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l'attention de Napoléon à l'île d'Elbe. L'ensemble des résolutions iniques et imprudentes qui décidaient du sort de la Norwége, de la Belgique, du nord de l'Italie; qui, au commencement de 1815, menaçaient la Saxe, la Pologne et Naples, contestaient à la Bavière des indemnités antérieurement promises, ajournaient ou refusaient la plupart des améliorations politiques et sociales pour lesquelles la nation allemande avait combattu, morcelaient enfin les populations au gré du caprice et de l'intérêt des grandes puissances; cet ensemble, dis-je, présentait à l'empereur de précieux éléments de succès, et suffirait peut-être pour excuser son entreprise aux yeux de la postérité impartiale, si cette entreprise n'était surabondamment justifiée par la violation flagrante du traité de Fontainebleau, condition essentielle de son abdication, et surtout par la conduite du gouvernement français.

Ici nous abordons un ordre de faits tombés depuis longtemps déjà dans le domaine de l'histoire, et qu'il nous suffira de résumer rapidement. On sait que le gouvernement des Bourbons, après s'être empressé de ratifier le traité de Fontainebleau, qui le débarrassait du voisinage dangereux de Napoléon, s'était cru dispensé par les circonstances de tenir ses engagements; les alliés ne se montraient pas plus scrupuleux. L'empereur ne put rien toucher ni du capital qu'il se réservait d'employer en gratifications (art. 9), ni des deux millions de rentes sur l'État, garantis par l'art. 3; toutes ses réclamations furent vaines, même celles relatives à ses effets personnels, à des portraits de famille placés dans les châteaux royaux, à ses manuscrits sur les campagnes d'Italie et d'Égypte 1. L'article 6 sauvegardait les biens des princes de la famille impériale et leur assurait des dotations : cette double condition fut outrageusement violée. Le gouvernement autrichien se dispensa également du payement des obligations du Mont-Napoléon de Milan (art. 15). Et ce n'étaient là encore que les moindres griefs dont l'empereur pouvait se prévaloir pour se considérer comme délié de ses engagements. L'arti

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cle 3 du traité assurait à l'impératrice les duchés de Parme. Plaisance et Guastalla, réversibles à son fils. Cette disposition était attaquée avec acharnement à Vienne par les plénipotentiaires de France et d'Espagne. Le fils de Napoléon était privé, grâce aux bons offices du prince de Bénévent, du droit de réversibilité stipulé à Fontainebeau et ratifié par le prince de Bénévent lui-même, et Marie-Louise n'obtenait la souveraineté temporaire de Parme que sous la condition de laisser son fils en otage à Vienne, de s'interdire toute correspondance avec Napoléon, enfin de livrer toutes ses lettres à l'examen inquisitorial des souverains alliés !!

En partant pour l'île d'Elbe, Napoléon avait le droit de compter sur une réunion prochaine à son fils et à sa femme; cette consolation lui avait été bientôt ravie. Il subissait tous les tourments d'une séparation imprévue et complète. Cette séparation était déjà concertée lors des négociations de Fontainebleau, et depuis on n'avait reculé devant aucun moyen pour la rendre irrévocable, pas même devant celui que l'histoire ose à peine laisser soupçonner 2. Outragé dans sa famille plus indignement encore qu'il ne le croyait, l'empereur voyait enfin sa propre sécurité menacée. Avant même que sa résolution fut prise de quitter l'île d'Elbe, il savait que le gouvernement français avait proposé plusieurs fois, à Londres et à Vienne, de le faire enlever par force ou par ruse, ou du moins de mettre une garnison de troupes étrangères dans l'île et d'en interdire l'accès aux soldats français. Cette considération seule ne dégageait-elle pas Napoléon de ses serments? Était il si coupable de quitter une résidence dont la perfidie avérée de ses ennemis pouvait d'un jour à l'autre faire une prison? Y avaiti enfin pour Napoléon quittant l'île d'Elbe une autre route à suivre que celle de Paris 3?

