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<«< autrefois, en bonne compagnie! Songez qu'une bou<< teille qui a été fêtée, quand elle était pleine d'eau « des Barbades, est jetée dans un coin dès qu'elle est « cassée, et qu'elle reste en morceaux dans la pous«<sière; que voilà ce qui arrive à tous ceux qui n'ont «< songé qu'à être admis à quelques soupers ; et que la << fin d'un vieil inutile infirme est une chose bien « pitoyable. Si cela ne vous excite pas à secouer l'en« gourdissement dans lequel vous laissez tomber votre « âme, rien ne vous guérira. Si je vous aimais moins, « je vous plaisanterais sur votre paresse; mais je vous « aime et je vous gronde beaucoup.

<< Cela posé, songez donc à vous, et puis songez à « vos amis; buvez du vin de Champagne avec des gens << aimables, mais faites quelque chose qui vous mette << en état de boire un jour du vin qui soit à vous. << N'oubliez point vos amis, et ne passez pas des mois << entiers sans leur écrire un mot. Il n'est point ques«<tion d'écrire de longues lettres pensées et réfléchies << avec soin, qui peuvent un peu coûter à la paresse; << il n'est question que de deux ou trois mots d'amitié << et quelques nouvelles, soit de littérature, soit des << sottises humaines, le tout courant sur le papier sans << peine et sans attention. Il ne faut pour cela que se << mettre un demi-quart d'heure vis-à-vis de son écri«toire. Est-ce donc là un effort si pénible? J'ai d'au<«<tant plus d'envie d'avoir avec vous un commerce « régulier, que votre lettre m'a fait un plaisir extrême. << Je pourrai vous demander de temps en temps des << anecdotes concernant le siècle de Louis XIV: Comp

«< tez qu'un jour cela peut vous être très-utile, et que << cet ouvrage vous vaudrait vingt volumes de Lettres « philosophiques

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« Ecrivez-moi, et aimez toute votre vie un homme << vrai qui n'a jamais changé. »

Voltaire ne veillait pas seulement sur ses amis, il veillait sur l'Europe entière. Les nations étaient l'héritage, le patrimoine de la philosophie française, et Voltaire en fut comme le père de famille, comme l'instituteur. Son œuvre était, à ses propres yeux, une œuvre d'éducation publique. Regardez-le, il a l'œil à tout, il interroge, il gourmande, il montre la férule aux sots et aux hypocrites. Il a ses sous-maîtres et ses surveillants, bien stylés par lui, depuis Madrid jusqu'à Saint-Pétersbourg, depuis Londres jusqu'à Constantinople. Tout l'inquiète, tout l'agite. Que fait-on chez les Welches? Que se passe-t-il en Angleterre, en Hollande, en Suède, en Italie ? Ces peuples sont-ils sages, s'instruisent-ils? Ouvriront-ils enfin leurs yeux à la lumière? Vont-ils secouer le joug des charlatans, vaincre l'esprit de secte, détruire le fanatisme? La tolérance, la raison, font-elles des progrès parmi eux? « O chers amis, disait-il avec joie, travaillons, c'est <«<l'heure; le signe est apparu d'une aurore nouvelle!...» Et il ajoutait en riant: « Allez et instruisez, c'est << l'œuvre du Seigneur. » Mais en riant, il disait vrai. Et cette œuvre du Seigneur, il en fit la sienne et ne l'abandonna pas un seul instant pendant soixante ans. Heurtez quand vous voudrez à sa porte, de jour, de nuit, et jusque dans ses rêves, vous le trouverez occupé

à cette œuvre. Il n'en a pas d'autre : livres, pamphlets, poëmes, tragédies, qu'est-ce que tout cela pour lui, sinon des moyens de faire avancer l'œuvre? Remarquez bien, en effet, que la plupart de ses livres écrits avec tant de passion, il finit par les abandonner lui-même, et par les oublier et les critiquer (ce qu'il fit par exemple pour la Henriade), mais l'œuvre pour laquelle il les avait écrits, l'oublie-t-il un seul jour? Cesse-t-il de s'en préoccuper au point de tomber dans des accès de fièvre quand les choses ne vont point à son gré?

