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la première, Napoléon n'a besoin que de son seul génie; pour l'autre, il lui faut des auxiliaires. Le premier, le plus puissant de ces auxiliaires, est naturellement son ambassade à Varsovie. L'histoire de cette ambassade se lie ainsi nécessairement à celle de la guerre dont elle devait concourir à préparer le succès, et à laquelle, par une incroyable aberration, elle a au contraire enlevé ses plus précieuses et ses plus importantes ressources. Pour tout historien, quel qu'il soit, il y a ici obligation d'apprécier l'écrit fameux de l'ex-ambassadeur, M. de Pradt. Pour moi, plus que pour tout autre, la tâche est délicate. Cependant, parce qu'il a plu à l'ex-ambassadeur de me comprendre personnellement dans les invectives qu'il a prodiguées à l'empereur, à ses maréchaux et à ses ministres, aussi bien qu'à la nation polonaise, est-ce une raison pour que je doive me condamner au silence? Non, assurément. Je voudrais, pour mon compte, pouvoir d'une injuste attaque tirer une noble vengeance, en approuvant dans M. de Pradt des actes dignes de louange; mais je le dis à regret, cette satisfaction d'un honorable amour-propre ne m'a pas été permise; toute ma bonne volonté s'est trouvée en défaut, et, dans le dépouillement de la correspondance de l'ambassadeur, je ne découvre pas un mot qui ne soit une accusation directe contre lui-même. C'est donc par ses propres lettres que nous réfuterons, chemin faisant, le libelle inouï qu'il a intitulé Histoire de son ambassade.

M. de Pradt, on ne l'a pas oublié, s'est déclaré 1 avec orgueil l'auteur de la perte de Napoléon, ou du moins celui que Napoléon a regardé comme l'un des principaux auteurs de sa chute. Ainsi, dans un incroyable délire, M. de Pradt s'est constitué son propre délateur! Fanfaron malheureux, il se fait criminel par jactance! Il se calomnie, nous aimons du moins à le croire. Placé dans la plus fâcheuse des alternatives, la trahison ou l'ineptie, il affecte le honteux courage de la première, pour ne point subir le poids de la seconde. Nous sommes moins injuste envers lui qu'il ait été agent incapable, maladroit, inhabile, toutes ses œuvres le prouvent; mais, quoi qu'il en dise, nous en avons la sincère conviction, en 1812 il n'était point un traître. Laissons parler les faits.

Les instructions écrites et verbales que M. de

On connaît le début de cette histoire, mais il est bon de le rappeler ici : « L'empereur a été surpris laissant, » du plus profond d'une noire rêverie, échapper ces ⚫ paroles mémorables: Un homme de moins, et j'étais » le maître du monde... Quel est donc cet homme qui, » participant en quelque sorte du pouvoir de la Divinité, a pu dire à ce torrent : Non ibis amplius?..... Où

Pradt a reçues, lui ont fait connaitre ce que Napoléon attend de son concours. Il n'y a pas seulement la Russie à vaincre; il y a la Pologne à rétablir. Mais pour être digne de ce rétablissement, c'est à la Pologne même d'aider à vaincre la Russie. Tel est l'esprit des instructions données à l'ambassadeur.

Le but est indiqué, les moyens prescrits. Une diète étant convoquée pour se réunir à Varsovie vers le milieu du mois de juin, il est à désirer qu'un comité, composé d'hommes influents, fasse un rapport sur les malheurs de la Pologne et sur l'espoir de la renaissance de la patrie; que ce comité invite la diète à prononcer l'existence du royaume et celle du corps de la nation polonaise, dont la force seule a pu opérer la destruction; qu'il proclame que partout où des Polonais sont réunis, ils ont, comme leurs frères, droit de se confédérer pour le salut public; qu'enfin, il fasse adopter par la diète un décret pour déclarer la Pologne rétablie, et pour constituer la diète en confédération de Pologne.

