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INTRODUCTION.

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En publiant, il y a seize ans, la première partie de son grand ouvrage, M. Bignon s'exprimait ainsi dans sa préface : «Le travail au» quel je me livre est une tâche que je remplis ; tache difficile, mais qui doit m'être sacrée à plus d'un titre. Le nom de celui de qui je l'ai » reçue, le lieu, la date du mandat lui impri» ment un caractère imposant, et, en quelque » sorte, religieux. L'homme qui a exercé, pen» dant près de vingt années, une influence si a décisive sur les destinées du monde, m'a engagé à écrire l'histoire de la diplomatie française de 1792 à 1815. Ce n'est point du haut » d'un trône qui a dominé tous les trônes, que » cette invitation est descendue vers moi. Na» poléon me l'adresse de Sainte-Hélène, de son lit de mort, par son testament. Que dirions> nous d'un homme qui aurait refusé d'obéir aux > dernières volontés de César ou d'Alexandre? » M. Bignon n'avait pas jugé devoir s'arrêter

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'Préface du tome premier, p. 6.

* Déshonorée à la fin du règne de Louis XV par l'imprévoyance et la faiblesse, qui n'avaient ni su prévenir, ni osé combattre le partage de la Pologne, la diplomatie de la France s'était régénérée sous Louis XVI, en secondant, par une alliance efficace et sincère, l'élan d'une nation opprimée vers la liberté..... Le caractère particulier imprimé à la diplomatie du seizième siècle par la réformation religieuse, est précisément celui qu'elle a déployé depuis la fin du dix-huitième. Aux deux époques elle a reçu une double empreinte, tant du mouvement nouveau de l'intelligence humaine, que de la résistance opposée à ce mouvement par le plus grand nombre des cabinets. De même qu'au seizième siècle on l'avait vue, sortant de ses attributions habituelles, s'immiscer dans des questions de dogmes, et armer des peuples pour imposer à d'autres la reconnaissance d'un symbole, de même, à dater de la révo

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au sens littéral de son mandat, et se borner à une sorte d'histoire des traités de 1792 à 1815; ouvrage de nature à être plutôt consulté que lu. Ce que Napoléon avait dû attendre de lui, c'était une histoire générale, dans laquelle » seraient présentés tous les événements politi» ques, civils et militaires, qui ont rempli cette » période, en donnant au jeu secret des passions » et des intérêts qui ont produit ces événements, » en un mot, aux questions de politique exté»rieure, plus de développement et d'étendue que » n'en comportent les histoires ordinaires 1. » Sûr de l'intention du testateur, et creusant toujours plus avant dans sa pensée, M. Bignon s'était décidé à élargir encore son cadre, et à prendre pour point de départ l'année 1785. L'affranchissement des États-Unis lui semblait être la véritable époque du commencement de la grande lutte matérielle, morale et diplomatique, dont il se proposait de tracer le tableau 2. Mais il n'a

lution française, elle déclara la guerre à la pensée, et livra des batailles pour faire triompher tels ou tels axiomes d'organisation sociale. Cette ligue de tous les pouvoirs et de tous les priviléges héréditaires remonte même au delà de 1789; nous croyons qu'il faut reporter sa naissance à l'ère mémorable qu'a commencée pour les deux mondes l'affranchissement des États-Unis d'Amérique. Le spectacle d'une nation heureuse et florissante sans roi, sans noblesse, sans clergé formant corps politique dans l'État, ce spectacle qui était une leçon pour les peuples, fut aussi un avertissement pour les cabinets absolus et pour les aristocraties qui les entourent. C'est depuis cette guerre que s'est préparée leur union impopulaire, comme c'est depuis la même époque que s'est développé, avec plus ou moins d'énergie, l'esprit qui a enfanté cette révolution. (Histoire [inédite] de la diplomatie européenne depuis 1785, Avant-propos.)

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pas eu le temps de revoir cette première partie de son ouvrage, que nous comptons bien pourtant publier un jour. Il avançait en âge; voulant remplir au moins la portion de son mandat que l'auguste testateur avait dû considérer comme la plus essentielle, il se décida à faire paraître d'abord l'histoire du règne de Napoléon. La première partie de cet ouvrage parut en 1829; ce qui en fut publié en 1838 compléta les douze années écoulées depuis le 18 brumaire jusqu'au commencement de la guerre de Russie.

