vance à son plénipotentiaire, afin que sa présence | sûrement l'Angleterre ne prétend pas avoir sur la à Vienne restat purement nominale et honorifique. La France aurait pu du moins s'attendre à trouver, dans la restitution à peu près complète de ses colonies, une compensation à de si cruels sacrifices. Dans la pensée de M. de Talleyrand, « il importait moins, en effet, de garder sur le continent que de recouvrer au delà des mers 1. Sous l'ancien régime, la France avait à peine assez de colonies. La plus considérable de toutes ayant éprouvé des révolutions qui peut-être rendaient impossible son retour à son état ancien 2, il n'en était que plus nécessaire que toutes les autres nous fussent rendues. Les plénipotentiaires anglais à Châtillon avaient fait entendre qu'on restituerait sans difficulté la Guade loupe et la Guyane, et qu'il ne serait plus question de prohiber la traite des noirs 3. M. de Talleyrand montra sur ce point une vivacité qui, après tout, lui fait honneur. « L'Angleterre, écrivait-il à lord Castlereagh, ne voudra pas sans doute imposer au roi de France de pires conditions qu'elle ne l'eut fait à celui contre lequel l'Europe entière s'était armée à Châtillon il a été déclaré que cette question ne serait point un obstacle à la paix. Des stipulations de cette nature supposent, entre celui qui les demande et ceux pour qui on les demande, des rapports qui le constituent leur protecteur naturel et reconnu, ce qui n'existe pas entre l'Angleterre et les populations noires; ou à celui qui les impose sur celui qui les subit, un genre d'empire que 'Le passage suivant, emprunté au mémoire de M. de la Besnardière, montre combien les chefs du nouveau gouvernement étaient encore novices en économie politique. Pour justifier même par des considérations tout à fait pacifiques la nécessité d'une puissance coloniale pour la France, ils s'exprimaient ainsi : . Tout en France favorise depuis vingt ans la division des propriétés. Cette division favorise à son tour la population et en amène facilement l'excès; cet excès est un des plus grands maux qu'un État ait à craindre. Les guerres extérieures ou les commotions intestines en sont l'inévitable suite; si l'on n'a pas pris soin, ou si l'on n'a pas eu les moyens de le prévenir, en procurant à la population surabondante celui de se porter au dehors par la navigation, le commerce et les établissements lointains. » Ces considérations ont influé visiblement, pendant la restauration, sur les projets de conquête de l'Algérie. L'un des grands économistes de notre époque, M. II. Passy, a pleinement fait justice de ces craintes exagérées sur la promptitude et le danger du morcellement des propriétés en France, dans son savant ouvrage : De l'influence du système des cultures sur l'économie sociale. Le nombre des cotes foncières, dans lesquelles il faut comprendre encore les propriétés bâties, ne s'est accru en France que d'un peu plus de 14 p. o/%, de 1815 à 1842, tandis que dans le même espace de temps notre France 4. » Toutes les représentations de M. de Talleyrand furent inutiles: Castlereagh fut inébranlable dans ses prétentions; et le négociateur français ne fut pas secondé dans sa résistance, comme il l'avait espéré 5. Il fut obligé de signer l'engagement de concourir, avec S. M. Britannique, à faire prononcer au futur congrès l'abolition de la traite, laquelle devait cesser définitivement, et dans tous les cas, de la part de la France, dans un délai de cinq années 6. » M. de Talleyrand ne fut pas plus heureux en ce qui concernait la restitution intégrale de nos colonies. Dès le début des conférences, l'Angleterre avait manifesté la volonté « de garder les îles de France et de Bourbon 7, et de ne restituer nos comptoirs de l'Inde que sous des conditions qui en rendraient la possession humiliante. » M. de Talleyrand, il faut le dire, fit de grands efforts pour sauver quelque chose de ce dernier naufrage. Jugeant avec raison