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Le rapport du comité de la diete devait être « européen et polonais; mais en s'attachant à développer les basses intrigues, les violences qui » ont causé la ruine de la patrie polonaise, on ménagerait avec soin la Prusse et l'Autriche, qui, loin d'être opposantes, accèdent d'avance » aux événements qui se préparent. Le rapport » serait en entier dirigé contre la Russie. »

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La confédération une fois organisée par la nomination d'un maréchal et d'un conseil, elle formerait des comités de confédération dans les différents palatinats. Ces comités feraient comme elle des proclamations. Les proclamations, les discours des membres de la diète, les adresses, les manifestes collectifs ou individuels, seraient imprimés et répandus non-seulement dans les départements du duché, mais aussi dans les provinces encore occupées par les Russes. Rien ne devait être négligé pour frapper fortement l'opinion. Il importe qu'on ait à publier chaque jour des pièces de tous les caractères, de tous les styles, tendant au même but, mais s'adressant aux divers sentiments et aux divers esprits.

Les comités des différents palatinats devront envoyer partout des agents pour colporter les actes

» étaient ses armes, ses moyens, ses trésors, pour arrè» ter ce superbe dominateur de la France et de l'Eu» rope, qui, sur les débris des trônes, un pied dans le » sang et l'autre sur des ruines, s'élançait en idée vers » les limites du monde, et, dans sa soif insatiable de » domination, étouffait pour ainsi dire dans l'univers? » Cet homme, c'était moi. »

de la confédération, repandre en général toutes les pièces imprimées, et les faire pénétrer dans toutes les parties de la Pologne. Les Russes ne peuvent pas occuper l'immensité du pays; il faut créer des intelligences sur les derrières; établir des foyers d'insurrection partout où ils ne seront pas en force; enfin, les placer dans une situation semblable à celle où s'est trouvée l'armée française en Espagne, et l'armée républicaine dans les temps de la Vendée et de la chouannerie. Ce mouvement peut facilement être imprimé, et doit devenir général aussitôt qu'il sera appuyé sur un événement militaire de quelque importance. Il faut qu'alors la Pologne se trouve remuée, et qu'elle entre tout entière en insurrection.

Tous les mouvements que l'intérêt français appelle en Pologne ne doivent pas laisser apercevoir la main de l'ambassadeur; mais celui-ci doit tout voir, tout savoir, tout diriger, tout animer.

Ce que nous venons de citer presque textuellement des instructions données à M. de Pradt, met au grand jour l'objet direct de sa mission. Un passage expose les motifs qui ont déterminé pour cette mission le choix de sa personne. « Un officier gé» néral, de quelque grade qu'il eût été, aurait > difficilement dominé les généraux de son grade, a les ministres et les grands du pays. Un ambassa» deur y parviendra avec d'autant moins de peine, » que son caractère politique, son rang dans la » hiérarchie1 ecclésiastique, et son caractère per» sonnel, en imposeront davantage.

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Afin de donner à l'ambassadeur une autorité réelle sur l'administration dans le duché de Varsovie, il avait été convenu avec le roi de Saxe que M. de Pradt assisterait aux séances du conseil des ministres, et le conseil lui-même avait reçu du roi une latitude d'action illimitée. « Le rang de l'ambassadeur, continuaient les instructions, ne sera

'La lettre ministérielle qui, en me renouvelant les témoignages de la satisfaction de l'empereur, m'annonçait l'envoi d'un ambassadeur extraordinaire pour me remplacer à Varsovie, alléguait aussi comme raison de la nomination de M. de Pradt son rang élevé dans la kiérarchie ecclésiastique ; je n'avais vu là qu'un détour poli pour me consoler d'un changement de position, auquel je pourrais être sensible. Le motif n'était pas simulé, puisqu'on en faisait la déclaration à M. de Pradt lui-même.

⚫ Ambassadeur de Russie, véritable roi en Pologne, sous le règne de Stanislas Poniatowski.