Dans une préface (au deuxième volume), M. Bignon s'exprimait en ces termes : « Il est » à présumer que cette grande biographie (de » l'empereur), dont les écrivains actuels prépa>> rent les éléments, tentera un jour quelque » talent du premier ordre, et moi-même je désire » que Napoléon trouve un historien vraiment

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digne de lui... Pour moi, à défaut d'autre mérite, j'aurai du moins celui de narrateur exact » et de citateur fidèle. Dans une histoire comme » celle de Napoléon, et à une époque si rappro» chée de son règne, ce genre de mérite a aussi » sa valeur; je n'en ambitionne pas d'autre. Appelé un peu tard à cette belle tâche, qui eût » demandé toute une vie, pressé par les menaces » de l'âge..., je me hâte de publier cette seconde partie.» M. Bignon ne se montrait-il pas trop modeste dans cette appréciation? Ce n'est pas à nous qu'il appartient de le décider. Mais ce que nous tenons à constater, c'est que cet ouvrage, grâce à sa spécialité, est à l'abri de toute comparaison avec les autres histoires de la même époque; c'est que le mandat de l'empereur, dont il est la réalisation, attirera toujours sur lui l'attention des hommes sérieux; c'est que les historiens mêmes qui lui succèdent, et auxquels la nature de leur talent et des formes plus pittoresques garantissent un succès populaire, n'auront jamais ni le droit ni la volonté de déprécier un ouvrage auquel ils auront dû faire toujours, bon gré, mal gré, de larges emprunts; c'est qu'à une époque où l'on voit tant d'ovations bruyantes qui coûtent si cher, mais qui durent si peu, le livre de M. Bignon s'est soutenu sans presque aucun secours de la presse périodique; c'est qu'enfin ce livre est fait de main d'ouvrier, comme cût dit la Bruyère.

Un fatal pressentiment avait dicté les dernières lignes que nous citions tout à l'heure. L'auteur de l'Histoire de France sous Napoléon

ne devait pas avoir la consolation d'accomplir entièrement son mandat. Sa santé s'affaiblissant chaque jour, il avait renoncé presque entièrement aux travaux parlementaires pour consacrer à l'achèvement de ce grand ouvrage tout ce qui lui restait de forces. Il s'en occupa assidûment en 1839; mais l'année suivante, de douloureuses préoccupations vinrent l'arracher à son travail, et ne lui permirent plus de le reprendre. Sa femme, dont les soins dévoués prolongeaient sa vie, fut atteinte elle-même d'une maladie cruelle, et succomba dans les premiers jours de décembre. Sous l'impression, toute récente encore, de cette catastrophe, M. Bignon dut assister à la grande cérémonie du 15 décembre 1840; sa place était marquée ce jour-là auprès des restes sacrés de Napoléon, rendus à la France. Mais les émotions de cette journée achevèrent d'user sa vie; quelques jours après, il s'éteignit dans les bras de sa fille 1.

La vie de M. Bignon appartient désormais à l'histoire. Son éloge serait suspect de partialité dans notre bouche; nous laisserons donc à d'autres écrivains l'honneur d'apprécier son caractère et son talent, et nous nous bornerons à expliquer la part que nous avons prise à la rédaction du volume que nous publions aujourd'hui.

Après la mort de M. Bignon, on trouva dans ses papiers une partie de la suite de son ouvrage (les quatre premiers chapitres du présent volume), entièrement achevée et recopiée par lui-même, et de volumineux matériaux préparés de longue main pour le reste. Ces matériaux, pour l'année 1815, se composaient principalement d'extraits des passages les plus importants de la correspondance des divers cabinets de l'Europe avec la France, à la suite de la guerre de Russie. Tous ces extraits avaient été faits et annotés par M. Bignon; l'esprit de son travail était là tout entier. Nous avons trouvé de plus, pour nous guider dans notre rédaction, les copies d'un grand nombre de lettres inédites adressées par Napoléon à divers souverains, et réciproquement, des fragments de sa correspondance avec plusieurs personnages marquants, notamment avec MM. de Montalivet, alors ministre de l'intérieur, et Daru, intendant général de l'armée. Nous avions encore un mémoire inédit de M. Bi

16 janvier 1841.

gnon lui-même, sur sa seconde mission en Pologne après les événements de 1812, ouvrage que nous avons pu insérer presque en entier dans le chapitre VI de ce volume; enfin, des renseignements inédits et du plus grand intérêt sur la fatale défection de la Bavière au mois d'octobre, défection qui fut, comme nous le verrons, la cause principale des malheurs de Leipzig.

Une brève analyse des quatorze premiers chapitres de ce volume va faire connaître d'avance à nos lecteurs les faits et les appréciations nouvelles que nous apportons à l'histoire de cette époque.