qu'il valait mieux pour la France s'assurer une certaine force au moins défensive dans ses colonies d'Amérique, que de garder dans l'Inde des établissements qui ne pouvaient plus être que purement commerciaux et à la merci des premières hostilités, il proposait de céder à l'Angleterre tous ces établissements moyennant un équivalent dans le golfe du Mexique. Il réclamait à ce titre les îles autrefois françaises de la Dominique, la Grenade et Saint-Vincent. Cette demande fut population a augmenté de 18 p. : et il reste en France assez de travaux de culture et de défrichements à faire pour occuper toute la masse indigente, et subvenir aux besoins d'un nouvel accroissement de population. Par un article séparé et secret, l'Angleterre s'engageait à ne mettre ni directement ni indirectement obstacle à toute tentative de la France pour recouvrer Haïti. 3 C'est dans cette question qu'a pris racine, comme on sait, l'une des difficultés les plus ardues, les plus délicates, qui aient surgi entre la France et l'Angleterre depuis 1830 celle du droit de visite. 4 Lettre de M. de Talleyrand. (Archives.) 5 Si l'intérêt du continent est évidemment que la France ne soit pas seulement une puissance continentale, mais qu'elle soit encore une puissance maritime, afin qu'elle divise ses forces entre la terre et les eaux, le continent est intéressé comme la France à ce qu'elle recouvre un état colonial égal à celui qu'elle avait avant les dernières guerres. » (Mémoire déjà cité.) 6 Premier article additionnel avec la Grande-Bretagne. 7 Cette ile fut seule restituée. La conservation de l'ile de France importait à la fois aux intérêts maritimes et à l'amour-propre de l'Angleterre. rejetée, et les prétentions victorieuses de l'Angleterre dépassèrent toutes les prévisions du prince de Bénévent. Elle garda non seulement les trois îles dont nous venons de parler, mais encore Tabago et les Saintes, sur la restitution desquelles il avait sérieusement compté. Le roi de France dut s'engager à ne faire aucun ouvrage de fortification dans les établissements des Indes, et à n'y mettre que le nombre de troupes nécessaire pour le maintien de la police 1. En un mot, toutes les stipulations anglaises du projet présenté le 27 février à Châtillon passèrent dans la paix de Paris. Nous ne suivrons pas plus loin le développement des conditions dictées à la France et acceptées par elle le 30 mai 1814; cette pénible tâche a déjà été remplie par d'autres écrivains. Nous n'examinerons pas non plus une question à laquelle les écrivains royalistes ont paru attacher beaucoup d'importance, celle de savoir si Napoléon aurait obtenu ou non des conditions plus favorables que celles de la suspension d'armes du 23 avril et du traité de paix du 30 mai 2. Du moment où il paraît démontré qu'à Châtillon la paix avec l'empereur n'était plus possible, cette question perd tout son intérêt. Mais fùt-il vrai (et nous n'entendons pas le contester) que M. de Talleyrand et les Bourbons ont obtenu pour la France, en avril et en mai, tout ce qu'eux pouvaient en obtenir, un problème historique bien autrement grave resterait à résoudre. Napoléon, s'il n'avait pas été trahi, aurait - il sauvé la France? Nous ne nous sentons pas la force de répondre à cette question vraiment formidable. 'Article 12 de la paix de Paris. * Cette question a été traitée tout récemment dans un article de l'Union monarchique du 1er mars 1847, article qui contient à peu près autant d'erreurs que de mots. L'auteur parle d'une note des plénipotentiaires alliés à Châtillon, par laquelle ils auraient exigé l'occupation de Strasbourg, Lille et Valenciennes pendant cinq ans. Cette note n'a jamais existé. Il raisonne d'ailleurs, d'un Cependant notre récit aura du moins préparé quelques éléments de discussion. Nous croyons avoir démontré que les puissances coalisées n'avaient pas leur existence moins fortement engagée dans la lutte que la France elle-même : ainsi que Napoléon, elles