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Les questions religieuses, après les questions philosophiques, ne manquaient pas de se présenter dans les entretiens de Wandsworth; les free thinkers commençaient pár traiter de fourbes tous les fondateurs de dogmes et de religions. Voltaire prenait la défense de quelques-uns d'entre eux, de Zoroastre, de Thalès, de Pythagore, de Numa; il tâchait même de leur démontrer qu'il y avait eu des éléments de sagesse jusque dans ce Mahomet terrible; que tous ces hommes avaient fait pour des fractions du genre humain ce qu'il serait peut-être bon de refaire maintenant pour la totalité; qu'ils avaient réuni sous une même loi des tribus éparses, souvent ennemies. Mahomet, par exemple, le plus rapproché de nous, et par conséquent le mieux connu, avait évidemment mis un peu d'ordre dans ce vaste Orient.

Si de Mahomet on remontait à Moïse, Bolingbroke niait d'abord tout crûment que celui-là eût jamais existé ; et il appuyait son dire de tant de citations, de tant de textes, de tant et de si longs raisonnements, quelquefois si diffus qu'il était difficile de lui répondre. D'ailleurs Bolingbroke haïssait la Bible d'une haine si violente, qu'il faisait partager ses impressions lorsqu'il racontait qu'elle était, en Angleterre, le livre des fanatiques et de tous les sectaires; que quelquesuns d'entre eux la lisaient le poignard à la main, et il en citait des passages qui faisaient frémir. La haine de Bolingbroke s'étendait aux anciens juifs et à tout ce qui venait d'eux leur pauvreté, leur ignorance, leur esclavage perpétuel sous les autres nations, leurs

larmes dans le désert, paraissaient autant de turpitudes au gentleman comblé de richesses, de sciences, de gloire et de tous les trésors de ce monde.

Parlait-on de Jésus, il avait été Juif: Bolingbroke, sans hésiter, le mettait au rang des plus punissables coquins. « C'était, disait-il, un misérable de la lie du peuple, un perturbateur de l'ordre public, un séditieux, un fourbe, un énergumène. » Milord ne lui pouvait pardonner d'avoir été un vil charpentier, et de s'être introduit dans le conseil des hauts seigneurs juifs, scribes et pharisiens, qui, après tout, avaient pour eux la loi. Aussi la seule action sage qu'eût jamais faite le prétendu peuple de Dieu, suivant Bolingbroke, c'était d'avoir pendu ce Jésus entre deux voleurs.

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Mais, demandait Voltaire, que lui reprochezvous? Je n'ignore pas les sottises et les crimes qui, depuis lui, se sont commis en son nom; mais, personnellement, qu'avait-il fait pour mériter la mort? Ses mœurs étaient pures, sa doctrine toujours conforme aux lois de la morale. Il prêchait dans les synagogues; mais cela était permis à Jérusalem comme parmi vos quakers. Vous l'appelez şéditieux; mais il ne conspira jamais, et ses armes furent la douceur, la raison, la patience et l'amour des hommes. D'ailleurs il est impossible de se faire croire quand on est méprisé. Quelque chose qu'on ait écrit de lui, il fallait qu'il eût de l'activité, de la force, de la douceur, de la tempérance, l'art de plaire, et surtout de bonnes mœurs; j'oserais l'appeler un Socrate rustique : tous

deux prêchant la morale, tous deux ayant des disciples et des ennemis, tous deux disant des injures aux prêtres, tous deux suppliciés et divinisés. Quoi ! nous plaindrions Jean Hus, Jérôme de Prague, l'archevêque Cranmer, Dubourg, Servet, etc., etc., et nous ne plaindrions pas Jésus!

BOLINGBROKE.

Pourquoi le plaindre? Il a établi une secte sanguinaire qui a fait couler plus de sang que les guerres les plus cruelles de peuple à peuple n'en ont jamais répandu.

VOLTAIRE.

