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XI

Voltaire, après avoir été présenté au roi Georges Ier et à la reine, pria milord de lui indiquer, en dehors de la ville, quelque retraite où il put se livrer sans distractions à une étude sérieuse de l'esprit et des institutions du pays.

Cette retraite, dans une solitude profonde, à deux lieues de Londres, à Wandsworth, lui fut offerte par un riche négociant anglais, M. Falkener, homme des plus distingués par son esprit, et à qui Voltaire, plus tard, dédia sa tragédie de Zaïre.

Pendant deux ans il ne sortit de cette retraite que pour venir à d'assez rares intervalles, passer une journée à Londres. Les questions religieuses eurent ses premiers soins à Wandsworth. L'Angleterre était alors, comme toujours, divisée en sectes nombreuses, il voulut les connaître et les étudier toutes. Ces sectes exclusives et sans grandeur ne le satisfaisaient point; mais ce qu'il admira, ce fut cette liberté que le gouvernement et que l'Église anglicane (religion officielle) leur laissaient de discuter publiquement sur la théologie et sur la morale. Cette liberté le rendit indulgent pour l'Église anglicane; son enthousiasme toutefois ne l'empêcha pas de mêler quelques critiques à ses éloges c'est ainsi que s'il la félicite quelque part de

tenir très-sagement, dans son culte, le milieu entre les pompes romaines et la sécheresse calviniste, il observe ailleurs que le clergé anglican a retenu plusieurs des cérémonies catholiques, surtout celle de recevoir les dîmes avec une attention très-scrupuleuse. Il apprit à l'Europe, qui les croyait opposées en tout, qu'il existait ce point commun entre les deux Églises.

Il observe, avec justice, que les prêtres, en Angleterre, ont des mœurs; seulement ils vont quelquefois au cabaret (parce que tel est à Londres. l'usage universel); mais s'ils s'enivrent, c'est sérieusement et sans scandale.

Parmi tant de sectes, il en fut une qui excita plus que les autres son attention, ce fut celle des quakers. Il alla trouver les plus célèbres d'entre eux, les pria de l'instruire, sourit d'abord de leurs chapeaux à grands bords, de leurs habits sans plis et sans boutons, et de leur nasillement; mais après s'être diverti quelque temps de ce qui, après tout, n'était qu'extérieur, il finit par admirer leurs maximes, et bientôt il rendit leurs vertus respectables à l'Europe entière. Souvent il se demandait si les quakers ne préparaient pas une réforme plus universelle que tout ce qui s'était vu jusqu'alors. Mais cette secte austère, triste, sans culte extérieur, pourrait-elle réunir tant de peuples diversement préparés, et même, dans un seul peuple, réunir tant de conditions différentes? Tout le monde pouvait-il être quaker? Sans doute quelques sages nés pour la paix et pour la vertu pouvaient, contre les

désordres du monde, dans cette petite Église trouver un asile, une société choisie de frères; mais pour réunir seulement les peuples de l'Europe dans une même croyance, il fallait une bien autre chaleur d'âme une bien autre ampleur de doctrines.

Cependant l'histoire, alors toute récente du réformateur Guillaume Penn; le spectacle de la Pensylvanie, cette capitale élevée sous le nom de Philadelphie, le plus beau nom de ville qui ait jamais été; ces pacifiques conquêtes sur la nature et sur la barbarie; ce peuple sans soldats, sans prêtres, sans impôts et sans séditions, et qui ne connaissait d'autres armes que celles du travail : tout cela revenait sans cesse à sa pensée. Seulement cette colonie durerait-elle ? Et, si elle prenait de la consistance, resterait-elle une nation de quakers? Déjà des 300,000 habitants que l'on y comptait, 200,000 étaient étrangers; ce n'était donc plus, dans Philadelphie même, qu'un quaker sur trois personnes! Donc il était vraisemblable que l'absolue liberté de conscience viendrait elle-même remplacer toutes ces réformes toujours étroites, et préparant toujours dans leurs dogmes une place à l'intolé

rance.

Au milieu de ces doutes, Voltaire était visité, à Wandsworth, par milord Bolingbroke, par Shaftesbury, Pope, Swift, M. Falkener, et toute cette société de free thinkers (libres penseurs), comme ils s'appelaient. Il leur soumettait ses idées naissantes sur la possibilité de réunir un jour tous les hommes sous une même croyance. « Non, disait Bolingbroke, n'es

pérez pas cela. Vous pouvez réunir un petit nombre d'esprits choisis et cultivés ; mais au-dessous de ceux-là qui déjà s'entendent depuis Londres jusqu'à Pékin, vous aurez toujours une multitude imbécile et barbare, prête à subir tous les jougs ou à s'emporter à tous les désordres. La philosophie, la prospérité publique et la liberté en Europe ne seront inébranlables qu'à la condition que partout les hommes éclairés se sépareront du peuple, qu'ils l'enchaîneront, lui, ses prêtres, ses rois, ses charlatans de toute espèce, et que, dégagés du fardeau de cette multitude, ils s'avanceront librement dans les voies de la philosophie et des lumières, sans rêver davantage de s'y faire suivre par une foule idiote, réservée pour les travaux grossiers. Voilà, ajoutait milord, ce que nous avons fait en Angleterre. »

Voltaire s'attristait au sentiment d'une telle injustice, et il osait en témoigner sa douleur. Bolingbroke, Pope, Shaftesbury, pour le consoler, prétendaient lui prouver que tout est bien. Que voulez-vous dire? leur demandait-il. Entendez-vous que le tout est dirigé par des lois immuables? Qui ne le sait? Mais pourquoi ces lois conservatrices de l'ensemble ne sont-elles pas en harmonie avec le bien-être des individus? Voyez la belle chose je me promène au bord d'un précipice, je suis distrait par mon admiration même des lois de la nature, j'avance un peu trop près, et la loi d'attraction qui agit sur les êtres animés de la même manière que sur les masses inertes, fait que je tombe de soixante-quinze pieds de haut en deux se

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condes, avec une vitesse de quinze pieds pour la première et de soixante pour la deuxième. Tout cela est admirable; mais je me romps bras et jambes, je languis six mois dans les plus cruelles souffrances, et je meurs...

POPE.

Eh bien ! qu'y a-t-il, pour le sage, de plus consolant que de savoir qu'il meurt en obéissant aux lois immuables posées par le créateur; et de se dire que Dieu voit d'un même ceil périr le héros et l'insecte, un atome ou mille planètes précipitées dans la ruine, une bulle de savon ou un monde se former?

VOLTAIRE.

Plaisante consolation, vraiment ! Mais...

SHAFTESBURY.

Sans doute plaisante consolation, car Dieu n'ira pas déranger ses lois éternelles pour un animal aussi chétif que l'homme.

VOLTAIRE.

Il faut avouer du moins que ce chétif animal a droit de crier humblement et de chercher à comprendre en criant pourquoi ces lois éternelles ne sont pas faites pour le bien-être de chaque individu. Votre système de tout est bien me représente l'auteur de toute la nature comme un roi puissant et malfaisant, qui ne s'embarrasse pas qu'il en coûte la vie à quatre ou cinq mille hommes, et que les autres traînent leurs jours dans la disette et dans les larmes, pourvu qu'il vienne à bout de ses desseins.

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