3 L'hôtel habité à Varsovie par M. de Talleyrand en 1807, et depuis occupé par les ministres de France, Serra et Bignon, offrait, provisoirement du moins, à l'ambassadeur, une demeure convenable. M. de Pradt ne s'en contenta pas. Il existe dans cette ville un beau et vaste palais, bâti par le favori d'Auguste, roi de Pologne, le comte de Brühl, dont il porte le nom. Ce palais

point contesté, puisque son caractère l'autorise à ne céder le pas qu'aux têtes couronnées et aux princes du sang. Ainsi placé, son influence s'exercera naturellement sans blesser aucun amour-propre. Rien ne s'opposera à ce qu'il s'immisce dans tous les détails, d'abord parce qu'on verra dans ses démarches l'autorité de l'empereur; ensuite parce qu'il n'inquiétera l'ambition de personne. Il doit profiter de sa position pour que le duché soit aussi utile qu'il peut l'être à l'armée, et pour qu'il concoure, par toutes les ressources qu'il peut offrir, à cette guerre dont les suites seront si heureuses pour la Pologne. Le duché réclamait depuis longtemps une autorité centrale. Elle existe par le pouvoir, en quelque sorte royal, dont le conseil des ministres est revêtu; elle existe surtout par la présence de l'ambassadeur, qui réunira, pour ainsi dire, dans sa main les ministres, les généraux, les commandants, les ordonnateurs, et tous les genres d'autorités locales. >>

Par les mesures et les renseignements qui précèdent, Napoléon, comme on le voit, en préparant ses armes de guerre, n'avait point négligé d'y comprendre le dévouement du patriotisme polonais, le secours de l'enthousiasme populaire, et les sacrifices dont est capable un peuple opprimé pour reconquérir une existence nationale. Les intentions de l'empereur sont donc bien connues. Avant de quitter Dresde, l'ambassadeur a pu apprécier la nature du rôle qu'il est appelé à remplir. La conduite qu'il va tenir prouvera ou qu'il n'a pas lu ses instructions, ou qu'il ne les a pas comprises. Ce qu'il sait bien, c'est que sa mission est une viceroyauté véritable. Aussi dit-il naïvement : « C'est Stakelberg 2 que je viens recommencer. >> Malheureusement il ne le recommencera pas avec la même utilité pour le prince que son devoir est de servir. L'infatuation 3 de sa position nouvelle s'élève chez

seul paraît à l'ambassadeur digne de le recevoir. Par malheur, le roi de Westphalie a pris les devants et s'y est installé. M. de Pradt n'a pas la patience d'attendre le départ du prince. Le duc de Bassano est obligé de l'avertir que, dans une contestation sur un tel sujet avec le roi, il ne ferait que s'attirer des choses désagréables; que d'ailleurs l'empereur est prévenu, et pronon

cera.

Une autre fantaisie atteste encore chez M. de Pradt l'enivrement puéril de sa nouvelle situation. Affligé d'être arrivé sans éclat à Varsovie, il se souvient qu'autrefois les ambassadeurs faisaient une entrée solennelle dans les capitales où ils allaient résider, et il demande sur ce point important les ordres de l'empereur. Le duc de Bassano lui répond que cet ancien cérémonial est tombé en désuétude, et, pour le consoler, il ajoute que toutes les démonstrations extérieures sont à pro» pos, hors une entrée d'apparat, qui serait contre l'u»sage actuel de toutes les cours. » Encore un désap

