Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Voyons maintenant ce qui se passait aux Quatre- | Bras, et par quelle étrange fatalité le maréchal Ney, croyant faire pour le mieux et remplir même les intentions de l'empereur, allait compromettre gravement les résultats de l'affaire de Ligny, en rappelant intempestivement le premier corps.

Nous avons dit que Ney avait reçu vers onze heures seulement, par le général Flahaut, l'ordre d'enlever les Quatre-Bras et de marcher sur Bruxelles; et que, comptant sur la coopération de d'Erlon, qu'il savait en marche pour le rejoindre, il avait attaqué immédiatement avec son impétuosité ordinaire. La position des Quatre-Bras, qu'il croyait gardée depuis la veille par des forces supérieures, n'était occupée encore en réalité que par la brigade hollandaise de Perponcher. Si l'attaque avait commencé seulement deux heures plus tôt, nos divisions auraient eu le temps de s'établir solidement aux Quatre-Bras, et Ney, pouvant alors résister plus facilement aux attaques de l'ennemi de ce côté, n'aurait pas eu sans doute la fatale idée d'envoyer de nouveaux ordres au commandant du premier corps. Mais le retard forcé de cette attaque avait permis à Wellington de réparer le temps perdu. Au moment même où Perponcher pliait sous l'effort vigoureux des divisions Foy et Bachelu sur Pernimont et la ferme de Germioncourt, la division anglaise de Picton débouchait de Genappe et entrait en ligne à gauche des Quatre-Bras. Peu de temps après, l'arrivée des troupes du prince d'Orange permit à Wellington de fortifier également sa droite, qui occupait le bois de Bossu. L'arrivée de la division hanovrienne d'Alten donna bientôt une supériorité plus accablante encore au général anglais, qui déjà se trouvait assez fort pour exécuter précisément, en sens inverse, le mouvement prescrit à Ney, en se portant par Marbais au secours de Blücher, comme il le lui avait promis. Mais l'impétuosité des attaques de Ney fit complétement illusion à Wellington sur le nombre des assaillants, et, malgré les renforts qui lui arrivaient, il restait encore sur la défensive.

Cependant Ney avait reçu le premier ordre de Napoléon devant Fleurus; celui qui lui prescrivait de pousser vigoureusement tout ce qui se trouverait devant lui, pour se rabattre ensuite sur le corps ennemi réuni à Bry. Ney fait un effort désespéré pour refouler ces masses ennemies, qui grossissent à chaque instant, et devant lesquelles il ne peut se retirer sans danger. Il lance sur la gauche de l'ennemi, à travers le bois de Bossu, sa division de

[merged small][ocr errors]

réserve, celle de Jérôme Bonaparte, plus digne de mémoire pour le courage qu'il montra en ce jour que pour sa royauté éphémère. En même temps nos cuirassiers fondent sur les Quatre-Bras, sabrent un régiment anglais, renversent les hussards du duc de Brunswick, qui tombe mortellement frappé en s'efforçant de les rallier. Cet implacable ennemi de la France ne verra pas la vengeance si longtemps attendue! Mais bientôt notre cavalerie est arrêtée par l'opiniâtre résistance de la division que commande le brave Picton. Respect à ce nom! ce fut celui d'un adversaire digne de nous !!

Cependant le maréchal Ney, malgré la disproportion sensible de ses forces, se maintenait sur toute la ligne du combat, dans le bois de Bossu par Jérôme, sur la route même de Bruxelles devant les Quatre-Bras par Bachelu, sur sa droite, à Pernimont, par Foy. Mais en ce moment l'arrivée d'un nouveau et puissant renfort, la division des gardes anglaises, renforce tellement Wellington qu'enfin il se décide à prendre à son tour l'offensive. Bientôt deux attaques simultanées nous font perdre sans retour le bois de Bossu et Pernimont. Ney vient de recevoir le deuxième ordre de Napoléon, qui attache le salut de la France à l'exécution du mouvement sur Bry. Désespéré des progrès de l'ennemi, des retards du corps de d'Erlon, qu'il ne peut comprendre, il implore à grands cris la mort, trop cruelle pour vouloir de lui en ce jour! Kellermann arrivait avec ses deux régiments de cuirassiers; Ney le précipite sur le centre de l'ennemi. L'élan irrésistible de notre cavalerie la porte en effet, à travers tous les obstacles, jusqu'au milieu des bâtiments de cette ferme des Quatre-Bras, objet d'une lutte si meurtrière; mais abîmée par le feu des réserves ennemies, elle revient en désordre dans nos lignes. Kellermann, démonté ainsi qu'un grand nombre de ses soldats, arrive accroché de chaque main aux mors de deux chevaux de cuirassiers au galop 2.

