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gards sur cette multitude passionnée. « Vous le « voyez, me dit-il, ce ne sont pas là ceux que j'ai « comblés d'honneurs et de trésors. Que me doi<< vent ceux-ci? Je les ai trouvés, je les ai laissés « pauvres. L'instinct de la nécessité les éclaire, la « voix du pays parle par leur bouche; et si je le << veux, si je le permets, cette chambre rebelle, << dans une heure elle n'existe plus. Mais la vie « d'un homme ne vaut pas ce prix. Je ne suis pas << revenu de l'île d'Elbe pour que Paris fût inondé « de sang. »

C'est là un des plus beaux moments de la vie de Napoléon. Ce mouvement généreux, sublime, arrache à Benjamin Constant lui-même un cri d'admiration. « Celui, dit-il, qui, fort encore des débris d'une armée invincible durant vingt années, fort d'une multitude qu'électrisait son nom, qu'épouvantait le retour d'un gouvernement qu'elle croyait contre-révolutionnaire, et qui ne demandait pour se précipiter sur ses ennemis que le signal du soulèvement, a déposé le pouvoir plutôt que de le disputer par le massacre et la guerre civile, a dans cette occasion bien mérité de l'espèce humaine. »

On a dit que Napoléon avait péri pour avoir trop osé; on devrait dire plutôt qu'il a péri pour n'avoir pas tout osé, pour n'avoir pas osé autant qu'il pouvait le faire, dans la prospérité comme dans le malheur... Ce fut une faute à lui d'élever sa famille, c'en fut peut-être une plus grave encore de ne pas changer plus de dynasties. Il avait dépendu de lui d'anéantir la Prusse après léna; c'est la Prusse qui par sa défection en 1812 lui a porté le coup le plus fatal. Et de même qu'il aurait pu allumer au cœur même de la Russie un feu plus ardent que celui de Moscou, en proclamant l'émancipation des serfs et les armant contre leurs maîtres, de même, en 1815, il pouvait donner de l'Élysée le signal d'une guerre sociale. Oh! nous voudrions pouvoir blâmer Napoléon au lieu de l'exalter ici, nous voudrions pouvoir l'accuser d'une aversion exagérée pour les moyens et les idées révolutionnaires; mais les démagogues ont pris soin récemment de justifier l'empereur, de dissiper toutes nos illusions. Nous les avons vus à l'œuvre !

L'empereur savait que ces masses, prêtes à se soulever pour le défendre, ne s'armeraient pas contre les étrangers seuls; il savait que des ressentiments implacables, excités par les fautes du gouvernement royal, bouillonnaient sourdement dans cette foule irritée. Pour tirer parti de l'explosion, il fallait lui donner libre carrière, envelopper dans la mėme proscription les ennemis et les amis mal

'Thibaudeau, I, 401.

adroits de la liberté, encourager ou tolérer du moins ces influences malfaisantes, clartés sinistres qui ne manquent jamais à l'heure des révolutions pour égarer ou pervertir les plus généreux instincts, pour encourager à tous les excès les multitudes en délire. Napoléon ne fut jamais plus grand qu'à cette dernière heure, où il préféra le long martyre de l'exil aux horreurs d'un pareil succès, où il dédaigna de ramasser les guenilles sanglantes de la terreur pour se refaire une pourpre impériale!

Ce ne fut pas toutefois sans de cruelles perplexités que l'empereur accomplit son sacrifice. Il l'aurait fait sans hésitation, sans regret, s'il avait espéré que ceux qui exigeaient son abdication couvriraient du moins leur abandon de quelque lutte, de quelque gloire, ou qu'elle suffirait pour désarmer les ressentiments de ces ennemis qui prétendaient n'en vouloir qu'à lui. Mais il ne l'espérait pas ; il ne se faisait illusion ni sur la force des uns ni sur la modération des autres.

Cependant un comité composé de ministres et de deux commissions nommées par les chambres s'était réuni à onze heures du soir aux Tuileries.

« Cette grande salle du conseil d'État, témoin de tant de vicissitudes, ce palais désert, le silence de la nuit et la gravité des circonstances, inspiraient la tristesse et une sorte d'effroi 1. »

La discussion, d'abord timide et réservée dans une assemblée composée d'éléments aussi divers, s'anima bientôt, quand les représentants, parmi lesquels se trouvait la Fayette, proposèrent de demander la paix, tout en se préparant à la défense, et d'entamer la négociation au nom des chambres, puisque l'ennemi avait déclaré qu'il ne traiterait pas avec Napoléon. C'était faire un pas de plus dans la voie révolutionnaire où l'on était entré la veille. Regnaud de Saint-Jean-d'Angely, défendant jusqu'au bout la cause de l'empereur, discourut sur la nécessité de faire un dernier effort pour ne pas implorer la paix à genoux ; il demanda aux chambres de faire un appel à la nation, tandis que l'empereur traiterait de la paix avec dignité. La Fayette s'opposa formellement à cette mesure. « Il n'en est