Au temps de son installation à Cirey, la France, décrépite, était gouvernée par un ministre de quatrevingts ans, le cardinal de Fleury; le roi, jeune encore, était peu connu; les Welches étaient en délire : tout semblait gros d'orages, l'avenir effrayait. La Hollande s'affaiblissait et déjà ne pouvait plus compter comme nation maritime; la Suède languissait, la Pologne venait de disparaître.

Au milieu de ces bouleversements « deux puissances « se formaient, dit Voltaire, dont l'Europe n'avait << point entendu parler avant ce siècle. La première <«< était la Russie, que le czar Pierre le Grand avait tirée « de la barbarie. Cette puissance ne consistait, avant <«<lui, que dans des déserts immenses et dans un << peuple sans lois, sans discipline, sans connaissances, << tels que de tout temps ont été les Tartares; cet «< empire nouveau commença à influer sur toutes les << affaires, et à donner des lois au Nord, après avoir << abattu la Suède.

« La seconde puissance, établie à force d'art, et sur

<< des fondements moins vastes, était la Prusse. Ses «forces se préparaient... >>

Si une réforme nouvelle ne venait arracher l'Europe aux abus et à l'imbécillité, les nations catholiques semblaient précipitées vers une décadence prochaine. Montesquieu écrivait : « Il est impossible que le christianisme subsiste plus de cinq cents ans. » Déjà, en effet, parmi les vieilles nations européennes, la plus florissante était la protestante Angleterre; et ces deux puissances nouvelles, la Russie et la Prussé, étaient hérétiques, Voltaire ne perdait pas un détail de leur progrès; il les observait d'un œil attentif, comme un père ses plus jeunes enfants. Il pensait que peut-être celles-là étaient appelées à réformer les autres, ou tout au moins à les exciter au réveil. Nous le verrons répéter avec humeur à ses compatriotes : « Tout nous vient du Nord. » Seulement, dans ces moments-là, il s'oubliait lui-même, il oubliait cette philosophie française dont il était le chef et qui éclairait l'Europe entière. C'était sa propre lumière que la Russie elle-même lui réfléchissait, et il criait aux Welches, dans son impatience: « Eh! malheureux, vous êtes dans les ténèbres! »

XV

Pendant que tout languit chez les nations catholiques et que Voltaire songe à leur reconstituer une autorité morale; lorsque, Newton en main, il se sent

invincible, voici qu'un misérable abbé, l'abbé Desfontaines, celui même qui avait été mis à Bicêtre, condamné à mort (on sait pourquoi) et que Voltaire avait sauvé du supplice au péril de sa vie (s'étant fait transporter presque mourant à Versailles pour obtenir sa grâce); voici, dis-je, que l'abbé Desfontaines, au sortir de Bicêtre, publie contre lui un libelle infâme. Et notez que Voltaire avait gardé le secret le plus profond sur les causes (du reste assez connues) de l'emprisonnement de Desfontaines, et qu'il le garda même encore quelque temps après la publication de l'odieuse brochure. Cette brochure était intitulée la Voltairomanie. On ne peut imaginer jusqu'où allait l'impudence du malheureux abbé. Il avait, quelque temps auparavant, au grand scandale de Voltaire, publié à Evreux (Desfontaines était Normand) une édition subreptice de la Henriade, dans laquelle il intercala des vers de sa composition, platement satiriques, contre des personnes vivantes estimées de Voltaire; et, dans la Voltairomanie, il lui reprochait ses vers de la Henriade qu'il y avait interpolés lui-même. Et croira-t-on que Desfontaines, à l'appui de ses calomnies, osait invoquer le témoignage de Thieriot? Voltaire, dans le premier moment, crut que Thieriot ferait à Desfontaines une réponse accablante; il attendit donc, croyant n'avoir pas à s'occuper lui-même de cette affaire; mais Thieriot, âme molle, à qui tout était devenu indifférent, même l'honneur de ses amis, continuait à boire le bon vin de la Poplinière. D'ailleurs, il craignit, s'il répondait, que Desfontaines, l'attaquant lui-même, ne vînt

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