Le tome II finissait à la rupture de la France et de la Russie. Le premier chapitre du troisième est consacré tout entier au récit véridique de la fameuse ambassade de M. de Pradt en Pologne. La génération actuelle lit peu le libelle publié en 1813 sur ce sujet par l'archevêque de Malines, libelle qui dut à l'esprit de parti une sorte de Vogue momentanée. Attaqué dans ce livre, au mépris des convenances et avec toute l'amertume d'un prédécesseur justement disgracié, M. Bignon n'avait pas daigné répondre. Mais l'ordre des événements l'amenant à parler de ceux auxquels M. de Pradt s'est trouvé mêlé, malheureusement pour lui-même, pour les Polonais et surtout pour Napoléon, il a dû rétablir les faits dans leur véritable jour, d'après la correspondance même de M. de Pradt avec le duc de Bassano, et réduire à leur juste valeur l'histoire et l'historien de l'ambassade de Varsovie.

Les faits rapportés dans ce chapitre disculpent pleinement Napoléon du tort de n'avoir pas su tirer parti de la Pologne dans la guerre de Russie. Tout le tort doit être imputé à son ambassadeur, qui n'a su ni comprendre ni remplir ses instructions, et n'a montré, dans toute sa mission, que vanité d'abord, et faiblesse ensuite.

Le chapitre II comprend le récit de la guerre jusqu'au funeste séjour de Napoléon à Moscou. Ici les faits sont généralement connus. Dans le tableau de l'entrée des Français et de l'incendie de la ville, M. Bignon s'est élevé à une grande hauteur de style et de pensées. Nous pouvons en dire autant du récit de la retraite, sujet du chapitre III. Depuis Wilna, M. Bignon était devenu le témoin oculaire des lugubres événements qu'il décrit, et cette circonstance ajoute un nouvel intérêt à sa narration.

Le chapitre IV est le dernier que M. Bignon ait écrit; il ne paraît même pas avoir eu le temps d'y mettre la dernière main, et de coordonner les divers articles qui le composent. Nous y trouvons la conspiration de Mallet, l'exposé des négociations qui avaient eu lieu, pendant l'année 1812, au sujet de l'indemnité américaine, les événements de la guerre d'Espagne pendant cette même année, les faits relatifs au concordat signé par le pape Pie VII et par Napoléon, en janvier 1813; enfin, la correspondance diplomatique de la France et de la Prusse jusqu'à la défection de cette puissance.

Notre rédaction commence au chapitre V. Là, nous avions à traiter à fond, pour notre début, le point peut-être le plus délicat de tout le reste de l'ouvrage, l'attitude de l'Autriche pendant la campagne de 1812 et dans les premiers mois qui la suivirent. Nous avons dû définir nettement l'influence exercée sur les événements de la campagne par les manœuvres équivoques du commandant du corps auxiliaire autrichien; nous avons montré le cabinet de Vienne recevant, dès le temps de l'occupation de Moscou, la confidence anticipée des velléités d'un changement de système de la part de la Prusse, et encourageant, par sa discrétion, des confidences plus étendues de la part de cette puissance. Toute la défection autrichienne était en germe dans ce commencement d'abandon des intérêts français. A partir de ce moment, nous avons pu signaler un à un les progrès de cette défection; l'abandon volontaire de Varsovie et du territoire polonais par suite d'un accord secret conclu avec un agent russe, la cessation absolue des hostilités entre les Russes et les Autrichiens, et la retraite volontaire de ceux-ci sur Cracovie, malgré les ordres de Napoléon. Celui-ci s'était aperçu trop tard que M. de Pradt n'avait rien de ce qu'il fallait pour sa mission, et l'avait remplacé par M. Bignon, qui put ainsi observer de près les mauvaises dispositions de l'Autriche.