M. de Pradt, homme d'esprit, homme du monde, à un degré où elle ne serait pas excusable même chez l'homme de la portée la plus vulgaire, de l'intelligence la plus commune. Arrivé à Varsovie le 5 juin, M. de Pradt fut aussitôt, par les soins de son prédécesseur, mis en rapport avec les ministres et les principaux personnages du pays. Son premier jugement sur les ministres leur fut très-peu favorable. Dans les premières dépêches, il parlait d'eux avec le plus grand dédain; mais la péripétie ne se fit pas longtemps attendre. Ces hommes, que d'abord il ne voyait que d'un œil de pitié, beaucoup plus habiles que lui en effet, ne tardèrent pas à démêler le fond de son caractère. En peu de jours ils eurent reconnu qu'en caressant la vanité, qui en était le trait dominant, ils seraient bientôt maîtres de l'homme. Ils ne se trompèrent pas. De ce moment, M. de Pradt ne fut plus qu'un instrument entre leurs mains; sa mission ne fut plus dirigée, selon la pensée de l'empereur, dans le grand intérêt de la Pologne en général, mais dans le sens étroit d'un intérêt purement local, dont ne savait pas se défendre le ministère du duché. Certes les hommes dont se composait ce ministère étaient de très-bons Polonais; mais, soit excès de confiance dans l'infaillibilité du succès des armes françaises, soit désir de ménager spécialement la portion de territoire qu'ils administraient, soit crainte de voir revenir, à la suite des confédérations armées, les désordres et le pillage, qui, en pareille occurrence, n'épargnaient pas même les propriétés de leurs concitoyens, ils étaient plutôt portés à réduire, en ce qui les concernait, le caractère de la guerre à celui d'une guerre politique, à celui d'une guerre d'État à État, qu'à former de ces confédérations qui jadis ébranlaient le pays tout entier, qui faisaient monter à cheval tous les gentilshommes, et, pour les nourrir comme pour les équiper, mettaient à contribution, sans ménagement, sans distinction d'amis ou d'ennemis, les terres des grands propriétaires. C'était le renouvellement de ces confédérations anciennes que voulait Napoléon, sans s'inquiéter des inconvénients inévitables qui les accompagnaient, mais n'y voyant qu'une grande manifestation des vœux de la nation polonaise, que l'énergique déploiement de toutes ses forces, et son soulèvement universel contre la Russie. C'est dans un système tout à fait contraire que va agir son ambassadeur. Napoléon veut tout agiter, tout enflammer; il veut porter l'enthousiasme

pointement! C'est bien la peine d'être ambassadeur extraordinaire!

'Celui à qui, autrefois, l'impératrice de Russie avait laissé libre la concurrence au trône avec Stanislas Poniatowski, Catherine avait écrit à ce dernier : « J'en

jusqu'au plus haut degré d'exaltation. M. de Pradt veut tout calmer, tout tempérer, tout refroidir. Le fait serait incroyable, si les preuves n'en étaient pas là; si M. de Pradt lui-même n'en eût fait gloire, et ne s'en fût vanté comme d'une œuvre héroïque. Son ambassade à Varsovie eut une durée nominale de six mois; elle ne dura réellement que vingt-cinq jours; vingt-cinq jours lui suffirent pour enlever à Napoléon le puissant renfort qu'il avait attendu d'un mouvement insurrectionnel de la Pologne. L'empereur avait droit d'y compter; tout, dans le duché de Varsovie, était disposé à merveille pour répondre à ses vues. Par de faux calculs, par un égarement d'esprit déplorable, d'autres idées préoccupèrent M. de Pradt. Une diète confédérée, devenue permanente, absorberait nécessairement tous les autres corps de l'État; l'autorité royale elle-même disparait devant l'autorité des confédérations à plus forte raison, que va devenir celle du conseil des ministres, celle de M. de Pradt, autorisé à siéger dans ce conseil? Aura-t-il, sur une grande assemblée, l'ascendant si commode qui lui est assuré dans une réunion de six personnes, dont toutes les volontés seront subordonnées à une volonté unique, à la sienne? La diète n'est pas réunie encore, et déjà les orages, les tempêtes présumées de la diète épouvantent l'ambassadeur. Le 14 juin, M. de Pradt écrit au duc de Bassano : « Les membres de la diète » arrivent; le prince Czartoriski1 sera ici après» demain. L'effervescence des esprits augmente à >> chaque instant. J'aurai beaucoup à faire pour >> retenir l'explosion jusqu'au moment de la diète ! » A dater de ce moment, M. de Pradt a pris son parti: la diète se réunira, elle proclamera le rétablissement de la Pologne, puisque ainsi l'a voulu l'empereur; mais le lendemain elle recevra son congé, et, en ne retenant à Varsovie qu'un conseil de confédération sans puissance réelle, M. de Pradt, souverain absolu dans le conseil des ministres, régnera paisiblement sur le duché. Ce plan incroyable est arrêté le 16 juin, et M. de Pradt le consigne, quoique sous forme dubitative, dans une dépêche qu'il adresse, en date de ce même jour, au duc de Bassano. « Je dois, écrit-il à ce ministre, » faire part à Votre Excellence d'une circonstance >> locale qui mérite beaucoup de considération. » L'usage général de la Pologne fait tomber sur » l'époque de la Saint-Jean les transactions pour le >> renouvellement des baux à ferme, ventes de terre,

» voie Keiserling en Pologne, avec ordre de faire roi » vous ou le prince Adam Czartoriski, votre cousin! » Poniatowski manœuvra si bien, que le prince Adam Czartoriski écrivit à cette princesse pour se désister de toutes prétentions à la couronne.