C'est en ce moment que le général Delcambre, chef d'état-major de d'Erlon, vint apprendre au maréchal le changement de direction du premier corps. Ney, préoccupé surtout, et bien naturellement, des progrès de l'ennemi qui était devant lui, craignant même d'être mis en déroute, envoya à d'Erlon l'ordre positif de ramener immédiatement le premier corps sur les Quatre-Bras. Ce tiraillement d'ordres contradictoires eut les suites les plus fâcheuses.

Le premier corps, dirigé par Labédoyère sur

simule cette blessure pour pouvoir combattre encore, et succombera glorieusement dans la journée du 18. • Récit du colonel Heymès.

Bry, au lieu de suivre l'ancienne chaussée romaine qui l'amenait précisément derrière Blücher, s'était rabattu dans la direction de l'extrême gauche des troupes qui attaquaient les Prussiens, attiré sans doute par la canonnade furieuse qui grondait du côté de Saint-Amand 1. C'était là cette apparition imprévue qui avait si fort effrayé Vandamme. Ici encore la vérité est bien difficile à démêler à travers tant de traditions confuses et contradictoires. Il paraît certain que, depuis son changement de direction, d'Erlon avait déjà été rappelé coup sur coup vers les Quatre-Bras par plusieurs ordonnances du maréchal Ney, et qu'enfin, au moment même où il venait d'apparaître à l'extrême gauche de Vandamme, il reçut un dernier ordre tellement pressant, tellement impératif, qu'il ne crut pouvoir s'y soustraire. Il faut donc que l'aide de camp envoyé à la découverte par Napoléon n'ait pas reçu de son côté l'ordre de diriger sur Bry cette troupe inconnue, si elle se trouvait être française. Cette omission produisit sans doute un effet déplorable, mais ne saurait être imputée comme une faute à Napoléon, puisque Vandamme avait annoncé formellement cette colonne pour ennemie, et que d'ailleurs elle avait dévié de la direction sur Bry qui lui avait été donnée par Labédoyère, déviation que l'empereur ne pouvait deviner 2.

Quoi qu'il en soit, d'Erlon s'empressa d'obéir au dernier ordre du maréchal, jugeant que la nécessité la plus impérieuse pouvait seule l'obliger à contrecarrer un mouvement prescrit par l'empereur. Toutefois, pour concilier autant qu'il était en lui cette double exigence, il laissa la division Durutte près de la chaussée romaine, mais en lui prescrivant d'agir avec une circonspection extrême; car elle pouvait être prise à revers par une colonne anglaise venant des Quatre-Bras au secours des Prussiens. Aussi Durutte, préoccupé surtout de ce qui se passait du côté des Quatre-Bras, et ne rece

■ Jomini.

Le général Durutte dit bien dans sa relation que d'Erlon, rappelé par le maréchal Ney, recevait en même temps de nouvelles instances pour marcher sur Bry; mais le général d'Erlon lui-même n'en parle pas, et il est bien certain qu'il n'aurait pas hésité, au dernier moment, entre l'ordre du maréchal et un ordre direct de Napoléon. La conduite de d'Erlon dans cette affaire est à l'abri de tout reproche. Il suit la direction indiquée dans l'ordre transmis par Labédoyère, malgré les premières ordonnances qui le rappellent, parce que ces ordonnances ont dû être envoyées avant que le maréchal eût connaissance de ce dernier ordre; mais quand le maréchal sous le commandement duquel il est directement placé le rappelle plus impérativement que jamais, après avoir eu connaissance de l'ordre porté par

vant pas d'ordres de Napoléon, resta jusqu'au soir dans une immobilité peu près complète, et ne prit aucune part à la défaite des Prussiens 3.