Pour arrêter la défection de cette puissance dans son principe, Napoléon avait un moyen sûr, c'était de l'associer franchement à ses intérêts par des sacrifices faits à propos, de renouveler par conséquent sur des bases plus larges, l'alliance qui unissait les deux États; en un mot, suivant l'expression de M. de Metternich, de la mettre à même d'agir avec nous comme un bon allié, avec les autres États, comme une puis

sance indépendante. A Vienne, on s'attendait si bien, de la part de la France, à des propositions que la force des choses même semblait commander, que le comte de Bubna, chargé de porter à Paris une lettre de l'empereur d'Autriche, au commencement de janvier, avait l'autorisation de remplir au besoin des fonctions diplomatiques. Napoléon ne sut pas saisir ce point décisif; ce fut une des grandes fautes de sa vie. A partir de ce moment, la mésintelligence ira croissant entre les deux cours. L'Autriche a proposé de faire des démarches pour la paix, et Napoléon n'a pu s'y refuser; mais ces démarches n'auront d'autre résultat que de permettre à cette puissance d'accréditer des agents malintentionnés pour nous auprès de l'Angleterre, de la Russie et de la Prusse. L'Autriche armera, non pas en exécution de ses engagements avec la France, mais au contraire pour assurer la position indépendante qui peut seule lui convenir désormais; aussi refusera-t-elle les subsides français, en attendant qu'elle accepte ceux de l'Angleterre. Cependant, la coalition contre la France prend de nouvelles forces, la Prusse s'y joint au mois de février, et la Suède au mois de mars. C'est Bernadotte qui entraîne son pays d'adoption dans la guerre contre son pays natal; nous avons dû blâmer sa défection, d'autant plus sévèrement, qu'elle est restée impunie.

Le chapitre VI est, comme nous l'avons déjà dit, presque entièrement extrait des mémoires inédits de M. Bignon sur sa seconde mission en Pologne. Nous avons fait marcher de front la suite de la correspondance du cabinet autrichien avec la France, et l'historique des événements du grandduché. Cette partie est la plus neuve et la plus intéressante; aussi nous sommes-nous laissé peutêtre entraîner dans de trop grands détails. Nous avons considéré qu'étant ici hors des conditions d'une histoire ordinaire, nous ne pouvions être assujetti à observer les mêmes proportions entre les diverses parties du récit; et que nos lecteurs nous sauraient gré au contraire d'insister plus fortement sur des faits nouveaux, surtout quand c'est M. Bignon lui-même qui les raconte. Nous avons donc laissé subsister le récit développé d'une intrigue ourdie, à la suite de nos malheurs de Russie, par quelques Polonais qui, n'espérant plus de Napoléon le rétablissement du royaume de Pologne, avaient cru devoir

s'adresser à l'empereur Alexandre; intrigue qui donna lieu à une lettre curieuse de ce monarque, lettre dont le prince Poniatowski et M. Bignon eurent connaissance, et qui est publiée ici pour la première fois. Nous suivons en même temps les progrès de la défection autrichienne à Vienne, dans le langage de M. de Metternich à Cracovie, dans la conduite équivoque du général en chef autrichien vis-à-vis du prince Poniatowski et du corps polonais, noyau précieux de patriotes, dont l'Autriche et la Russie ont déjà concerté l'expulsion. Enfin, cette crise veut un dénoûment; l'ambassadeur français à Vienne force, par une note pressante, le ministre autrichien à déclarer que l'empereur son maître prend l'attitude d'une médiation armée, et se dégage d'une partie au moins des stipulations du traité qui l'unissait à la France. La perfidie autrichienne va se montrer dans tout son jour, et rendre Napoléon presque excusable d'avoir dédaigné de tels alliés. Napoléon, prêt à rentrer en campagne, annonce qu'il va envoyer au corps auxiliaire autrichien l'ordre d'agir; M. de Metternich prendra ses mesures pour que ce corps, livrant à temps Cracovie aux Russes, soit rentré sur le territoire autrichien, et n'existe plus comme corps d'armée, quand les ordres arriveront. La fermeté de Poniatowski retarde ce fatal dénoûment; il dispute les jours et bientôt les heures à l'impatience hostile des Autrichiens. Associé à cette généreuse résistance, M. Bignon la raconte avec toute son âme; son récit, nous l'espérons, relèvera encore dans l'esprit de nos lecteurs le héros malheureux de Leipzig. Mais enfin il faut subir la loi du plus fort, et tous deux quittent pour jamais la Pologne, heureux encore que l'effet de la victoire de Lützen leur permette de rejoindre promptement la grande armée.

Le chapitre VII de ce volume comprend le détail des préparatifs militaires de Napoléon, et de ses mesures d'ordre intérieur et d'administration, pendant l'hiver de 1813. De là nous passons à l'envahissement de l'Allemagne par les alliés, envahissement retardé par l'admirable conduite du prince vice-roi. Napoléon paraît soudain à la tête d'une armée créée comme par magie, et sa victoire de Lützen, rayon de soleil fugitif entre deux orages, trouble le long triomphe des ennemis de la France.

Le chapitre VIII nous dévoile l'influence exer

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