tenaient leur dernier enjeu, et les vainqueurs sortaient du combat plus épuisés que les vaincus. Nous ne recommencerons pas la triste énumération des incidents qui tour à tour ont neutralisé l'effet des victoires de Napoléon. Rappelons toutefois qu'il lui manqua seulement deux mois pour prévenir l'invasion du territoire français; qu'il lui a manqué à peine quelques heures pour secourir Paris; qu'il a fallu la défection de M. de Talleyrand, puis celle du duc de Raguse, pour compléter et assurer le triomphe de la coalition et le retour des Bourbons qu'ainsi toutes les appréciations historiques semblent confirmer ce mot de Napoléon à son retour de l'ile d'Elbe, ce mot consolateur, même pour la postérité : « Nous n'avons pas été vain «< cus.» Maintenant, les destinées de la France, intimement et inséparablement liées à l'avènement futur de la liberté des peuples, exigeaient-elles le sacrifice de cette grande victime, dont la chute a fait trembler l'univers? Le triomphe de Napoléon aurait-il été autre chose que le prélude d'une coalition nouvelle? Aurait-il mis de lui-même des bornes à ce despotisme dictatorial que l'animosité persévérante des ennemis de son pays n'a pas cessé un moment de rendre au moins excusable? Ceci est le secret de Dieu. bout à l'autre, sur une base fausse, en opposant les modifications convenues le 23 avril et le 30 mai, à l'ultimatum présenté le 23 février. Pour pouvoir fonder une argumentation solide pour ou contre, il faudrait que la discussion se fût engagée sur le projet des alliés, ou sur un contre-projet français; que quelque chose pût prouver de leur part une intention sérieuse de traiter avec Napoléon; et cela ne fut jamais, Ambassade du général Andréossy à Constantinople. Nouveaux détails sur la paix de Bucharest. par les Bourbons. Les consuls français dans le Position difficile, et belle conduite de l'ambassadeur français. Il est rappelé Espagne et France. Restauration de Ferdinand VII. Ses rapports avec la France.Traité du 20 juillet. - Conseils inutiles du ministre français à Ferdinand. Troubles en Espagne. Arrestation de Mina à Paris. Renvoi de M. de Casa-Flores. Long débat entre les deux gouvernements. Ambassade de M. de Laval-Montmorency. Conduite équivoque du gouvernement espagnol pendant les centjours. Son zèle intempestif après la bataille de Waterloo. - Réflexions. Avant d'aborder le pénible récit des événements de 1815, nous croyons devoir jeter encore un coup d'œil en arrière, et donner quelque développement aux dernières relations diplomatiques du gouvernement impérial avec l'Orient, et aux rapports tout particuliers qui s'établirent, pendant l'année 1814, entre la France et l'Espagne. La spécialité diplomatique de ce livre comporte parfaitement de semblables détails, qui d'ailleurs présentent le double mérite de l'intérêt et de la nouveauté, et auxquels nous n'aurions plus occasion de revenir. Dans le premier volume de cet ouvrage, nous avons déjà parlé de la paix signée entre la Russie et la Porte, au moment même où la guerre commençait entre la Russie et la France. Ce traité de Bucharest a exercé une influence si décisive sur la destinée de la France et de l'empereur Napoléon, qu'on nous excusera sans doute ici de présenter, à propos de ce grave événement, quelques considérations rétrospectives qui jusqu'ici n'avaient pu trouver place dans notre récit. L'empereur Napoléon, se décidant à rompre avec le czar, autant peut-être pour assurer l'existence de l'empire ottoman que pour combattre le despotisme maritime de l'Angleterre, aurait eu grand intérêt à rentrer immédiatement dans un concert Ce conseil donné à la Porte influa même sur la rupture définitive de la Russie et de la France d'une manière plus puissante qu'on ne pourrait le croire. M. Otto acquit à Vienne la certitude que le cabinet autrichien avait eu connaissance de cette communication, et qu'attachant alors une importance extrême à ce intime avec le