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échéances de payement. Je suis informé que déjà quelques nonces ont commencé à s'occuper de la ⚫ concurrence de la durée de la diète, et de celle » des intérêts qui, à cette époque, exigent leur pré>sence dans leurs foyers. » Nous ignorons si, parmi les membres de la diète, il a existé un ou plusieurs individus d'un si méprisable égoïsme, et nous en doutons; mais, en supposant le fait vrai, ce serait une odieuse exception qui n'eut pas dù autoriser, de la part de l'ambassadeur, une assertion aussi offensante pour la masse des nonces et des députés. Ces généreux citoyens, accourus avec tant d'ardeur pour se dévouer à l'émancipation de leurs compatriotes opprimés, ne soupçonnaient guère sous quel aspect l'ambassadeur français les représentait aux yeux de l'empereur Napoléon. L'empereur les appelle à le seconder pour l'affranchissement de la Pologne tout entière, pour la recomposition de l'ancien royaume de Pologne. L'empereur a mal pris son temps, il devait le mieux choisir; aujourd'hui il a tort de leur rien demander! Les nonces, les députés ont bien autre chose à faire; ils ont à renouveler leurs baux, c'est l'époque de la Saint-Jean! Après une si étrange allégation, dont sans doute il comprend la faiblesse, s'il n'en sent pas le ridicule, M. de Pradt arrive sans transition au motif réel qui le fait agir: « La diète ne peut pas s'ouvrir avant » le lundi 22 juin; elle ne se transformera en confé» dération que le 24. On ne peut entrevoir jusqu'où » les événements pourront la conduire; mais il est » aisé de calculer jusqu'où pourrait aller une » masse d'hommes réunis, soit en état de travail et » d'agitation, soit en état de calme et d'interruption » de travail, qui ne se renouvellerait que par in» tervalle il faut prévoir les deux cas. Dans le » premier, la chaleur toujours croissante des esprits » doit mener loin, et peut-être plus loin qu'on ne » voudrait aller. Dans le second, le désœuvrement, » le dégoût, peuvent ouvrir la porte aux intrigues, » et les oreilles aux plaintes, aux insinuations, aux " murmures. » Ainsi, M. de Pradt redoute tout à la fois et l'excès d'activité de la diète et son inaction.

'Cette dissolution de la diète était un acte tellement extraordinaire, que tout le monde a dû y voir l'effet d'ordres directs de l'empereur. Ainsi durent en juger les Polonais ; ainsi en jugèrent les Français qui se trouvaient sur les lieux, et ceux même qui faisaient partie de l'ambassade. Dans un article publié en 1828 par le Spectateur militaire, 52e livraison, M. Aubernon, depuis préfet de Versailles, et qui était, en 1812, auditeur au conseil d'État et attaché à l'ambassade, dit, en termes formels L'ambassadeur, suivant sans doute en cela >ses instructions, fit décider par la diète que le conseil ⚫ des ministres continuerait à gouverner, et que tous » les corps n'obéiraient qu'à ses ordres. Il en résulta