Pour compléter l'apologie de cette entreprise trop célèbre, il nous faudrait décrire la situation intérieure de la France à cette époque. Mais cette situation ayant été, en réalité, le motif principal de Napoléon, nous croyons devoir en remettre les détails au chapitre suivant.

s'efforcer de faire repentir l'empereur de sa résignation en faisant tout pour le blesser et froisser ses intérêts particuliers et ceux de sa famille, et en même temps on compromettait le repos de la France et on tyrannisait l'Europe.

Voyez les Souvenirs de M. Meneval.

3 Nous laissons de côté les projets d'attentat contre la vie de Napoléon, projets qui ne nous ont pas paru suffisamment avérés.

CHAPITRE XXVIII.

RETOUR DE L'ILE D'ELBE.

Paroles de Napoléon sur son retour.- Situation et fautes du nouveau gouvernement.-État de l'opinion publique et des partis. — Complots militaires.

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France. Instructions envoyées à Murat.

Résumé des considérations qui décident Napoléon à revenir en Départ et débarquement. Marche de Napoléon en Dauphiné. Rencontre décisive de Vizille. Alarmes et fausses mesures des Bourbons. Entrée de Napoléon à Lyon. Arrivée de Napoléon à Paris. Réflexions sur le retour de l'ile d'Elbe.

Fuite de Louis XVIII.

L'empereur Napoléon a marqué lui-même à l'histoire le moment où il prit la résolution de quitter l'île d'Elbe. « Je suis venu, disait-il à Benjamin « Constant; je suis venu tenant en main les jour«naux de Paris et le discours de M. Ferrand. Lors« que j'ai vu ce qu'on écrivait sur l'armée et sur << les biens nationaux, sur la ligne droite et sur la ligne courbe, je me suis dit: La France est à « moi. » Il a constamment tenu ce langage à SainteHélène comme en France, et les investigations les plus scrupuleuses en ont démontré la véracité.

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Nous n'avons pas à écrire l'histoire de la première restauration. Laissant à d'autres le facile courage d'insulter aux puissances tombées, nous nous bornerons à résumer brièvement la situation de la France lors du retour de l'île d'Elbe; et si nous ne pouvons nous dispenser d'évoquer le souvenir des fautes des Bourbons, nous le ferons sans insulte et sans colère.

L'affaissement moral d'une partie de la nation avait, comme nous l'avons vu, influé d'une manière décisive sur les événements de 1814. Les mêmes dispositions qui avaient facilité le retour des Bourbons pouvaient contribuer à les affermir sur le trône. La situation au moment de la confection de la charte et de la signature du traité de Paris présentait au nouveau souverain des points d'appui contre tous les partis. L'armée, affligée et défiante, pouvait être gagnée par des ménagements, des égards d'ailleurs bien mérités. Puisqu'on avait le malheur d'arriver étranger, sinon hostile à ses succès, il fallait du moins savoir se familiariser à temps avec tous ses souvenirs de gloire, les res

pecter jusque dans celui dont le nom s'y trouvait fatalement et inséparablement uni. Cette conduite prudente et toute française eût développé indubitablement dans l'esprit du soldat des sympathies nouvelles, calmé l'amertume et fait disparaître le danger des anciens regrets. Tout pouvait profiter aux Bourbons; tout, jusqu'aux erreurs de l'opinion publique. La haine, peut-être mal raisonnée, du despotisme impérial leur ralliait les classes moyennes; le retour de la paix, et de la prospérité matėrielle qui en était la suite nécessaire, et, plus que tout cela, le développement des intentions libérales du nouveau monarque, énoncées dans la déclaration de Saint-Ouen, tendaient naturellement à faire naître partout l'affection, la confiance, et atténuaient même dans les âmes les plus généreuses les fâcheux souvenirs de l'invasion. Les partisans les plus dévoués de Napoléon étaient encore atterrés par la catastrophe qui l'avait précipité du trône; et si quelques-uns, plus ardents ou plus clairvoyants, osaient déjà espérer le retour de l'empereur, leurs prévisions pouvaient être facilement déjouées; enfin l'antipathie profonde qui les séparait du parti patriote était une garantie de plus pour la position mitoyenne des Bourbons. Pour conserver et développer ces éléments divers de stabilité et de durée, il ne fallait qu'une chose, l'exécution loyale de la nouvelle charte.