L'empereur, nous l'avons déjà dit, tenait dans ses mains la victoire, et n'avait attendu jusqu'à la fin de la journée pour tomber avec sa réserve sur Ligny, que pour donner au mouvement sur Bry le temps de s'opérer. A sept heures, secondé ou non, il ne pouvait plus différer cette attaque. D'ailleurs, il venait d'apprendre que le corps signalé à l'extrême gauche était celui de d'Erlon, qui dès lors pouvait se trouver encore à Bry en temps utile. Napoléon donne donc le signal, et sa dernière victoire s'accomplit. Nos réserves, couvertes par les sinuosités du terrain, se rapprochent du quatrième corps engagé à Ligny. Ce mouvement, toutefois, ne peut échapper entièrement à Blücher; car la division Duhesme, portée précédemment vers SaintAmand, a quitté la position où elle était en vue. Le général prussien, qui n'a pas cessé de considérer l'engagement vers sa droite comme l'attaque principale, redouble d'efforts et engage ses dernières réserves pour déborder notre gauche et donner la main aux Anglais, sur lesquels il compte encore. En ce moment même, les grenadiers de la garde fondent sur Ligny d'un élan irrésistible, les grenadiers à cheval et les cuirassiers de Milhaud tournent le village et prennent en flanc l'ennemi. A cette attaque terrible sur son centre, Blücher comprend enfin, mais trop tard, le but de Napoléon. Les carrés prussiens sont enfoncés par notre cavalerie; la garde, menaçante apparition, surgit sur les hauteurs de Ligny. Toujours intrépide au milieu des plus grands désastres, Blücher accourt avec quelques escadrons, qui sont bientôt rompus: luimême, renversé sous son cheval, reste un instant en notre pouvoir, confondu avec les blessés et les morts. Un dernier reflet du jour, qui finit, sur cet uniforme couvert de poussière, sur cette figure

Labédoyère, d'Erion n'a plus qu'à obéir; car Ney assume sur lui toute la responsabilité de cette contradiction.

3 Il paraît que Napoléon, prévenu enfin que le corps signalé par Vandamme comme ennemi était celui de d'Erlon, ne crut pas nécessaire d'envoyer de nouveaux ordres dans cette direction. Les officiers porteurs de ces ordres auraient inévitablement rencontré Durutte, et celui-ci n'en vit aucun. Occupé des mouvements des masses ennemies en face de lui, et de l'attaque sur Ligny, qu'il préparait, il jugea sans doute qu'il y avait quelque inexactitude dans les renseignements de Vandamme, que la colonne de d'Erlon suivait le mouvement prescrit sur Bry et n'avait pas besoin de nouveaux ordres.

martiale si bien connue dans nos rangs, et les destins de la France peuvent changer encore! Mais non! l'obscurité croissante, le dévouement d'un aide de camp, notre mauvaise fortune enfin, ont conspiré pour protéger sa fuite.

Cependant le désastre de l'armée prussienne est affreux; les trois divisions qui défendaient Ligny ont été écrasées; le désordre s'est propagé dans les masses entassées vers Saint-Amand, et des fuyards, se dispersant dans toutes les directions, vont annoncer la destruction de l'armée. Ah! si cette diversion de notre gauche avait pu s'accomplir, cette diversion si instamment sollicitée, si longtemps attendue! alors ce ne serait plus seulement cette armée vaincue, mais qui nous échappe à la nuit tombante, ne laissant en notre pouvoir que des blessés et des morts, ce serait tout le centre et toute la gauche prussienne, c'est-à-dire la moitié de cette armée, cinquante mille hommes enveloppés et réduits à poser les armes, puis les deux autres corps prussiens, Thielmann et Bülow, accablés séparément par notre armée victorieuse, dont un corps entier (le sixième) n'a pas même combattu, et le revers de Waterloo rendu impossible, l'insurrection se développant avec la rapidité de la flamme dans la Belgique et parmi les populations de la rive gauche du Rhin, qui regrettaient déjà, comme elles regrettent encore, de n'être plus françaises ! Disputée pendant six heures avec un acharnement sans égal, la bataille de Ligny nous coûtait au delà de six mille hommes; de son propre aveu, l'ennemi en avait perdu plus de vingt-cinq mille tués, blessés et prisonniers, c'est-à-dire le quart de cette armée. Comme nous l'avons dit déjà, ses divisions, en vue sur des pentes et sur des hauteurs, avaient plus souffert que les nôtres des ravages de l'artillerie.