sultan. Néanmoins, vers la fin de 1811, il lui faisait encore donner, dans une dépêche de dix pages, le conseil de céder la Moldavie et la Valachie ! Ce ne fut que le 3 mars 1812, quand l'alliance avec la Prusse était signée, celle avec l'Autriche décidée, qu'un courrier arriva de Paris à Constantinople, apportant la réponse de l'empereur à la lettre d'avènement déjà ancienne du sultan Mahmoud, et en même temps les premières ouvertures de rapprochement. On lui proposait de faire alliance avec lui, et on lui offrait, outre la garantie de ses provinces actuelles, la promesse de lui faire recouvrer la Crimée; mais on défendait expressément au chargé d'affaires français, M. de Latour-Maubourg, qui était l'organe de cette proposition, de la faire par écrit. Le 21 mars, un nouveau courrier apporta cette fois des pleins pouvoirs pour négocier l'alliance; il était déjà trop tard. L'empereur savait que des négociations étaient ouvertes, depuis plus d'un an, entre les parties belligérantes; il savait que la Russie, feignant de ne pas croire à l'orage dont elle était menacée, persistait à demander des cessions considérables sur le Danube et sur le Thase. Le sultan avait exprimé si fermement sa volonté de ne pas céder, son inté que la Russie ne fit pas une telle acquisition, il s'était hâté de faire à la France les ouvertures qui servirent de base à l'alliance offensive du 14 mars 1812. Nous rétablissons ici cette observation importante, qui aurait dû trouver place à la fin du t. II de cet ouvrage. rêt était si évidemment conforme au nôtre, que l'empereur avait cru pouvoir sans danger pousser jusqu'à l'excès les derniers ménagements pour la Russie. Il n'avait pas apprécié à sa juste valeur la puissance d'intrigue des deux Morousi, princes grecs vendus à la Russie et à l'Angleterre. Ceux-ci ne cessaient de répéter aux Turcs que leur existence en Europe n'était due qu'aux divisions des princes chrétiens; que dès qu'une seule puissance y serait dominante ou prépondérante, les efforts de toutes seraient employés à refouler les musulmans en Asie; que l'empereur Napoléon n'avait plus que la Russie pour obstacle à cette prépondérance absolue; qu'une fois la ruine de cet empire consommée, la leur s'ensuivrait ; qu'ainsi c'était le moment d'oublier que les Russes étaient leurs ennemis naturels, et qu'il fallait, loin de leur faire la guerre, s'empresser de conclure avec eux la paix, dût-elle même coûter quelques sacrifices. Le prince Dimitrasko (Démétrius) Morousi, interprète de la Porte, était devenu celui des plénipotentiaires turcs à Bucharest le prince Panayotaki, son frère, était son substitut au camp du grand vizir. Ce furent eux, et Démétrius surtout, homme qui avait autant d'intelligence que d'audace, qui obligèrent à la fois les Russes à demander, et le sultan à céder. Les Morousi avaient eu, par la protection des Russes, les principautés de Moldavie et de Valachie dans leur famille pendant seize ans. Presque tout-puissants à Constantinople par leurs richesses et leurs talents, ils avaient gagné la plupart des ministres ottomans, notamment le grand vizir et le reiseffendi. Mahmoud résistait toujours; mais chacun de ses refus devenait l'occasion d'une sédition au camp et de violents murmures à Constantinople. Les troupes turques étaient réduites, par la désertion, à dix ou douze mille hommes, quand le sultan se détermina enfin à céder 1. Toutefois il rejeta absolument un article du projet russe qui l'associait à la guerre contre la France 2, et ne traita que sur la base d'une neutralité absolue. La paix de Bucharest n'en était pas moins un acte désastreux pour l'empereur Napoléon, comme pour la Turquie 2 • Notes communiquées par M. de Latour-Maubourg. Andréossy, 8 février 1813. Voici, à propos de ce traité, un trait caractéristique des mœurs turques. Dans une querelle qui s'éleva au moment de l'échange des prisonniers, trois cent soixante-six Turcs avaient été tués. La Porte demandait qu'en expiation un pareil nombre de Russes fût mis à mort, et déléguait un de ses plénipotentiaires pour être témoin de cette expiation, et assister aux exécutions. 