Sans doute il eût été en réalité plus légitime, il eût été plus sage aussi, même au point de vue des royalistes dévoués mais encore raisonnables, de soumettre la charte à la discussion de la chambre des députés et du sénat, et à l'acceptation du

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peuple français. Il eût été prudent de ne pas la qualifier, dans un préambule d'ailleurs absurde et faux, d'ordonnance de réformation octroyée, qualification qui semblait faire pressentir une révocation possible. Il eût été nécessaire, nous l'avons déjà dit, de conserver la cocarde tricolore, et d'adopter ainsi toute la partie salutaire et glorieuse de la révolution. Il eut mieux valu, en un mot, comme l'a dit Napoléon lui-même à l'île d'Elbe, et comme les événements de 1850 l'ont prouvé surabondamment, « régner comme chef d'une cin<< quième dynastie, et non comme continuant la troisième; régner par l'effet d'un nouveau et << libre contrat avec la nation; s'appeler, non pas « roi de France et de Navarre, mais roi des Français; ne pas dater de l'an dix-neuvième de son règne, mais de l'an premier; ne pas donner enfin « la charte comme un édit, mais la négocier comme « un traité. » Mais, après tout, une grande partie de la nation, lasse d'agitations et de guerres, était disposée à se contenter même de la charte octroyée; à jouir du bienfait, qu'il fût l'œuvre de la volonté du souverain ou le résultat d'un contrat politique ; à tolérer enfin quelque retour vers des formes du passé, qui n'auraient pas préjudicié essentiellement aux idées et aux intérêts nouveaux.

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L'une des grandes erreurs des Bourbons, erreur dont la catastrophe même de 1815 n'a pu les guérir, fut de croire à l'existence d'un parti puissant, nombreux, qui n'aurait cessé de désirer leur retour et d'y travailler efficacement. Cette erreur était peut-être excusable en quelque chose. Il était flatteur pour l'amour-propre dynastique de rattacher à peu près exclusivement la restauration aux intrigues des comités royalistes, au mouvement de Bordeaux, à la manifestation du 31 mars. Pour être parfaitement juste et impartial dans l'appréciation des événements de cette époque, il faut bien dire que ces illusions sur la force et la consistance du parti royaliste pouvaient sembler moins humiliantes même pour la France que la triste réalité, et qu'elles auraient pu être consacrées par

' Pour être complétement impartial au sujet de cette loi, il est juste d'ajouter qu'elle ne fut jamais présentée comme disposition organique, puisque le préambule en promettait la révision dans le délai de trois ans. Effrayé des clameurs qui s'élevèrent de toutes parts, le ministère limita d'abord la censure aux écrits de moins de vingt feuilles, puis l'effet de la loi elle-même à la fin de la session de 1816.

La pensée même de cette loi et la rédaction de l'exposé des motifs étaient l'œuvre d'un jeune rédacteur des Débats, devenu secrétaire général du ministère de l'intérieur. C'était M. Guizot.

'Dans ces premiers moments où la possibilité de faire

l'histoire même, si les Bourbons avaient su régner, et justifier même imparfaitement la confiance publique, qui, malgré les premières fautes du comte d'Artois, semblait encore s'attacher à eux.

Mais cette confiance dut bientôt s'évanouir; chaque jour fut marqué par une faute nouvelle. Faire table rase des œuvres et des hommes de la révolution, renouer, comme on disait, la chaîne des temps, interrompue par de funestes écarts, c'est-àdire reconstituer ou plutôt parodier l'ancien régime, tel fut dès le principe le but ostensible et à peu près avoué vers lequel marchèrent et les ministres de Louis XVIII et les princes de sa maison, dont aucune loi ne limitait l'intervention dans les affaires de l'État. Moins aveuglé que son frère et ses neveux sur la situation des esprits et sur les forces réelles des royalistes ultras, Louis XVIII cédait luimême à l'entraînement des anciens souvenirs, et n'opposait qu'une faible et molle résistance aux funestes tendances de sa famille et de son ministre favori, M. de Blacas.

