en s'occupant le soir de
l'éducation de leurs enfans. Les petits détails dont ces lettres
sont pleines, ne me peignent pas le grand homme; sur-tout
ils ne me le peignent pas mieux que tant de chefs-d'œuvre
qui ont rendu son nom immortel; mais aujourd'hui il n'est
peut-être pas inutile d'apprendre que ce grand homme préféra
une fois le plaisir de manger une carpe avec sa famille, à celui
d'aller recueillir des applaudissemens à un dîner de beaux
esprits, et que la crainte d'affliger son épouse par son absence,
l'emporta sur celle de désobliger un grand prince par son refus.
temps, ô mours! Eh! bien, je ne doute pas que dans le

B

siècle de Louis XIV, on n'eût désapprouvé la publication de cette même correspondance: on eût trouvé peut-être qu'il étoit inconvenant de représenter un grand homme sous ces traits petits et communs.... Sont-ils communs aujourd'hui? Et avonsnous le droit d'en juger comme dans le siècle de Louis XIV?

Le second cas (on me prévient ) est celui, où un homme célèbre après avoir travaillé toute sa vie à faire prévaloir des opinions dangereuses, se présenteroit à la postérité environné d'un éclat qui pourroit faire illusion, et donner du crédit à ses erreurs. Alors il importe de détruire son influence; alors il faut dévoiler toutes ses menées, toutes ses intrigues; il faut, si on peut, mettre le public dans la confidence de tous ses secrets. Ce n'est pas qu'il n'y ait encore dans la publication qu'on fait de ses lettres quelque chose de bas et de vil, qu'un honnête homme ne se permettroit pas; mais il est sûr pour-' tant qu'il est utile de les connoître. Ceux qui les font imprimer rendent, sans en être plus estimables, un grand service à la société ils sont en quelque sorte les exécuteurs de sa justice.' Ainsi, les éditeurs de la correspondance de Voltaire firent, sans le savoir, et sur-tout sans le vouloir, un des recueils les plus instructifs qui aient été publiés dans ce siècle. Lorsqu'on parcourt ces lettres si connues, et qui ne le seront jamais assez, on croit voir l'antre de Cacus, tel qu'il parut à tous les yeux, après qu'Hercule eût étouffé le brigand:

:

Abjuratæque rapinæ

Cælo ostenduntur, pedibusque informe cadaver

Protrahitur.

«Ses vols désormais perdus sont produits au grand jour, et le hideux cadavre est traîné au-dehors par les pieds. » Ce cadavre, c'est celui de la philosophie, non pas seulement vaincue, mais réellement morte et à jamais déshonorée dès l'instant qu'on eût révélé au public par combien de ruses, d'astuce, de faussetés, on étoit parvenu à établir son empire. Ces lettres de nos philosophes sont un véritable miroir où

ils doivent frémir de se regarder; et désormais, quand on voudra les réduire au silence, il suffira de le leur présenter. Enfin elles sont presque toutes de Voltaire ou de d'Alembert; et il étoit utile, nécessaire même, que le public connût Voltaire et d'Alembert tels qu'ils étoient; c'est-à-dire, l'un comme un énergumène qui, tout en criant contre le fanatisme, étoit lui-même un vrai fanatique d'erreur; et l'autre comme un vrai fourbe, un intrigant subalterne, ne sachant que tirer du feu les marrons qu'il n'y avoit pas mis. Qui m'a fourni ces expressions? Qui les a peints ainsi? Ce sont euxmêmes; et après eux ce sont leurs éditeurs qui nous ont revélé tous leurs secrets; et on peut dire qu'en cette occasion, men tita est iniquitas sibi.

Mais quelle nécessité y avoit-il de peindre M. de Mirabeau tel qu'il étoit? L'influence que cet homme exerça sur son siècle, et celle qu'il exerce encore parmi nous, sont-elles donc si grandes, qu'il soit important de le faire voir au public dans son négligé, ou, pour employer l'autre expression de Voltaire, de le montrer dans toute sa laideur? c'est ce qu'il est temps d'examiner.

M. de Mirabeau eut l'air d'exercer pendant deux années une grande influence sur son pays. Semblable à ces comètes à la queue flamboyante, à la chevelure enflammée, qui se montrent de temps en temps, et auxquelles le vulgaire attribue tous les malheurs qui précèdent et qui suivent leur apparition, il parut au milieu des tempêtes, et selon l'usage, on l'accusa de les avoir rassemblées. Je crois cependant que M. de Mirabeau borné par la nature au talent de profiter quelquefois habilement des circonstances, n'eut pas celui de les faire naître. Le feu couvoit sous la cendre: laissons-lui lal honte de l'avoir attisé. Les élémens de la révolution fermentoient dans toutes les têtes; avouons qu'il contribua plus qu'un autre à leur réunion. Ensuite qu'en a-t-il fait, et qu'est-il resté de tout le fracas qu'il a causé? Non, je ne puis voir dans M. de Mi¬

rabeau un grand homme; c'est à d'autres traits qu'on reconnoît les vrais hommes d'Etat; et si on s'obstine à nous dire qu'il fut du moins un grand orateur, je me contenterai de demander ce qu'il faudra penser désormais de la définition que Cicéron nous a donnée de l'orateur (1).

Si M. de Mirabeau fut éloquent, qu'on me dise donc pourquoi on ne lit plus aucun de ses discours. M. de Mirabeau un grand homme! Non, je ne ferai pas à mon siècle le tort de prodiguer ce titre à un tel homme et à un tel écrivain! Veut-on que nos descendans surpris des éloges que nous lui aurons donnés, et ne sachant plus sur quels titres, s'écrient dans leur étonnement : Voilà donc les grands hommes du dixhuitième siècle; ils ont paru comme ces globes de feu qui brillent un instant dans les ténèbres, éclatent tout à coup, et s'évanouissent, comme des torrens formés par les orages, et qui ne laissent, pour toutes traces de leur existence passagère, que les débris qu'ils accumulent en se précipitant. Que nous reste-t-il en effet de M. de Mirabeau? Ses opinions, ses discours, ses écrits, tout le fracas, tout le mal qu'il fit, ne fut-il pas dans un même jour et dans une même tombe enseveli avec lui? Il est mort, mort tout entier, et ce n'est pas à présent qu'on peut craindre de le voir revivre. Quelle influence exercc-t-il sur nous? Quelle illusion peut-il nous faire? Je dis plus, quelle illusion a-t-il jamais faite? Eh! n'a-t-on pas toujours su ce qu'il étoit?

On avoit vraiment grand besoin qu'un compilateur vînt nous dire pour la millième fois, que M. de Mirabeau fut un mauvais fils et un mauvais époux, et qu'il préludât par les troubles qu'il suscita dans sa famille, à ceux qu'il devoit un jour fomenter dans l'Etat. Nous ignorions peut-être que sa vie entière ne fut qu'une lutte continuelle contre son père et contre son épouse, et sans ces lettres, jusqu'à présent inédites,

(1) Vir bonus, dicendi perius

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