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remarquer les dérangements terribles auxquels pouvait être exposée cette vaste machine. D'ailleurs, malgré sa joie de trouver en Angleterre l'occasion d'opposer à ses compatriotes l'exemple d'un peuple à la fois libre et prospère, il était bien aise aussi de rabaisser quelquefois l'orgueil d'une nation qui, se voyant ainsi flattée, se crut naïvement un objet d'adoration pour tout le monde, et il écrivit ces lignes:

«En Angleterre, plus qu'en aucun autre pays, s'est signalée la tranquille fureur d'égorger avec le glaive prétendu de la loi... Il suffit de réfléchir sur le sup<< plice de la reine Anne de Boulen, de la reine Cathe«rine Howard, de la reine Jeanne Gray, de la reine «Marie Stuart, du roi Charles Ier, pour justifier celui <«< qui a dit que c'était au bourreau d'écrire l'histoire « d'Angleterre. »

Mais ce qui excita en lui un enthousiasme quasi sans réserve, ce fut Newton, là était, à ses yeux, la gloire de l'Angleterre il lui était bien permis désormais de faire de la mécanique sur le terre, puisqu'elle avait trouvé la mécanique céleste. Newton avait été son plus grand homme, et la nation, de son vivant même, se reconnaissant en lui, l'avait applaudi, comblé d'honneurs, et lui avait fait à sa mort les mêmes funérailles qu'à ses rois et l'avait déposé dans le même tombeau. Voltaire fut témoin de ce spectacle, et son émotion fut inexprimable en songeant que, partout ailleurs, les grands hommes n'avaient été jusqu'ici que persécutés; que Descartes lui-même avait connu l'exil.

L'Angleterre avait d'autant plus de raison d'être fière

de la révolution accomplie dans les cieux par Newton, que cette découverte (la plus grande qui eût jamais été faite) était une œuvre toute anglaise, où les autres nations semblaient n'avoir nulle part. Toute découverte importante se fait pressentir longtemps d'avance et plusieurs peuples semblent y concourir (nous l'avons vu depuis pour les machines à vapeur); mais ici l'Angleterre jusque dans les précédents avait bien seule la gloire de l'invention. Un seul homme avait pressenti les lois de l'attraction : c'était un Anglais, c'était le chancelier François Bacon, dans son Novum scientiarum organuт.

Voltaire étudia à Wandsworth les livres de Newton et se proposa de les faire connaître au monde entier. Et nous verrons qu'il tint parole.

Après Newton, ce qu'il aima le plus en Angleterre, ce fut le sage Locke, dont il propagea aussi la philosophie en France, au grand scandale de la Sorbonne, et des académies, et du gouvernement même, et des dévots, devenus cartésiens après avoir persécuté Descartes, lorsqu'il vivait. Locke semblait être un corollaire de Newton: Il introduisait dans la philosophie un élément qui jamais n'en devait être complétement distrait dans la suite. La vraie science dut en effet depuis tenir compte du rôle de la matière dans la psychologie même. Eh! sait-on, disait Locke, où s'arrêtent les propriétés de la matière? La physique faisait donc son entrée dans la philosophie : quoi de plus naturel après les grandes découvertes physiques de Newton, de Kléper, de Galilée !

Ce que Voltaire admira encore, ce fut la Société royale de Londres, composée des savants anglais les plus illustres; au sein de cette assemblée Robert Boyle fit connaître ses découvertes, Harvey démontra la circulation du sang, Wren et Wallis exposèrent leurs savants calculs, Halley ses découvertes astronomiques, Newton, enfin, fit connaître la loi sublime qui règle la marche des mondes. Le roi, le peuple, ne dédaignaient pas de choisir dans cette société leurs plus importants dignitaires; ainsi, lorsque par toute l'Europe les savants, les philosophes, les grands inventeurs, languissaient dans la pauvreté et l'humiliation, et souvent encore étaient persécutés, on voyait à Londres :

Newton, directeur des monnaies et membre du parlement;

Locke, à la tête du bureau du commerce;
Addisson, ministre ;

Prior, ambassadeur;

Steele, membre du parlement;

Wanbruck, membre du parlement, etc., etc.