La charte, à peine promulguée, fut violée dans ses principes les plus essentiels. Elle garantissait la liberté des cultes, et dès le 7 juin une ordonnance fameuse interdisait le travail du dimanche. Elle donnait la liberté de la presse, et la première loi proposée par le ministère rétablissait la censure 1. Elle promettait la tolérance et l'oubli du passé, et chaque jour les hommes et les œuvres de la révolution étaient insultés dans des écrits dont le gouvernement, grâce à la censure, semblait assumer toute la responsabilité. L'irritation et la défiance publiques furent portées au comble quand on vit un ministre d'État, M. Ferrand, confirmer dans un discours officiel, et comme au nom du roi luimême, toutes les appréhensions que les hommes qui se proclamaient les plus dévoués au nouveau régime entretenaient avec un aveugle et coupable emportement dans la classe si nombreuse des acquéreurs de biens nationaux 2.

Quatre mois après le retour des Bourbons, le mal était déjà presque irréparable. Tous les efforts tentés

le bien se laisse enfin entrevoir, il faut encore s'astreindre à ne le faire qu'avec une extrême prudence. A force de malheurs et d'agitation, tous se retrouvent au même point, tous y sont arrivés, les uns en suivant la ligne droite sans jamais en dévier, les autres après avoir parcouru plus ou moins les phases révolutionnaires au milieu desquelles ils se sont trouvés. La loi que nous vous apportons reconnaît un droit de propriété qui existait toujours; elle en légalise la réintégration. Il est permis de croire qu'un jour viendra où l'état heureux des finances diminuera successivement les pénibles exceptions commandées par les circonstances actuelles. Vous trouverez toujours le roi prêt à saisir toutes les

pour restaurer la France avaient contribué à déconsidérer le nouveau gouvernement. L'opinion publique, qu'il eût fallu se hâter de satisfaire par la présentation des lois organiques et complémentaires de la charte, n'était occupée que des actes inconstitutionnels du pouvoir, de la résistance qu'il rencontrait déjà au sein des chambres, et des tendances contre-révolutionnaires qui se produisaient chaque jour avec plus de véhémence et d'audace. L'armée enfin, pour laquelle le simple bon sens réclamait des ménagements de toute espèce; l'armée, couverte encore du sang de nos ennemis et du sien, subissait d'indignes outrages; il semblait qu'on voulût flétrir en elle non-seulement la personne et le règne de l'empereur, mais toute la ré volution, toute la France nouvelle. Dominés par une influence irrésistible et funeste, les deux ministres qui se succédèrent au département de la guerre semblaient rivaliser d'ordonnances et de décisions d'un effet déplorable 1. On avait conservé la garde impériale, sous le nom de corps royal des grenadiers, chasseurs, dragons, etc., de France. Bien que Napoléon eùt manifesté à Fontainebleau un sentiment contraire dans l'intérêt même des Bourbons 2, on avait craint sans doute de blesser toute l'armée par la dissolution de ce corps d'élite; mais alors au moins il n'aurait pas fallu le froisser tout à la fois dans ses intérêts et dans son honneur, en réduisant sa solde d'un tiers, et le confinant comme en surveillance dans les garnisons de Metz et de Nancy. L'armée elle-même subissait, sous prétexte d'économie, une réduction énorme, dont le but véritable semblait plutôt de rassurer à force d'humiliation et d'affaiblissement les puissances étrangères, dans le temps même où celles-ci convenaient à Londres de maintenir leurs troupes sur le pied de guerre! Et tandis que ces mesures, non moins imprudentes que honteuses, peuplaient les villes et les campagnes d'officiers en demi-solde mécontents, tandis qu'on s'étudiait à économiser sur la nourriture, l'entretien, l'habillement des soldats, que l'on grossissait les états-majors d'officiers qui n'avaient d'autres titres que leur noblesse, ou des services parfois même douteux dans les rangs des chouans ou de l'armée de Condé, d'autres or

occasions, tous les moyens de restaurer la France entière, etc.

Le mot fameux, la ligne droite et la ligne courbe, est généralement attribué à Louis XVIII lui-même. Jamais bon mot n'a coûté plus cher à un monarque.

