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ses mœurs, tout était digne d'un respect éternel aussi bien que ses livres sur l'attraction, sur la lumière et sur le calcul de l'infini. Newton n'avait pas été seulement le plus profond génie spéculatif, il avait été un artisan habile (comme on a vu Watt depuis): de ses propres mains il avait construit le premier télescope de réflexion. Un tel homme honorait toute l'espèce humaine, et montrait jusqu'à quelle puissance et quelle élévation peuvent atteindre son génie et sa sagesse,

Et cependant, dans ce génie même, une chose affligeait Voltaire: Newton s'était mêlé aux disputes théologiques de son temps, il avait en quelque sorte fortifié l'esprit de secte, en se faisant, ou peut s'en faut, de la doctrine d'Arius... il avait (comme chez nous Bossuet, hélas !), commenté l'Apocalypse, et il y avait cru voir que le pape était l'Antechrist. Rien n'affligeait plus Voltaire qu'une telle faiblesse dans un si grand homme. «< Ah! disait-il, quelle pauvre espèce « que le genre humain, si le grand Newton a cru trouver << dans l'Apocalypse l'histoire actuelle de l'Europe! >>

La nouvelle de la mort d'une sœur qu'il aimait beaucoup vint aussi, pendant quelque temps, le replonger dans ses sombres pensées. Sauf les Lettres anglaises adressées à Thieriot, il n'est resté de lui, pendant son séjour à Wandsworth, qu'une lettre : elle est adressée à la présidente de Bernières. « Souvenez-vous quel« quefois de moi, lui dit-il, et mettez la constance « dans l'amitié au nombre de vos vertus. Peut-être que << ma destinée me rapprochera un jour de vous. Laissez<< moi espérer que l'absence ne m'aura point entière

«ment effacé de votre idée, et que je pourrai retrou<«< ver dans votre cœur une pitié pour mes malheurs « qui, du moins, ressemblera à l'amitié...

((.....

Je pourrai bien revenir à Londres incessam<< ment et m'y fixer. Je ne l'ai encore vu qu'en passant. <«< Si à mon arrivée j'y trouve une lettre de vous, je << m'imagine que j'y passerai l'hiver avec plaisir, si << pourtant ce mot plaisir est fait pour être prononcé <«< par un malheureux tel que moi. C'était à ma sœur à <«< vivre et à moi de mourir. C'est une méprise de la « destinée. Je suis douloureusement affligé de sa « perte. Vous connaissez mon cœur, vous savez que « j'avais de l'amitié pour elle, je croyais bien que ce << serait elle qui porterait le deuil de moi. Hélas! ma<«< dame, je suis plus mort qu'elle pour le monde et << peut-être pour vous. Oubliez tout de moi... ))

Ce chagrin était augmenté par la douleur de se sentir en exil. Il est vrai qu'on lui fit à Londres un accueil capable de le consoler des persécutions qu'il avait essuyées dans sa patrie. La Henriade, qu'il ne lui avait pas été permis en France de dédier au roi, la reine d'Angleterre se faisait un honneur aux yeux de l'Europe d'en accepter l'hommage. Dans l'épître dédicatoire, écrite en anglais, mais brève et pleine de no blesse, Voltaire fait très-bien comprendre qu'en composant ce livre, il eut moins pour but le poëme en lui-même que de faire entendre aux rois et aux peuples quelques vérités utiles. «Votre Majesté, lui «< dit-il, trouvera dans ce livre des vérités bien grandes : <«< la morale à l'abri de la superstition, l'esprit de li

« berté également éloigné de la révolte et de l'oppres<«<sion, les droits des rois toujours assurés et ceux du

peuples toujours défendus. Le même esprit dans <<< lequel il est écrit me fait prendre la liberté de l'offrir << à la vertueuse épouse d'un roi qui, parmi tant de « têtes couronnées, jouit presque seul de l'honneur << sans prix de gouverner une nation libre. »

Telle fut la manière dont il acquitta envers l'Angleterre la dette de l'hospitalité.