On voit que de choses nouvelles il avait à apprendre à Thieriot dans ses Lettres anglaises: c'était, en politique, en philosophie, en littérature, comme la découverte d'une autre Amérique. Les lecteurs français, en lisant ces lettres que Thieriot s'empressait de traduire et de faire circuler manuscrites, en croyaient à peine leurs yeux, c'était pour eux un monde renversé; tout semblait être, en Angleterre, le contraire de ce que l'on voyait en France. «Un Français qui arrive à Lon<< dres, écrivait Voltaire, trouve les choses bien chan

«< gées en philosophie comme dans tout le reste. Il a << laissé le monde plein, il le trouve vide. A Paris, on « voit l'univers composé de tourbillons de matière sub<<'tile; à Londres, on ne voit rien de cela... l'essence « même des choses a totalement changé. »

Thieriot, auquel s'adressaient les Lettres anglaises, était malheureusement un esprit frivole; de là, pour lui plaire, le ton quelquefois léger de ces lettres : aussi, afin de ne pas trop l'effrayer, le sujet sur lequel il insiste le plus, c'est la littérature et surtout la littérature dramatique. Jamais en France, avant lui, on n'avait entendu parler de Shakspeare, il l'y fit connaître; lui seul était capable d'insinuer qu'avec un nom de prononciation si étrange pour nos petits-maîtres, on pouvait avoir du génie. Il en traduisit quelques scènes : nos Parisiens riaient des hardiesses de cet esprit sauvage; alors, se sentant le droit de les ramener au sérieux, il ajoutait : « C'est pourtant dans ce même << homme qu'on trouve des morceaux qui élèvent l'ima<< gination et qui pénètrent le cœur. C'est la vérité, c'est « la nature elle-même qui parle son propre langage << sans aucun mélange d'art. C'est du sublime, et l'au<< teur ne l'a point cherché. » Il osait donner la traduction littérale du monologue d'Hamlet: To be...

Qu'on juge de l'étonnement des lecteurs de Versailles !

Ce n'était pas seulement Shakspeare, Newton, Locke, qu'il faisait connaître à la France, c'étaient Pope, Addisson, Prior, Swift, Congrève, Thomson, Milton, Dryden, Waller. Parmi nos écrivains, le seul La Fon

taine jusqu'ici avait un peu connu la littérature anglaise. Mais tout ce qui n'était point France aux yeux des Français semblait ne mériter aucune attention. Voltaire nous accoutuma, non pas certes à perdre le sentiment national, mais à l'étendre, à le propager et l'enrichir; avec lui commença entre toutes les nations un grand commerce littéraire et philosophique; iļ prenait de chacune ce qu'elle avait de meilleur, et, en le donnant à la France, il le donnait au monde, car chaque peuple, et surtout l'Angleterre, semble exister pour soi, mais la France existe pour le monde : ce qui est à elle est à tous. Newton lui-même ne fut connu et adopté de l'Europe que lorsqu'il eut passé par la France la gloire de Shakspeare ne devint européenne que lorsqu'elle eut reçu la sanction de la France. Voltaire voulait donc une littérature qui, en restant la plus haute expression de l'esprit national, devînt en même temps l'expression de la pensée humaine. Cela seul lui paraissait digne de la France; il voulait que par elle on entendît enfin la voix du monde. Voilà pourquoi il s'applique avec tant d'ardeur à retrouver chez toutes les nations, même les plus sauvages, la manifestation d'une même conscience et d'une raison commune. Il comprit et voulut faire comprendre à tous que, malgré leurs cultes divers, les nations sont sœurs, nées pour l'amour, non pour la haine et la guerre.

Mais sa joie la plus vive, fut Newton plus il étudiait ce grand homme, plus il lui semblait apercevoir en lui quelque chose de véritablement divin. Sa vie,

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