'Le nom seul du premier de ces ministres, le général Dupont, était déjà une insulte pour l'armée. Le système était de combler indistinctement de faveurs tous les militaires qui avaient été, à tort ou à raison, maltraités par le système impérial.

donnances rétablissaient successivement les gardes du corps (25 mai), les chevau-légers et les mousquetaires (13 juin), les gardes de la porte (15 juillet). La nouvelle génération militaire, datant à peu près exclusivement de 1792. n'avait guère conservé de l'ancien régime militaire qu'un seul souvenir, celui de l'inaptitude des classes inférieures aux dignités guerrières; et c'était précisément cette inaptitude qu'on semblait vouloir faire revivre indirectement par la création de corps privilégiés. La réorganisation des Cent-Suisses fut une faute plus grave encore: elle sembla une protestation directe et menaçante contre la révolution. La charte ayant sauvegardé la Légion d'honneur, on fit tout du moins pour déconsidérer cette noble institution, qui avait le tort irrémissible de dater du régime impérial. Les princes, les ministres la jetaient à pleines mains; on en avait nommé grand chancelier l'abbé de Pradt! La folie de la réaction était poussée à tel point qu'il fallait parfois reculer devant l'opinion publique en révolte, et ajouter ainsi la faiblesse à la mauvaise volonté. C'est ce qui arriva notamment pour les ordonnances relatives à la suppression des écoles militaires, des lycées, des maisons d'orphelines de la Légion d'honneur.

Tant de fautes et d'imprudences accumulées devaient bientôt tourner contre leurs auteurs. Si lasse que fût la France de guerres et de bouleversements, elle ne pouvait fléchir ainsi sous un pouvoir débile et insensé, qui, n'existant que par sa transaction mème avec l'esprit de la révolution, semblait renier cette transaction et s'appuyer exclusivement sur une coterie d'hommes à idées rétrogrades, hardis seulement à injurier un passé qu'ils n'avaient su ni conjurer ni même combattre. Dès le mois de septembre, tout s'apprêtait pour une révolution; chaque jour de nouveaux incidents venaient accroître le mécontentement public et le discrédit du gouvernement. La malveillance née de ses fautes chercha et trouva partout des armes. Tout prit une portée significative et funeste, tout contribua à grossir l'orage, et les prétentions insolentes et ridicules de quelques vieux nobles à faire revivre certains priviléges abolis dans la fameuse nuit du 4 août 1789, et les écrits et prédications dirigés

La coterie de l'ancien régime dominait ce ministère par M. de Bruges, royaliste convaincu et dévoué, mais qui ne connaissait plus la France ni l'esprit nouveau de l'armée.

Il pensait que Louis XVIII ne pouvait mieux faire que de dissoudre ces corps, de donner de l'avancement immédiat dans la ligne à ceux qui voudraient encore servir, et de fortes retraites aux autres. Cette idée était bien d'une âme stoïque, et sans arrière-pensée de retour!

contre les détenteurs des biens du clergé ou de la noblesse, et l'imprudente souscription de Quiberon, et la cérémonie expiatoire du 21 janvier. La majorité de la nation ne vit dans ces manifestations imprudentes qu'un soufflet de plus donné à la révolution tout entière. L'opinion s'émut non moins vivement des témoignages de reconnaissance donnés publiquement à la famille de George Cadoudal; on s'affligea, on s'indigna en voyant le pouvoir nouveau évoquer gratuitement ce souvenir au moins peu honorable, et se faire honneur officiellement d'un pareil dévouement 1! La réprobation du système de rigueur et de défiance adopté envers l'armée éclata dans toute sa force lors de l'affaire du général Excelmans 2. Enfin des incidents tout à fait secondaires empruntaient à la situation un caractère d'extrême gravité. Une émeute survenue à l'occasion des funérailles d'une actrice célèbre 3, à laquelle on refusait les honneurs ecclésiastiques, prit soudain les proportions d'un mouvement révolutionnaire; l'indignation publique, pareille aux feux mal comprimés d'un volcan, se faisait jour par toutes les issues. Le Nain jaune et ses spirituelles caricatures obtenaient un succès de vogue; l'arme du ridicule, si puissante en France, faisait aux Bourbons des blessures incurables. Les partis, qu'on aurait pu concilier ou éteindre, eurent bientôt repris toute leur activité, toute leur consistance. On conspirait en plein soleil, ou plutôt on proclamait tout haut qu'une révolution nouvelle était au moins probable, et chacun songeait à pourvoir au destin de la France suivant ses affections et ses intérêts. Les uns voulaient encore se fier à la sagesse et aux intentions personnelles du roi, et espéraient réconcilier la coterie dominante avec la charte 4. D'autres songeaient au duc d'Orléans. Pourtant ce