Non, milord; j'ose avancer, mais avec les hommes les plus instruits et les plus sages, que Jésus n'a jamais songé à fonder cette secte. Le christianisme, tel qu'il a été dès le temps de Constantin, est plus éloigné de Jésus que de Zoroastre ou de Brama. Jésus est devenu le prétexte de nos doctrines fantasques, de nos persécutions, de nos crimes religieux; mais il n'en a pas été l'auteur. Vous condamnez le christianisme absurde et barbare, tel que Rome l'a fait; Jésus aurait condamné, ainsi que yous, ce christianisme absurde et barbare qui avilit l'âme et fait mourir le corps de faim, en attendant qu'un jour l'un et l'autre soient brûlés de compagnie pendant l'éternité; christianisme qui, pour enrichir des moines et des gens qui ne valent pas mieux, a réduit les peuples à la mendicité, et par conséquent à la nécessité du crime; christianisme qui pouvait consoler la terre

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et qui l'a couverte de sang, de carnage et de malheurs innombrables.

Tels étaient les entretiens de Voltaire à Wandsworth; ils ne s'effacèrent point de son souvenir; luimême les a reproduits plus tard dans un de ses pamphlets, et cela dans un temps où il n'aurait pu qu'affaiblir ses objections à milord Bolingbroke.

Quelquefois des hommes de diverses sectes se trouvaient réunis avec les free thinkers, et la discussion s'échauffait davantage, car tous, chez les Anglais, n'étaient pas tolérants, et les théologiens de ce payslà se disaient autant d'injures que les nôtres.

Mais Voltaire, après ces débats sur Dieu, sur l'homme, sur la prescience divine, sur le libre arbitre, sur les propriétés de la matière, tant débattues depuis Locke, sur le Tout est bien et sur les maux affreux de ce monde, en revenait à cette exclamation d'un de ses pamphlets; «O homme! Dieu t'a donné l'entendement « pour te bien conduire et non pour pénétrer l'essence « des choses qu'il a créées... Nous avons un jour à «< vivre, passons-le doucement, sans nous quereller « pour des difficultés qui seront éclaircies dans la vie <«< immortelle qui commencera demain.»

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Abandonnant donc et la théologie et la métaphysique, il s'entretenait des choses de ce monde; il se faisait expliquer par Bolingbrocke le mécanisme et le jeu de la constitution anglaise, tâchant d'en bien apprécier les poids, les contre-poids et les balancements. «Dans notre système, lui disait Bolingbroke, tout se

meut suivant le cours naturel de la gravitation, il ne faut que bien équilibrer cette horloge. » Et ce système paraissait à milord devoir servir de modèle à toutes les nations; mais Voltaire pensait à la France, et il n'admettait qu'avec une demi-confiance qu'on s'y pût jamais régler par ces savantes pondérations. Les pauvres Welches étaient bien légers, bien inconséquents, bien oublieux et bien imprévoyants; mais ils étaient les fils de la spontanéité, il y avait chez eux des ressources, des inspirations subites, des folies même, qui ne se pouvaient ni peser, ni mesurer, ni calculer d'avance aussi semblaient-ils se plaire dans un provisoire continuel.

Mais Voltaire (comme Montesquieu, un peu plus tard) fut frappé de voir combien l'Angleterre avait appris à mettre en pratique tout ce qui pouvait l'enrichir. Il comprit que le négoce allait devenir plus que jamais un élément de puissance, et jugea que toutes les nations devaient, à son exemple, développer leurs industries, mais que la condition première d'un tel développement, c'était la liberté.

On ne peut, de nos jours, se figurer combien d'obstacles (et de quelle nature !) rencontrait en France toute transaction, non pas à l'extérieur seulement, mais de village à village : une livre de beurre ne se↓ pouvait porter librement au marché ; vin, cidre, ne se pouvaient remuer sans formalités et sans droits innombrables. Défense d'exporter les grains! En Angleterre, au contraire, depuis 1689, on donnait des récompenses à l'exportation, et l'Angleterre, par cette

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