3 Son arrivée à Constantinople fut encore retardée par la peste, qui emporta cent soixante et seize mille personnes dans cette capitale. elle-même. Elle laissait à la Russie la disposition de ses forces contre l'invasion française, et assurait, dans un temps plus éloigné, l'accomplissement de ses vues d'envahissement sur l'empire ottoman. Ses nouvelles conquêtes de 1828 ont dignement payé aux Turcs leur neutralité de 1812 et le sacrifice de la frontière du Dniester. Napoléon avait attendu que la guerre avec la Russie fût irrévocablement décidée pour accréditer enfin près de la Porte un ambassadeur, le général Andréossy, qui ne put se mettre en relation avec le gouvernement turc avant le mois d'août 3. Les ratifications de la paix de Bucharest étaient échangées depuis le 14 juillet! Cette réserve, si imprudemment prolongée vis-à-vis du sultan, prouve du moins que l'empereur Napoléon a voulu jusqu'au dernier jour éviter la guerre. Le général Andréossy savait d'avance qu'il arriverait trop tard. L'existence du traité de Bucharest lui fut formellement notifiée dans une conférence officielle qui eut lieu le 1er septembre. Deux mois après, la nouvelle de l'entrée des Français à Moscou décidait la chute du ministère ennemi de la France et le châtiment terrible des frères Morousi 4. Mais le mal n'en était pas moins irréparable. L'ambassadeur français ne put obtenir que des regrets et des vœux stériles; et bientôt les désastres de notre retraite firent évanouir tout espoir d'un renouvellement d'hostilités entre la Russie et la Porte. Seul État neutre dans la grande lutte européenne, la Turquie, par une exception singulière. réunissait ainsi, dans les deux dernières années du règne de Napoléon, le représentant de la France à ceux des puissances conjurées contre elle. Le général Andréossy a laissé à Constantinople les plus honorables souvenirs. Forcément délaissé par son gouvernement, et réduit à une inaction presque complète, il sut du moins, et c'était beaucoup, garder une attitude ferme et impassible en présence de la joie insultante de nos ennemis. Confiant dans la force impérissable de la France, il entendit sans pâlir l'écroulement lointain du grand empire, et soutint dignement l'honneur et les intérêts de son pays dans les circonstances les plus cruelles et les 4 Le prince Démétrius ne fut pas mis en pièces par un ordre exprès du sultan, comme nous l'avons dit dans le deuxième chapitre de ce volume, sur la foi d'une première dépêche d'Andréossy: il rectifie lui-même ce fait dans une lettre ultérieure. Démétrius devait être décapité; il se débattit contre le bourreau, auquel il arracha son sabre; et c'est alors qu'il fut haché en pièces par les gardes qui se jetèrent sur lui. On trouva chez lui une bague de douze mille piastres, cadeau de la Russie, et des titres de propriété de terres qui lui étaient également données par cette puissance dans la partie de la Moldavie qu'elle acquérait par le traitė. plus difficiles. Ce noble caractère méritait un regard de l'histoire. Le système d'absolue neutralité, adopté par la Porte, réduisait vis-à-vis d'elle l'ambassadeur de France au rôle d'observateur. « Le Grand Seigneur, écrivait-il le 3 mai 1815, n'est occupé qu'à rétablir sa considération au dedans. Remis en possession des lieux saints, il jouit désormais de la plénitude du califat. Le fils du pacha d'Égypte (Ibrahim) lui a apporté hier les clefs de la Mecque. » A cette époque le sultan n'avait pas de vassal plus dévoué, plus soumis, du moins en apparence, que Méhémet-Ali: mais, d'un autre côté, il avait à combattre les insurgés de Servie, et surtout le fameux Ali Pacha. L'Autriche et la Russie semblaient d'accord pour entretenir ces troubles, et ôter ainsi au sultan toute possibilité de faire une diversion en faveur