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DE LA DÉMONOLOGIE MONUMENTALE

dans l'Art chrétien au Moyen-Age.

PREMIER ARTICLE.

En détachant pour la REVUE quelques fragments de notre traité inédit De l'Esprit et du symbolisme de la Démonologie monumentale du Moyen Age, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer le progrès fait dans la voie des études de notre temps sur le symbolisme chrétien, contesté ou même nié, il y a encore si peu d'années. On prend donc enfin au sérieux cette science aussi précieuse dans ses résultats, que vénérable dans ses sources: on croit enfin au symbolisme, on le démontre, on l'analyse, on en cherche les éléments là même où les puisaient jadis ceux qui les mirent en œuvre avec tant d'unité et d'éclat! Plus qu'aucun, nous sommes heureuse de voir proclamer, non plus seulement l'acception allégorique prêtée dans l'art du Moyen Age à tous les objets de la création, mais surtout, la méthode d'explication professée par quelques chercheurs d'élite et exposée depuis quatorze ans dans toutes nos publications personnelles 2. Seule, en effet,

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'Les RR. PP. Cahier et Martin, M. E. Cartier, etc.; et, récemment encore, M. Hippeau, Histoire naturelle légendaire au Moyen Age, Revue de l'Art chrétien, pp. 178 et 309.

34 Aperçu de la Zoologie hybride, etc. dans la Revue gén. de l'architecture et des travaux publics, 1847. Les Statues du porche de Chartres, 1849. — Des quatre Animaux, attributs des Évangélistes, Annales archéologiques, en

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peu

cette méthode possède le fil conducteur nécessaire à quiconque explore sérieusement le domaine de la langue métaphorique de l'Art chrétien. En 1847, nous en indiquions les principes dans des commentaires bibliques connus de fort de lecteurs; nous invitions tous et chacun à ouvrir les anciens traités ascétiques, les œuvres morales, doctrinales ou liturgiques des Pères de l'Église et de leurs continuateurs pendant les quinze premiers siècles; nous leur signalions les nombreux écrits composés entre le IX et le XIVe pour l'instruction des jeunes clercs, sous les titres d'Institutiones monasticæ, Institutiones clericorum, Eruditiones theologicæ, Eruditiones ecclesiasticæ, Speculum morale, Formula spirituales, Allegoria in omnem Scripturam sacram: ceux qui ont pour titres ces mots : De Universo, De Similitudinibus, Rosetum exercitiorum spiritualium, De Novo Mundo, De Arca Noë, Origines, etc., les Bibles moralisées et les livres ystoriaux dont l'influence est si manifeste et si générale dans l'Art chrétien au XIII et au XIVe siècle. Alors, en effet, leurs principes constituent une science à part, celle de clergie, familière aux cloîtres et connue des clercs séculiers, mais étrangère à la gent laie jusqu'au temps où on voit ses parties les plus élémentaires ou les plus saillantes, telles que des traités sur les significations des pierres, des animaux, des métaux, des plantes, des couleurs, des nombres mystiques, résumés en prose ou en vers et dédiés à des rois, à des princes, à des prin

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septembre et en octobre 1847. Symbolisme des pierres précieuses, etc., mêmes Annales. L'Enfer de la chapelle Saint-Just à Narbonne et les Géhennes au Moyen Age, Revue archéologique, 1x, p. 201 et 299. Les Églises de l'Italie, de la France, de l'Angleterre, etc., ibid., 1x, 692, et x, 30. — Des Acceptions mystiques de l'Eléphant dans l'art chrétien, ibid., x, 407. — Ystoires et emblèmes bibliques sculptés au pourtour extérieur de Notre-Dame de Paris, ibid., XI.-Du Symbolisme du Griffon dans l'art chrétien du Moyen Age, Revue de l'Art chrétien, 1v, p. 241, 245, 250, 400.

cesses, à des « gentilsfames », à qui leurs chapelains, leurs scribes, leurs trouvères même pouvaient les lire ou les chanter.