Il nous reste peu de chose à dire sur cet enchainement déplorable de circonstances, qui, cette fois comme presque toujours depuis 1812, ne nous laissait qu'une gloire stérile, qu'une victoire sans résultats décisifs. Le maréchal Ney n'avait pas assez compté sur lui-même ou sur ses soldats quand il désespéra de pouvoir avec le deuxième corps seul arrêter l'effort des masses de Wellington, qui crut avoir affaire à des forces égales aux siennes, et s'excusa ainsi dans son rapport officiel, de n'avoir pas secouru Blücher comme il l'avait promis. Cette promesse avait failli devenir funeste au général prussien, car elle influa sur l'emploi qu'il fit de ses réserves vers sa droite, vouée à une destruction inévitable si le mouvement sur Bry avait pu s'accomplir. D'Erlon, arraché à cette direction au moment où il pouvait compléter la victoire de Ligny,

n'arriva pas à temps pour prendre part au combat des Quatre-Bras, et Ney avait pu sans son secours se replier en bon ordre sur Frasnes vers la nuit, qui mit fin au combat. Tel était l'effet déplorable à jamais de cette confusion d'ordres, qui avait promené inutilement ce corps d'armée d'une direction à l'autre, faisant repousser Ney aux Quatre-Bras, mutilant à Ligny la victoire de Napoléon. Ainsi les plus héroïques efforts devenaient inutiles ou nuisibles à notre cause la main de Dieu était sur la France!

La conduite du maréchal Ney dans ces premières journées est devenue comme le sujet d'une autre bataille, où l'attaque et la défense ont été également vives et passionnées. L'étude approfondie des documents authentiques a beaucoup atténué la portée des reproches adressés par de graves autorités à ce brave des braves, si célèbre par ses exploits, plus encore peut-être par sa malheureuse fin. Il parait avéré maintenant que les retards du passage de la Sambre et l'organisation si imparfaite de l'étatmajor général et des états-majors partiels avaient exercé sur les premières dispositions une influence, une pression dont Napoléon lui-même n'a pas assez tenu compte dans ses souvenirs. Il paraît certain que l'ordre d'occuper les Quatre-Bras, donné trèsvraisemblablement le 15 au soir, n'avait pas été réitéré dans la nuit ; qu'il ne fut réellement apporté par Flahaut que vers onze heures, retard peut-être inévitable, mais qui eut un résultat bien funeste, car Ney, attaquant plus tôt les Quatre-Bras, encore mal gardés, aurait sans doute enlevé ce poste, s'y serait maintenu plus facilement contre les attaques ultérieures de Wellington, et aurait pu, soit détacher d'Erlon vers Bry par la chaussée de Namur, soit au moins ne pas se croire contraint de le rappeler quand il était déjà trop loin pour revenir à lui en temps utile, et tout proche de la destination si importante que lui assignait Napoléon. Pendant toute la matinée du 16, le mouvement sur Bruxelles avait été la pensée dominante de Napoléon; sa lettre à Ney le prouve surabondamment. La concentration audacieuse et imprévue de Blücher modifia tout à coup son plan; l'attaque des Prussiens, jusque-là secondaire, devenait l'événement principal. Ney ne comprit pas assez vite cette modification capitale; là fut tout son tort, ou plutôt tout son malheur !

O jours néfastes de la France! Angoisses, trahisons, victoires stériles suivies d'affreux revers! Après la douleur d'avoir vu de telles choses et d'y survivre, la plus grande peut-être c'est de les raconter !

CHAPITRE XXXIII.

BATAILLE DE WATERLOO. DEUXIÈME ABDICATION DE NAPOLÉON. CONCLUSION.

Cependant Blücher, qui s'éloigne en frémissant de ce champ de carnage où il laisse vingt mille des siens, Blücher n'a rien perdu de son audace. Il rallie sur Mont-Saint-Guibert les deux divisions si maltraitées dans la bataille, et dirige sur Gembloux la division presque intacte de Thielmann, et celle de Bülow, qui n'a pas combattu. Le lendemain toute cette armée, favorisée par la déplorable lenteur des mouvements de notre aile droite, détachée à sa poursuite, va se replier derrière la Dyle, sur Wavre. Pour la deuxième fois, l'armée prussienne sacrifie sa ligne de retraite sur Namur à l'avantage de se rapprocher de l'armée anglaise.

Pendant ce temps Wellington se concentrait aux Quatre-Bras. Ses communications avec Blücher étaient interrompues depuis la veille au soir, et il n'apprit qu'assez tard dans la matinée la défaite des Prussiens et leur retraite sur Wavre. Cet événement l'obligeait à se retirer lui-même pour ne pas avoir immédiatement sur les bras toute l'armée française victorieuse. Il employa donc la journée du 17 à se replier avec toutes ses forces sur la position de Mont-Saint-Jean, qu'il avait reconnue d'avance avec son exactitude ordinaire. C'était dans cette même position que le prince de Cobourg, vingt et un ans auparavant, avait retardé de quinze jours l'occupation de Bruxelles par l'armée de Jourdan, victorieuse à Fleurus 1. Wellington, comprenant, comme Napoléon, combien il pouvait être désastreux pour la coalition de perdre Bruxelles, était décidé, pour prévenir un tel événement, d'accepter la bataille dans sa nouvelle position, si Blucher se trouvait en mesure d'y concourir. Blücher ne laissa pas longtemps son allié dans l'incertitude.