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d'Otrante sur l'esprit de ce vétéran de la liberté, qui ne comprit jamais Napoléon 1. Il faut bien en convenir, l'attitude du parti constitutionnel fut la raison décisive de l'abdication. L'empereur n'aurait pas reculé devant une opposition dont la trahison et la peur eussent été les seuls éléments; il ne céda à la révolte que parce qu'il vit des hommes honorables en adopter les couleurs, en porter même la bannière. Leur présence dans les rangs de ses ennemis devait rallier contre lui une partie de cette majorité paisible, ennemie des excès révolutionnaires, qui avait naguère applaudi au 18 brumaire et au gouvernement réparateur né de cette révolution. Dès lors le succès et même la lutte n'étaient plus possibles qu'au prix d'affreux déchirements; l'inimitié des cabinets de l'Europe, poursuivant dans la personne de Napoléon le principe révolutionnaire, semblait pleinement justifiée; l'histoire même aurait pu l'accuser avec quelque apparence de fondement d'avoir perdu son pays par égoïsme. L'empereur, livré à ces tristes pensées, parcourait avec une impatience fébrile les salons déserts de l'Élysée. Si ces conséquences d'un coup d'État pouvaient être épouvantables, l'abdication démoralisait l'armée et ramenait en quelques jours les étrangers à Paris! Entre ces deux extrémités déplorables, l'empereur s'efforça encore de trouver un moyen terme, en consentant à une tentative de négociation au nom des chambres, et promettant d'abdiquer s'il était le seul obstacle à une paix honorable. Il sut bientôt que cette concession ne suffisait pas à l'impatience de ses adversaires; on voulait une abdication formelle, immédiate, sinon l'on allait parler de déchéance. Les communications les plus pressantes se succédèrent dans ce sens ; il fallait se hâter de céder, si l'on voulait garder encore le mérite d'un sacrifice spontané. Bientôt les plus fidèles amis de l'empereur, ceux mêmes qui lui avaient conseillé avec le plus d'insistance des mesures énergiques, ébranlés, découragés à leur tour, joignirent leurs instances à celles des députés. L'histoire doit cette justice à Lucien, qu'il passa le dernier dans le camp des partisans de l'abdication.

Alors Napoléon compara une dernière fois dans sa pensée les suites probables, assurées, de cette alternative à laquelle on le réduisait. Il jugea les maux qui résulteraient de l'abdication moins grands peut-être, et certainement moins irréparables, que ceux qui suivraient des mesures violentes; et plus las encore de l'ingratitude et de l'aveuglement des hommes que des caprices de la fortune, il dicta d'une voix ferme à Lucien la déclaration suivante :

'Ainsi qu'on le lui a dit à lui-même aux ÉtatsUnis.

<< Français ! en commençant la guerre pour soutenir l'indépendance nationale, je comptais sur la réunion de tous les efforts, de toutes les volontés et le concours de toutes les autorités nationales. J'étais fondé à en espérer le succès, et j'ai bravé toutes les déclarations des puissances contre moi. Les circonstances paraissent changées; je m'offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France. Puissent-ils être sincères dans leurs déclarations, et n'en avoir jamais voulu qu'à ma personne !

«Ma vie politique est terminée, et je proclame mon fils, sous le titre de Napoléon II, empereur des Français. Les ministres actuels formeront provisoirement le conseil du gouvernement. L'intérêt que je porte à mon fils m'engage à inviter les chambres à organiser, sans délai, la régence par une loi. Unissez-vous tous pour le salut public, et pour rester une nation indépendante.

« Donné au palais de l'Élysée, le 22 juin 1815.

« NAPOLÉON. »>

Tel fut le dernier acte de ce règne mémorable à jamais. Nous n'évoquerons pas ici le souvenir des événements qui suivirent cette seconde abdication, nous ne rappellerons pas comment se vérifièrent tous les malheurs que Napoléon avait prédits, comment fut traitée la France désarmée du seul bras qui put encore la défendre, comment il fut traité lui-même. C'est aux historiens de l'interrègne et de la seconde restauration à épuiser jusqu'à la lie cette coupe amère, c'est à eux de nous retracer cette sombre image de la France « passant sous les Fourches Caudines. » Pour nous, notre tâche, commencée au 18 brumaire, finit avec le règne de Napoléon.

Le captif de Sainte-Hélène avait prédit que la calomnie et la haine, qui avaient prévalu contre lui, ne prévaudraient pas du moins contre sa mémoire. Il a confié à l'histoire et au temps l'œuvre de sa réhabilitation; l'histoire et le temps ont répondu à cet appel. C'est à M. Bignon qu'il avait remis spécialement le soin d'expliquer et de défendre son système politique; on sait que la mort ne permit pas au légataire de l'empereur d'accomplir entièrement cet auguste mandat. Puisse du moins le dévouement filial du continuateur de ce grand ouvrage avoir suppléé au défaut d'expérience et de talent; puissions-nous avoir contribué à dissiper quelque ombre de ces mauvais jours dont il nous a fallu évoquer le souvenir, à montrer le héros vraiment supérieur encore à lui-même dans l'adversité, et voyant sans pâlir tout un monde éclater en débris, et crouler sur sa tête 2.