de la France. L'Angleterre agissait en Asie dans le mème but. Les relations entre la Russie et la Porte, bien que rétablies par le traité de Bucharest, n'étaient rien moins que bienveillantes. Les Russes persis taient à retenir, sous divers prétextes, plusieurs provinces et des forteresses importantes 1. Le gouvernement turc s'en dédommageait sur le commerce anglais et russe, en entravant le transit du Bosphore par de nouvelles mesures fiscales. Dans les derniers mois de 1812, il avait mis l'embargo sur plusieurs navires russes chargés de grains. De son côté, le nouveau ministre russe à Constantinople, M. Italinski, transmettait l'ordre à ces bâtiments de tirer à mitraille sur tout bateau qui approcherait pour les visiter. Cependant le commandant des Dardanelles, obéissant aux ordres réitérés de la Porte, finit par braver cette consigne, et fit débarquer de force les blés russes (19 février), ce qui produisit une vive sensation dans Constantinople, et rendit une lueur d'espoir à notre ambassadeur. Mais cette mesure était en réalité moins belliqueuse que financière; elle tenait à un système général que le gouvernement turc voulait faire prévaloir vis-à-vis de toutes les puissances européennes. << Nous avons, disait le reis-effendi à l'ambassadeur de France, deux embouchures du plus grand intérêt pour les nations franques, et qui ne nous rapportent presque rien: il faut que cela change. Et il prétendait contraindre même les navires français à déposer désormais dans les magasins de Constantinople une partie de leurs chargements en blés ou autres denrées, à un taux fixé par la Sublime Porte. Andréossy répondit avec vivacité que les Français ne souffriraient jamais une telle violation des traités antérieurs, et cette conversation n'eut pas de suite. Le reis-effendi fut plus heureux auprès des Russes et des Anglais. Les premiers consentirent à laisser pour Constantinople la moitié de leurs chargements, à raison de cinq piastres par kilog. Le prix courant, dans cette capitale, était alors de neuf piastres. Cet arrangement servait indirectement nos intérêts, puisqu'en approvisionnant Constantinople à bas prix, il enlevait des ressources aux flottes ennemies. La légation anglaise fut également autorisée à déroger aux capitulations l'orgueil britannique fléchit devant la nécessité. Après des pourparlers qui durèrent plus d'un an, le droit de libre navigation, interrompu pendant la dernière guerre contre la Russie, fut racheté par les Anglais moyennant une taxe de 3 pour 100, basée sur des évaluations faites par le gouvernement ottoman 2. Condamné à l'inaction sur son terrain principal, le général Andréossy s'en dédommageait en exerçant une heureuse influence sur d'autres points. Par le consulat de France à Bagdad, il entretenait avec la cour de Téhéran une correspondance active, à laquelle il faut attribuer principalement la prolongation de la lutte inégale que soutenaient contre la Russie les Persans, réduits à leurs seules forces. Le gouvernement britannique, alors si franchement et si complétement uni à la Russie sur le champ de bataille européen, a dans l'Orient des intérêts d'une autre nature, qui lui imposaient une extrême réserve dans la querelle de la Perse et de la Russie. L'intérêt anglais était dans la prolongation de la guerre entre ces deux puissances, guerre qui tout à la fois affaiblissait la Perse et neutralisait les progrès de l'influence russe de ce côté 3. Depuis la défaite de Tippoo-Saëb, l'Angleterre développait en Orient sa politique d'envahissement avec une persévérance qu'on ne peut s'empêcher d'admirer, quand on songe surtout aux sacrifices immenses que lui imposait sa lutte désespérée avec Napoléon. Chaque année elle augmentait ses forces dans les Indes et dans la Perse, profitant de la faute qu'avait faite cette puissance, de souffrir sur son territoire une force militaire anglaise permanente 4. Cependant nos agents consulaires en Orient soutenaient |