Après deux ans de séjour à Wandsworth, il vint s'installer à Londres, ainsi qu'il l'avait écrit à madame de Bernières, et il y resta un an, continuant ses recherches et ses conversations. Il les continua si bien, qu'il finit (on est honteux de le dire) par devenir suspect au gouvernement britannique on prit l'auteur de la Henriade, le propagateur futur des doctrines de Newton, pour un espion du roi de France.

Eh! milords, Voltaire est plus que cela au milieu de l'Europe féodale, entre les rois et les peuples, il est l'espion des temps à venir; son œil est celui de la vraie justice, son oreille est celle où seront entendus les cris des victimes du fanatisme et de la tyrannie. Le rapport que cet espion prépare ne sera pas seulement déposé aux mains d'un roi impuissant, quel qu'il soit, à remédier seul à tant de désordres et à tant de misères, il sera dans des centaines d'écrits, de discours, de pamplets, de poëmes, proclamé à grand bruit par d'infatigables hérauts en présence des nations assemblées, et les principaux Pères réunis en ce libre concile, sous la présidence de Voltaire, s'appel

leront Montesquieu, Buffon, J.-J. Rousseau, d'Alembert, Diderot, Newton, Locke, Beccaria, Algarotti, Franklin, (Franklin dont Voltaire bénira l'entreprise lorsqu'il s'agira d'affranchir l'Amérique). Ah! milords, en sage politique, prenez garde!

Heureusement, dans l'intervalle de trois ans que Voltaire passa en Angleterre, des changements eurent lieu en France dans le ministère et il lui fut permis de revoir sa patrie. Il en profita vite, car les choses pouvaient changer de nouveau. Il dit adieu en grande hâte à milord Bolingbroke, à Pope, à Shaftesbury, à tous les free thinkers, et le voici de retour au milieu des chers Welches.

XII

Les Welches sont grands questionneurs. Pour éviter leurs importunités, Voltaire n'avertit de son retour que quelques amis, et alla se loger incognito dans une petite maison du faubourg Saint-Marceau. Au milieu du désordre où il trouvait la .France, agitée par une bulle du pape et par les horribles miracles des convulsionnaires jansénistes sur la tombe du diacre Paris, ne pouvant retenir sa pensée et s'attendant à toute heure à quelque nouveau coup de foudre (la Bastille ou l'exil), il se disposait à mettre en ordre et en petits paquets pour la circulation l'étonnante cargaison

scientifique qu'il avait apportée d'Angleterre. Les Welches étaient fous de théâtre, il termine vite deux tragédies commencées à Wandsworth, dont l'une, la Mort de César, était (autant que les règles le permettaient) imitée de Shakspeare; mais, pour préparer le public à cette innovation, il jugea à propos de donner d'abord Brutus. La dernière scène de cette tragédie était certainement une des plus belles qu'il y eût au théâtre jamais, depuis Corneille, d'aussi nobles accents n'avaient retenti sur la scène française. Mais Voltaire aurait dû prévoir que ce joli monde des petits soupers ne comprendrait plus ce langage: la pièce n'eut que peu de succès; il reconnut son erreur. «< Sur « les théâtres de Londres, dit-il, on bat des mains au «< mot de Patrie, et sur ceux de Paris à celui d'amour. » Aussi avant de hasarder la Mort de César devant nos petits messieurs de Versailles, se promit-il bien, pour les satisfaire, pour les forcer à l'applaudir, de leur donner une pièce où tout serait amour. Avant de prendre la parole sur les choses plus sérieuses qu'il voulait enseigner à la France, Voltaire tenait à donner à son nom l'autorité d'un grand succès.

Brutus cependant fut traduit dans toutes les langues. L'auteur ne l'imprima en France qu'avec les plus grandes précautions et en l'accompagnant d'une longue préface sur les différences entre la tragédie française et la tragédie anglaise, et il dédia sa pièce à milord Bolingbroke.

<< Si je dédie à un Anglais, lui dit-il, un ouvrage << représenté à Paris, ce n'est pas, milord, qu'il n'y ait

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