Dans la première hypothèse, il craint la chaleur toujours croissante des esprits, dans laquelle il aperçoit de terribles conséquences. Mais c'est précisément pour entretenir cette chaleur toujours croissante que Napoléon l'a nommé ambassadeur à Varsovie! c'est dans ce but que Napoléon a voulu la convocation d'une diète, la transformation de cette diète en confédération! Dans la seconde supposition, M. de Pradt voit d'autres dangers, et ces dangers sont des insinuations, des intrigues, des murmures et des plaintes. Que signifient de telles frayeurs en de si grandes circonstances? De la part d'un homme de sens, on a de la peine à les concevoir; mais on conçoit bien moins encore l'étrange remède que M. de Pradt s'avise d'imaginer. « Pour obvier à ces inconvénients, poursuit-il, » ne serait-il pas à propos de réduire la diète con» fédérée à une commission intermédiaire d'un » petit nombre de membres; de congédier la diète » sous des prétextes plausibles d'utilité générale et particulière, en lui annonçant une réunion défi>>nitive pour connaître et approuver les travaux de » la commission? On ne s'en tirera jamais sans » l'emploi de ce moyen, qui fera disparaître pour » un temps le corps même de l'assemblée. » La conclusion est admirable. M. de Pradt a peur de la diète! Bruyante ou silencieuse, passionnée ou languissante, cette assemblée l'effraye, et contre ce double péril, il ne voit qu'un moyen de salut, c'est de la faire disparaitre 1. Jamais Napoléon a-t-il pu deviner qu'une pareille pensée dût entrer dans l'esprit de son ambassadeur, et que cet ambassadeur put avoir l'audace de la mettre à exécution?

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M. de Pradt, dans la lettre que nous venons de citer, annonce que la diète se réunira le 22 juin. Cette réunion prochaine était désirable et même commandée; mais elle n'aura lieu que le 26. Quelle sera la cause du retard? La vanité de l'homme de lettres, qui va, même à Varsovie, éclater dans la personne de l'ambassadeur. Ce défaut innocent dans la vie privée cut, dans la haute mission de M. de Pradt, une influence extrêmement fâcheuse.

» que la confédération générale ne fut ressuscitée que » de nom, et n'eut d'autre puissance que celle de faire >> des proclamations et de recevoir des adhésions. On se hâta, après cette parade vaine, de renvoyer la diète. » Le conseil des ministres et l'ambassadeur restèrent » face à face, et ne tardèrent pas à s'apercevoir qu'en » cherchant à éviter les résistances et la fougue d'une >> assemblée tumultueuse, ils s'étaient placés dans un » isolement funeste et dans l'impuissance d'agir. » L'ambassadeur, loin de suivre ses instructions, les avait violées. L'isolement funeste et l'impuissance d'agir où se trouvait placé le conseil des ministres était l'œuvre personnelle de M. de Pradt.

Persuadé que seul il est capable de parler le langage propre au grand événement qui va s'accomplir, M. de Pradt ne permettra aux Polonais de rédiger eux-mêmes ni leur 1 manifeste, ni l'acte de la confédération, ni les proclamations qui doivent être adressées aux provinces russes, ni les discours qui doivent être prononcés dans la diète ou au nom de la diète. On n'en croirait pas nos assertions. Sur ce point, c'est lui qu'il faut entendre. Dans les premiers jours de son arrivée, une proclamation avait été rédigée pour la convocation des nonces et des députés. Elle était l'ouvrage d'un homme d'un grand talent, orateur et écrivain distingué, qui avait figuré avec éclat dans les dernières révolutions, et tout récemment encore dans la diète du duché de 1811, M. Matuszewicz, ministre des finances. M. de Pradt n'en fut nullement satisfait, et il fallut la modifier suivant sa fantaisie. La même difficulté se reproduisit pour le manifeste par lequel la diète devait se constituer en confédération. La rédaction préparée avait la couleur locale, étant, comme elle devait l'être, accommodée aux convenances du pays. Le pays ne sait pas ce qu'il lui faut; M. de Pradt s'y entend mieux que les indigènes. Rien ne lui plaît, ni les pensées, ni l'expression; il voudrait tout autre chose. En cette situation, le conseil le prie de mettre la main à l'œuvre : c'est tout ce qu'il demande. « Le manifeste de la » diète 2, écrit-il au duc de Bassano, s'est trouvé si » mauvais, que je suis obligé de le refaire en tota»lité. Il en est de même de tout le reste. » Après l'avoir recomposé à sa façon, il l'envoie au duc en lui disant : « La forme 3 du drame m'a paru plus propre à faire effet dans la circonstance. » Le lendemain, autre envoi; c'est l'acte de confédération qu'il a corrigé 4. « J'ai dressé tous les articles; >> mais le ministre a voulu le long préambule, » parce que ce sont les formes usitées de tout » temps en Pologne... Que Votre Excellence consi» dère que je travaille seul au milieu de tous les » genres de privations, de fatigues et de souffran