« Voulant récompenser la fidélité et le dévouement à notre personne de feu George Cadoudal, et donner à sa famille un témoignage durable de nos sentiments, nous avons décoré et décorons le sieur Joseph Cadoudal, son père, du titre et de la qualité de noble, pour jouir à perpétuité, lui et ses descendants en ligne directe, des droits, honneurs et prérogatives attachés à ce titre. » (Ordonnance du 12 octobre 1814.) La fin de cette or. donnance trahit toute l'infatuation des idées de l'ancien régime, qui prédominaient alors dans les conseils du roi. Les titres n'étaient plus qu'honorifiques; il ne devait plus être question de droits ni de priviléges. De fort honnêtes gens, il est vrai, comptaient bien qu'on reviendrait là-dessus.

Le bruit avait couru un moment, vers le mois de novembre, que les affaires de Murat prenaient une bonne tournure à Vienne. Excelmans, son ancien aide de camp, lui écrivit un peu légèrement pour l'en féliciter. Quelques expressions de cette lettre, qui fut interceptée, trahissaient le mécontentement alors universel

prince, dont la position exceptionnelle fixait dès lors les regards, se refusait formellement à toutes les ouvertures qui lui étaient faites. Enfin le rappel du roi de Rome et de sa mère, le retour même de Napoléon eurent leurs partisans.

Ce serait une tâche ingrate et au moins inutile que de rechercher quel travail se faisait alors dans la pensée des principaux hommes politiques; à quelle époque chacun d'eux commença à désespérer de la durée du nouvel ordre de choses, à préférer telle ou telle solution d'une catastrophe devenue inévitable. Au milieu de ce conflit d'intrigues, un homme dont le nom est resté entouré d'une sorte de célébrité sinistre, le duc d'Otrante, conservait une influence réelle. L'attitude de ce personnage est quelque chose d'inouï dans les annales modernes. Il a possédé, dans toute sa plénitude, l'empire qu'on peut acquérir sur les hommes par leurs mauvaises passions. Lui seul marchait et manoeuvrait à l'aise sur ce terrain mouvant où l'imprudence des Bourbons plaçait la France. Maître de tous les secrets, ayant partout des ramifications et des correspondances sùres, Fouché était chez lui partout où l'on s'occupait d'affaires publiques et de trames secrètes. Personne ne l'estimait ni ne l'aimait, et tout le monde jugeait impossible ou dangereux de se passer de lui. Louis XVIII lui-même subit le prestige qui entourait le conventionnel, le régicide Fouché; vers le commencement de septembre, il le fit consulter par M. de Blacas, sur la situation de la France et sur les moyens de fortifier le gouvernement. Le duc d'Otrante, fidèle à son système de s'entendre avec tout le monde, accepta cette conférence; il donna au favori du roi de sages conseils, dont il prévoyait d'avance l'inutilité 5.

Les partis qui divisaient la France à l'époque du

dans l'armée; ce fut le prétexte de mesures de rigueur qui firent du tort au gouvernement. Excelmans, traduit devant un conseil de guerre, fut acquitté à l'unanimité.

3 Mademoiselle Raucourt. Les portes de l'église SaintRoch avaient été forcées; Talma était en chaire, prononçant l'oraison funèbre de la défunte, quand arriva l'un des aumôniers du château, envoyé par le roi luimême. On parlait déjà de marcher sur les Tuileries.

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4 Tel était M. de Chateaubriand, qui fit entendre en vain d'éloquentes et sages paroles. Approuvé formellement par le roi, il fut injurié par les écrivains ultras. 5 Fouché dit à M. de Blacas : Je crois la révolution un fait indestructible; si vous voulez lutter avec elle, vous serez brisés. Il faut que la nation soit persuadée que le roi adopte la révolution; c'est pourquoi la première, la plus grande faute, c'est d'avoir substitué une couleur noble sans doute, mais étrangère parmi nous depuis trente ans, au drapeau national. C'était pour le roi le même sacrifice que la messe pour Henri IV. On

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