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dix-huit ans !... Maintenant il en avait vingt-quatre et continuait à mener une vie philosophique et studieuse. On le disait même en relation avec plusieurs Français de distinction. Qu'on juge si Voltaire souhaitait que tout cela fût vrai, s'il était attentif à ces bruits qui commençaient à lui donner l'espérance d'un roi philosophe! C'était l'accomplissement du plus cher de ses vœux. Que le lecteur essaye donc de se figurer sa joie, lorsque, au mois d'août 1736 (étant pour quelque affaire à Paris, et au plus fort des tracasseries suscitées par l'abbé Desfontaines), il reçoit, de Berlin, une lettre couverte d'armoiries princières. Il l'ouvre, c'est une lettre du prince royal de Prusse, et voici ce qu'elle contient :

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<< MONSIEUR,

« Quoique je n'aie pas la satisfaction de vous connaître personnellement, vous ne m'en êtes pas moins connu par vos ouvrages. Ce sont des trésors d'esprit, si l'on peut s'exprimer ainsi, et des pièces travaillées avec tant de goût, de délicatesse et d'art, que les beautés en paraissent nouvelles chaque fois qu'on les relit. Je crois y avoir reconnu le caractère de leur ingénieux auteur qui fait honneur à notre siècle et à l'esprit humain.

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<< Vous insinuez le goût des sciences d'une manière si fine et si délicate, que quiconque a lu vos ouvrages respire l'ambition de suivre vos traces. Combien de fois me suis-je dit : Malheureux, laisse là un fardeau dont

le poids surpasse tes forces: l'on ne peut imiter Voltaire, à moins que d'être Voltaire même.

« C'est dans ces moments que j'ai senti que les avantages de la naissance et cette fumée de grandeur dont la vanité nous berce, ne servent qu'à peu de choses, ou pour mieux dire à rien. Ce sont des distinctions étrangères à nous-mêmes et qui ne décorent que la figure. De combien les talents de l'esprit ne leur sont-ils pas préférables! que ne doit-on pas aux gens que la nature a distingués parce qu'elle les a fait naître elle se plaît à former des sujets qu'elle doue de toute la capacité nécessaire pour faire des progrès dans les arts et dans les sciences; et c'est aux princes à récompenser leurs veilles. Eh! que la gloire ne se sert-elle de moi pour couronner vos succès! Je ne craindrais autre chose, sinon que ce pays peu fertile en lauriers n'en fournît pas autant que vos ouvrages en méritent.

<< Si mon destin ne me favorise pas jusqu'au point de pouvoir vous posséder, du moins puis-je espérer de voir un jour celui que depuis si longtemps j'admire de si loin, et de vous assurer de vive voix que je suis avec toute l'estime et la considération due à ceux qui suivent pour guide le flambeau de la vérité, consacrent leurs travaux au public.

<< Monsieur, votre affectionné ami.

« FRÉDÉRIC, P. R. de Prusse. »>

Votre ami! Le fils d'un roi, à lui Voltaire, écrire du fond de l'Allemagne, une telle lettre !... Parler de le

défendre, lorsque le fanatisme le persécutait impunément chez les Welches ! Dans une cour, à vingt-quatre ans, avec l'espoir d'être roi, s'occuper de métaphysique ! traduire Wolf! Être imbu, à Berlin, de la philosophie française; analyser la Henriade, Alzire, la · Mort de César! Être prince, et songer au bonheur des hommes !... Voltaire avait les larmes aux yeux. «< Ah! prince admirable! s'écria-t-il en relisant sa lettre, jeune héros, Salomon du Nord! tu es l'espérance du genre humain et tu en seras les délices !... » Et sur-lechamp il lui répond :

<< MONSEIGNEUR,

<<< Il faudrait être insensible pour n'être pas touché de la lettre dont Votre Altesse Royale a daigné m'honorer. Mon amour-propre en a été trop flatté; mais l'amour du genre humain que j'ai toujours eu dans le cœur, et qui, j'ose dire, fait mon caractère, m'a donné un plaisir mille fois plus pur quand j'ai vu qu'il y a dans le monde un prince qui pense en homme, un prince philosophe qui rendra les hommes heureux..

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« Je regarderais comme un bonheur bien précieux celui de venir faire ma cour à Votre Altesse Royale. On va à Rome pour voir des églises, des tableaux, des ruines et des bas-reliefs. Un prince tel que vous, mérite bien mieux un voyage; c'est une rareté plus merveilleuse. Mais l'amitié qui me retient dans la retraite où je suis, ne me permet pas d'en sortir. Vous pensez sans doute comme Julien, ce grand homme si calom

nié, qui disait que les amis doivent toujours être préférés aux roi.

«< Dans quelque coin du monde que j'achève ma vie soyez sûr, Monseigneur, que je ferai continuellement des vœux pour vous, c'est-à-dire pour le bonheur de tout un peuple. Mon cœur sera au rang de vos sujets; votre gloire me sera toujours chère. Je souhaiterai que vous ressembliez toujours à vous-même, et que les autres rois vous ressemblent.

« Je suis avec un très-profond respect, de Votre Altesse Royale, le très-humble, etc.. >>

Voltaire était trop heureux pour s'en tenir à la prose; quelques jours après cette lettre, il lui adresse l'épître

en vers:

Prince, il est peu de rois que les muses instruisent.
Peu savent éclairer les peuples qu'ils conduisent.

De son côté, le futur héros, le Salomon du Nord, ne voulut pas rester en arrière, et balbutia des vers comme il put; mais si ces vers étaient mauvais, sa prose faisait certainement pressentir un grand homme, dans le génie duquel se mêlait on ne sait quoi de bizarre...

Ce que put devenir entre ces deux hommes, une correspondance ainsi commencée, le lecteur peut se le figurer; qu'on lise les quatre premières années de cette correspondance (1736-1740), c'est-à-dire depuis son origine jusqu'à l'avénement de Frédéric au trône. M. J. Clogenson à quatre-vingt-dix ans, vieilli ou plutôt rajeuni dans l'étude de ce dix-huitième siècle,

disait de Frédéric et de Voltaire : « Ils ont été les deux yeux de l'Europe.» Parole originale et judicieuse parfaitement confirmée par la correspondance du philosophe et du monarque. Ajoutons qu'à ce moment Voltaire a quarante six ans, que Frédéric en a vingt-huit, et madame du Chatelet trente-cinq, et que nous sommes toujours à Cirey.

XVIII

Nous sommes à Cirey, mais la persécution, mais le procès de madame du Chatelet continuent à nous faire aller de temps en temps en Hollande. Voltaire, dans un de ces voyages, s'arrêta à Leyde, consulta sur sa santé le célèbre docteur Boerhaave, car, malgré sa vie plus que jamais active, il n'avait cessé de souffrir des entrailles et de l'estomac, et la fièvre ne le quittait presque point. D'ailleurs l'impatience de son caractère n'avait fait que s'accroître; l'amitié de Frédéric, qu'il sentait bien devoir être un jour la grande personnalité royale de son siècle, le rendait encore plus terrible contre les folliculaires qui avaient l'audace d'attaquer en sa personne, l'autorité de la raison et de la philosophie, et cela lorsque l'Europe entière l'honorait, lorsque l'Angleterre, la Hollande, la Prusse lui offraient un asile, des titres et de riches pensions. Aussi jamais ne fut-il plus implacable pour Desfon

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