' M. de Pradt raconte, p. 116 de l'histoire de son ambassade, que Napoléon, dans une audience donnée à une députation polonaise à Posen, avait dit aux membres de cette députation, en leur parlant du manifeste qu'ils auraient à publier: « Je ne vous gêne pas; dites >> ce que vous voudrez, faites cinquante pages. » Ce langage, selon M. de Pradt, vague et ignoble, ce sont ses termes, était sage et politique, comme on tâchera de le lui faire comprendre plus tard. La pensée de l'empereur est que les Polonais peuvent tout dire, tant qu'ils parlent en leur propre nom. Ils ne peuvent pas tout dire si c'est un agent français qui fait leurs discours, comme les fera M. de Pradt, qui, de plus, voudra que personne ne l'ignore.

»ces. » On ne voit pas bien quelles sont les souffrances, les fatigues, les privations, dont se plaint ici M. de Pradt. S'il s'agit des rédactions auxquelles il se livre, les fatigues sont bien volontaires. On l'a fait, selon ce qu'il prétend, ambassadeur malgré lui 5. Ce n'est pas malgré lui qu'il s'établit l'unique auteur, l'unique compositeur de tout ce qui devra être prononcé dans la diète et au nom de la diète. Loin de lui savoir gré des souffrances sur lesquelles il veut qu'on s'attendrisse, et qu'il se cause à luimême si mal à propos, l'empereur en éprouvera un vif mécontentement, car il voulait, ainsi qu'il l'avait fait recommander par les instructions précédemment citées, un manifeste européen et surtout polonais; et, au lieu d'un manifeste empreint de ce double caractère, la diète ne fera que débiter une amplification française.

L'ouverture de la diète eut lieu le 26 juin, sous la présidence du vieux prince Czartoriski, choisi comme maréchal. Les langues n'ont pas d'expression pour rendre l'émotion profonde, les éclats d'allégresse, les larmes de bonheur, auxquelles s'abandonnèrent ces généreux citoyens, l'élite de la Pologne, si heureux et si fiers de se voir appelés, sous les auspices de Napoléon et sous la protection de sa grande armée, au rôle, désiré depuis si longtemps, de restaurateurs de la patrie polonaise. M. de Pradt lui-même, et plusieurs de ses dépêches l'attestent, en fut étourdi, confondu; il ne sait en quels termes exprimer sa surprise, son admiration; mais rien ne l'arrête dans le plan qu'il a formé. « La diète se sépare aujourd'hui 7, » écrit-il au duc de Bassano; et, après avoir présenté le détail de ce qui s'est passé dans les trois jours de son existence, il ajoute : « Ce qu'on ne peut rendre, c'est l'espèce » de transport qui a saisi tous les Polonais à l'égard » de l'empereur. Hier, son nom n'a cessé de re» tentir dans toute la ville, et les acclamations se >> renouvelaient au plus léger prétexte. Tout ce que » voudra, tout ce que suggérera l'empereur sera adopté, sera exécuté sans examen. Mon plus

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Lettre du 21 juin.

3 Le 22 juin.

4 Le 23 juin.

5 Me voilà donc ambassadeur malgré moi! Histoire de l'Ambassade, page 60.

Ce fut un magnifique et touchant spectacle quand le ministre prononça ces mots : « La Pologne existe; le royaume de Pologne et le corps de la nation polonaise sont rétablis!» Des cris de joie et d'attendrissement s'élevèrent de toutes parts; l'assemblée se leva en masse; on se mêla, on s'embrassa, on répandit des larmes de bonheur, on se para des couleurs nationales.

Article de M. Aubernon, précédemment cité. 7 Lettre du 29 juin.

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