[ocr errors][merged small]

Dès le 17 au matin il lui demandait seulement le temps de nourrir et d'approvisionner les troupes, et un peu plus tard il s'engageait à arriver à son secours dès le lendemain avec toute l'armée prussienne.

Cependant nos soldats victorieux avaient bivaqué sur le champ de bataille. On a reproché à Napoléon de n'avoir pas lancé, cette nuit-là même, sa cavalerie à la poursuite de l'ennemi, comme l'ont fait les Prussiens eux-mêmes quarante-huit heures plus tard, avec un immense succès. On oublie que presque toute notre cavalerie avait été engagée dans la bataille du 16, tandis que la cavalerie prussienne ne devait prendre aucune part à celle du 18. D'ailleurs, une poursuite de nuit n'est utile ni même possible que par un temps serein; celle qui suivit Waterloo ne fut que trop favorisée par un beau clair de lune, tandis que pendant toute la nuit et la matinée du 17 la pluie n'avait cessé de tomber par torrents. De même qu'en Russie, nous avions contre nous les éléments.

Le mauvais temps eut sans doute aussi quelque part à la lenteur inaccoutumée des ordres de mouvement de la matinée. Parmi les diverses préoccupations qui ont pu influer sur cette inaction, nous devons mentionner toutefois les soins paternels donnés par l'empereur aux victimes de la guerre, les secours distribués par ses ordres aux blessés des deux nations, «< qui en avaient d'autant plus besoin que les ambulances n'avaient pu suivre les armées dans les marches forcées qu'elles avaient faites 2. » Un retard causé par de tels soins mérite peut-être quelque indulgence.

"

Quoi qu'il en soit, Napoléon avait, de grand

de Sambre-et-Meuse, était aussi de cette reconnaissance. L'avis unanime fut de différer l'attaque sur une position aussi forte.

Jomini, 185. Je retrouve partout des traces de cette honorable sollicitude de l'empereur. Dans une dépêche adressée à Ney, le 17 au matin, il lui recommande spécialement de s'assurer que tous les blessés sont

matin, envoyé sur la route de Namur de la cavalerie et une des divisions intactes du sixième corps, tandis qu'il poussait sur sa gauche des reconnaissances vers les Quatre-Bras. Le général Flahaut fut renvoyé auprès du maréchal Ney, dont l'empereur était inquiet et mécontent. Flahaut trouva le maréchal dans une disposition d'esprit à peu près pareille. Il parait qu'une première dépêche du major-général annonçant la victoire n'était pas parvenue, et d'ailleurs Ney avait été vivement affecté de ce qui s'était passé à l'égard du premier corps 1. Il était encore à Frasnes, et, loin de croire que l'armée anglaise songeât à évacuer les Quatre-Bras, il s'attendait à être lui-même attaqué. Une dépêche pressante du major-général suivit de près le retour de Flahaut. Elle donnait au maréchal Ney quelques détails sur la victoire de Ligny, qu'il semblait ignorer, et réitérait l'ordre d'attaquer les QuatreBras et d'y prendre position, si ce poste n'était plus occupé que par une arrière-garde ennemie, et dans le cas contraire de prévenir de suite l'empereur,

pansés et transportés sur les derrières; il ajoute qu'on s'est plaint que les ambulances n'avaient pas fait leur devoir, etc. »

Dans la journée du 16, un sergent-major de la jeune garde, grièvement blessé d'un coup de feu, s'éloignait péniblement du champ de bataille. Il rencontre dans un chemin creux l'empereur accompagné du chirurgien en chef Larrey. Celui-ci, sur l'ordre de Napoléon, met sur-le-champ pied à terre, fait asseoir le blessé sur le revers du chemin, sonde la plaie et pose le premier appareil. L'empereur, immobile, suit les détails de ce pansement, et ne s'éloigne qu'en voyant le blessé assez soulagé pour se remettre en route.

Nous tenons cette anecdote du blessé lui-même, actuellement chef de bataillon en retraite.