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Napoléon n'est que trop justifié, que trop vengé aujourd'hui ! Les dernières commotions qui ont agité l'Europe ont jeté sur le passé une lueur étrange et nouvelle. Partout la vérité se fait jour, et triomphe enfin des préventions les plus invétérées. Debout parmi tant de ruines, la grande figure de Napoléon resplendit au seuil de l'avenir. Tout ce qu'il avait prédit se vérifie jusque sous nos yeux. Il avait dit que l'abandon et la haine dont il fut victime rouvriraient tôt ou tard le gouffre des révolutions, et nous avons vu ce fléau vengeur désoler l'Europe, châtiant sur les peuples et les rois les fautes de leurs pères ! La France surtout ne s'estelle pas elle-même assez punie de son ingratitude, jusqu'au jour où, livrée à des agitations nouvelles,

entraînée, et traînant après elle le monde épouvanté à d'effroyables abîmes, elle calma soudain la tempête et raffermit sous ses pas la terre en prononçant ce seul mot: NAPOLÉON!

O ma patrie! garde bien, garde à jamais incarné dans ton âme le nom de ce héros, ton plus glorieux symbole, et qui, grand entre tous les hommes, t'avait faite grande entre toutes les nations! Puisse ce talisman conjurer avec la même efficacité de nouveaux orages! Puisse enfin l'avenir que Dieu réserve à la France réaliser quelque chose de cet idéal de la politique du grand empereur, de ce rêve sublime de son génie :

LA PAIX UNIVERSELLE SOUS L'INFLUENCE FRANÇAISE!

FIN.

APPENDICE.

LES SALINES DE WIELICZKA.

(MARS 1813.)

Parmi les distractions auxquelles on s'empressait de se livrer, dans la crainte du lendemain, la plus remarquable fut une visite que je fis aux salines de Wieliczka, avec le comte Stanislas Potocki, président du conseil de la confédération, et plusieurs ministres. Ces salines étaient, comme on sait, possédées en commun par l'Autriche et par le duché de Varsovie... Nous arrivâmes d'abord dans une salle immense, où régnait un double rang de colonnes. A côté de cette salle était une chapelle taillée, ainsi que les statues de saints qui la décoraient, dans la masse de sel qui forme la montagne. Les parties les plus pittoresques de ce vaste abîme avaient été illuminées à l'occasion de notre visite, et tous les travaux étaient en pleine activité... Deux modes d'exploitation étaient employés à la fois, la sape et la mine. Dans quelques endroits on faisait sauter des quartiers de rocher avec la poudre; dans d'autres, c'était le travail plus lent, mais plus régulier, de la hache et de la cognée. L'ouvrier faisait dans le mur deux entailles parallèles hautes de quinze à vingt pieds, sur une largeur de deux pieds à peu près. Il pratiquait ensuite une petite ouverture au point supérieur où les entailles s'arrêtaient; il y mettait un coin de fer qu'il enfonçait avec force, et aussitôt se détachait un bloc de sel en forme de colonne carrée, qui se brisait dans sa chute. Il y a trois qualités de sel: le plus beau et le plus cher est le sel gemme, qui est blanc comme le cristal.

L'intérieur de ces montagnes offre les variétés du monde extérieur. Il a ses plaines, ses escarpements, ses pentes, ses précipices. Lorsque, après avoir marché longtemps déjà, nous voulûmes pénétrer jusqu'au fond

de l'abîme, un chemin étroit, dans lequel une rampe légère nous séparait seule de gouffres effrayants, nous conduisit sur le bord d'un lac que l'on traversait en bateau. Ce monde souterrain avait aussi son firmament: parvenus à cette profondeur, les lumières placées dans les régions supérieures de la mine nous apparaissaient comme des étoiles...

Il était difficile, à l'époque où nous étions, que des idées politiques ne vinssent pas nous poursuivre jusque dans les entrailles de la terre. Une remarque intéressante pour nous fut l'esprit dont était animée la population de ces mines. On pourrait croire que des hommes qui vivent presque sans voir le soleil sont indifférents aux événements qu'il éclaire; il semble qu'ils devraient peu s'inquiéter de ce qui se passe au-dessus de leur tête, des successions de gouvernement qui pèsent sur une surface à laquelle ils sont étrangers, et du changement des possesseurs au profit desquels est vendu le produit de leurs pacifiques exploitations. Mais cette population de la Gallicie autrichienne est une race polonaise; c'est le sang polonais qui coule dans ses veines, elle parle la langue polonaise, elle a le cœur polonais. Elle aime la France, parce qu'elle croit que la France aime la Pologne; et, parmi les souvenirs inouïs qui se rattachent à un homme en qui tout fut inouï, ce n'est peut-être pas un des moins étranges que celui du cri de vive l'empereur Napoléon! retentissant, en 1813, dans les cavernes de Wieliczka, et répété par leurs innombrables échos. (Extrait des Mémoires inédits de M. Bignon.)

L'Autriche a obtenu, au congrès de Vienne, la propriété entière et absolue des mines de Wieliczka.

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