En déroulant à nos lecteurs ces sources fécondes des métaphores sculptées ou peintes, si en faveur au Moyen Age, nous joignions à nos assertions des applications appuyées sur les autorités les plus péremptoires. C'est d'après saint Grégoire-le-Grand, saint Augustin, saint Anselme, Luc de Thuy, saint Bonaventure, Robert de Duitz, saint Eucher de Lyon, saint Yves de Chartres, saint Brunon d'Asti, saint Odon, saint Thomas d'Aquin et d'autres auteurs ecclésiastiques qu'on ne supposait guère alors avoir eu rien à démêler avec les pieuses métaphores sculptées sur les murs de nos basiliques, que nous expliquions la présence, dans les voussoirs de celles-ci, des statues de la Beauté, de la Majesté, de l'Honneur, de la Santé, de la Volupté, de la Liberté, de l'Amitié, etc. C'est sur ces auteurs vénérables, sur les différents. Physiologues et sur les autres Bestiaires dont l'énumération commence à se propager aujourd'hui, que nous basions il y a longtemps notre Dictionnaire de la Zoologie mystique et monumentale du Moyen Age, et que nous révélions l'esprit de trente-deux statues du plus beau style, inaperçues jusqu'à ce jour sur les tourelles du transsept de l'abbaye de Saint-Denis. Un peu plus tard (il y a cinq ans), les livres dépositaires des éléments du mysticisme étaient encore si peu connus, que nous étions heureuse, alors, d'indiquer au vénérable dom Gardereau, de Solesmes, l'existence d'un Bestiaire des plus complets et des plus riches, mais jusque-là fort ignoré, dans les œuvres spirituelles et latines de Hugues, chanoine de Saint-Victor. « Est-il bien vrai?» nous répartit ce religieux? « Nous lisons tous les jours au réfectoire les œuvres dont vous me parlez, et nous n'y avons rien vu de semblable. »

Poursuivez, répondimes-nous, jusqu'à la moitié du se«cond volume, et vous trouverez ce traité dans les Institu«tions monastiques. » Un éclair de satisfaction rayonna dans les yeux du Père: « S'il en est ainsi, nous dit-il, je serai

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joyeux de signaler ce Bestiaire à notre savant dom Pitra; et il s'empressa de consigner dans son agenda notre iudication pour le Spicilège, où on la rencontre aujourd'hui. Dom Pitra ne s'offensera point de ces lignes: nous pouvons revendiquer le modeste retrouvement de ce précieux Bestiaire, sans craindre de paraître chercher à dérober un seul atome à l'immense érudition de ce religienx, ni à la richesse du Spicilège bénédictin.

La route s'élargit pourtant, et on doit applaudir très-haut aux travaux de quelques savants qui, ainsi que M. Hippeau, voyant la lumière où elle est, concourent à vulgariser les Bestiaires manuscrits et les autres vocabulaires du langage figuratif des écrivains du Moyen Age: mais il ne faut point oublier que le domaine des Bestiaires et des autres traités analogues est, quelque précieux qu'il soit, circonscrit à un ordre unique et à un ordre très-restreint des objets de la création. A l'exception de celui de Hugues de Saint-Victor, dont les écrits ont fait école et loi sans appel, en son temps, et d'un très-petit nombre d'autres, ils n'exposent, pour la plupart, qu'une seule des allusions attachées à chacun des objets dont traitent successivement leurs chapitres. Or, nous l'avons redit souvent, quatre ordres d'acceptions sont attribués par les mystagogues chrétiens à chaque objet emblématique à savoir: le sens historique ou littéral, le sens anagogique, le sens tropologique et le sens allégorique; et le même objet qui, à l'un de ces points de vue, figure un être immatériel tel que Dieu, les esprits célestes etc., est, à un autre point de vue, la personnification d'une chose ou d'uu être

matériel, de l'Église, du corps des élus, du chrétien pris isolément, d'une vertu, d'un vice, de la masse des réprouvés, etc. Nous n'en donnerons qu'un exemple. Si, d'après un passage de saint Denis l'Aréopagite, cité par M. Hippeau (et dans lequel l'une des acceptions anagogiques des objets qui y sont nommés est seule exposée), les Anges ont eu pour emblémes certaines pierres précieuses, le lion, le bœuf, l'aigle, le cheval bai, le cheval blanc, le cheval noir et l'alezan, ces mêmes objets, d'après d'autres docteurs chrétiens et pris à d'autres points de vue ont d'autres significations; par des raisons puisées dans leurs qualités, leurs propriétés ou leurs nuances spécifiques, ces mêmes pierres précieuses représentent en même temps l'un ou l'autre des douze chefs des douze tribus d'Israël, l'un des douze Apôtres et plusieurs vertus à la fois; de même, le lion et l'aigle, par leurs caractères divers et par suite de traditions légendaires accréditées et très-curieuses, tout en représentant les Anges, sont, à d'autres points de vue, tantôt les emblèmes de Jésus-Christ, considéré dans certains caractères de son essence ou certains actes de sa vie, tantôt ceux du prince du mal; soumis à un joug lourd et âpre, le bœuf représente les Juifs, serviles observateurs de la lettre des Livres saints et d'onéreuses observances; modèle de haute patience, préparant les riches moissons et tous les produits de la terre, il personnifie aussi les pensées chrétiennes et saintes, le juste, les prédestinés, les pasteurs, les prédicateurs, les vierges même et les prêtres, en tant que consacrés à Dieu par la chasteté de la vie et le zèle d'un saint labeur; pris à son mauvais point de vue, le même animal personnifie les esprits pesants, comme le taureau caractérise l'indocilité, l'insolence et les révoltes de l'orgueil. Le cheval, dont le hennissement rappelle le son éclatant du clairon, frappant la terre de son pied et fendant les airs dans sa course,

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