'Le maréchal pensait (sa lettre du 26 juin 1815 au duc d'Otrante en fait foi) que l'empereur aurait obtenu la veille de plus grands résultats en contenant seulement les Prussiens par sa droite, et tombant sur Wellington aux Quatre-Bras avec le gros de ses forces.

Cette même dépêche contenait quelques mots de blâme sur les opérations de Ney dans sa journée de la veille, dont l'insuccès tenait surtout à ce qu'il n'avait pas réuni assez promptement les deux corps d'armée. « Si les corps de d'Erlon et de Reille avaient été ensemble, il ne s'échappait pas un Anglais. Si le comte d'Erlon avait exécuté le mouvement sur Saint-Amand, que l'empereur a prescrit, l'armée prussienne était totalement détruite, et nous aurions fait peut-être trente mille prisonniers. »> Il y a là deux reproches distincts, l'un « de n'avoir pas concentré, au moment de l'attaque, ses sept divisions en moins d'une lieue de terrain, » En effet, si Ney avait donné tête baissée sur les Quatre-Bras avec toute l'aile gauche vers midi, il aurait certainement culbuté l'ennemi, qu'il avait en face de lui, puis, se rabattant sur Bry par Marbais, il aurait exactement accompli les premières prescriptions de l'empereur. Ce premier résul

pour combiner une attaque par les deux routes de Namur et de Bruxelles 2.

Napoléon, vainqueur à Ligny, revenait naturellement à la pensée de marcher sur Bruxelles, et par conséquent de diriger ses principales opérations sur les forces de Wellington encore presque intactes. Cependant la prudence exigeait qu'il tint compte des restes de l'armée prussienne. Pour prendre encore une part active aux événements ultérieurs, Blücher avait à choisir entre deux alternatives; il pouvait, comme il le fit, aller se joindre à l'armée anglaise; il pouvait encore se rallier sous Namur, marcher de nouveau sur Sombref et Fleurus, et prendre ainsi à revers l'armée française engagée contre Wellington. Cette dernière hypothèse paraissait. le 17 au matin, la plus probable à l'empereur, si ce qu'affirme M. de Grouchy est vrai, qu'il reçut alors l'ordre verbal de diriger la poursuite sur Namur et la Meuse 3.

Nous avons eu déjà l'occasion de remarquer que depuis 1812 l'empereur avait paru manquer dans

tat n'ayant pu être obtenu par suite du morcellement de ses troupes, il aurait dû au moins ne pas contrecarrer l'ordre transmis directement au comte d'Erlon par Labédoyère; c'est là le second reproche que l'empereur fait à Ney, et ce reproche n'a rien de contradictoire avec le premier, quoi qu'en aient dit les défenscurs de Ney; car les deux premiers adressés à Ney pour se rabattre sur Bry par Marbais ne pouvaient plus être exécutés à temps quand Labédoyère dirigea sur Bry le premier corps resté en arrière vers Frasnes.

3 La relation de Sainte-Hélène affirme que l'empereur recommanda à Grouchy de suivre les Prussiens sans les perdre de vue, et de se tenir constamment entre leur armée et la route de Bruxelles, que le gros de notre armée allait suivre. Ainsi que le fait très-justement observer Jomini, cet ordre était tellement conforme au système des lignes intérieures, système auquel Napoléon avait dû une grande partie de ses victoires, qu'on ne saurait guère révoquer en doute qu'il l'ait effectivement donné. Mais ce même écrivain nous paraît dans l'erreur quand il reproche à Napoléon de n'avoir pas dirigé Grouchy vers la vallée de la Dyle dès le 17 an matin, par Mont-Saint-Guibert et Moustier, pour couvrir son flanc droit contre les Prussiens qui se retiraient sur Wavre. Au moment où Napoléon donnait à Grouchy son premier ordre verbal, aucun rapport n'avait donné la certitude que les Prussiens se retiraient sur Wavre plutôt que sur Namur; on savait tout au plus que les Prussiens étaient en force à Gembloux, position plus rapprochée de Namur que de Wavre. Or, il suffit d'un coup d'œil jeté sur la carte pour voir qu'en dirigeant l'aile droite française sur la Dyle dès le 17 au matin on empêchait bien Blücher d'opérer sa jonction avec Wellington, mais qu'en revanche on lui laissait le champ libre pour prendre l'armée française à revers en marchant de nouveau sur Sombref.

« ZurückWeiter »