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Voltaire ainsi outragé disparaît, s'enferme, n'apprend plus que deux choses: l'escrime et l'anglais. Il prévoyait que l'exil devait être la suite de ce qu'il méditait. Le jour même où il sortait de sa retraite, il envoie un cartel à M. de Rohan; celui-ci accepte pour le lendemain, mais le soir il obtient du ministre une lettre de cachet contre son adversaire, et pendant la nuit, Voltaire, une deuxième fois, est emporté de son domicile et mis à la Bastille.

Il y fut enfermé six mois, après quoi l'on voulut bien le mettre en liberté, mais avec l'ordre de quitter aussitôt la France. Toutefois, avant de partir, il vint furtivement à Paris pour y chercher son adversaire ; mais M. de Rohan se cachait. Il fallut, sans l'avoir revu, partir pour l'Angleterre.

Voltaire s'éloignait donc peut-être pour longtemps de cette France, où déjà, quoique jeune, il avait été témoin de tant de folies et de tant de misères. Quel souvenir emportait-il? Quels événements glorieux ou fortunés avaient pu réjouir cet esprit attentif? On avait eu la déplorable guerre d'Espagne. On avait eu, en 1709, une effroyable famine pendant laquelle le pain avait manqué dans la maison du roi qu'on juge de la maison du pauvre ! On avait eu la peste en Provence. La guerre civile avait failli éclater pour des questions de théologie, pour le jansénïsme et pour la bulle Unigenitus. Dubois avait été ministre. Law avait achevé, par une invention inouïe, de volatiliser la fortune publique. Il ne faut pas croire que Voltaire, distrait par ses travaux, ne fût attentif à ces événements; il obser

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vait tout on pressent, dès cette époque, dans sa correspondance, le futur historien de son siècle, en voyant la passion qu'il met, loin de Paris, à être informé de tout ce qui se passe. Ainsi, à propos de Law, nous le voyons, en 1718, à vingt-quatre ans, écrire à Genonville:

(( .....

Etes-vous réellement devenus tous fous à « Paris? Je n'entends plus parler que de millions; on «< dit que tout ce qui était à son aise est dans la misère, «<et que tout ce qui était dans la mendicité nage dans « l'opulence. Est-ce une réalité? Est-ce une chimère ? « La moitié de la nation a-t-elle trouvé la pierre philo«sophale dans les moulins à papier? Law est-il un « dieu, un fripon ou un charlatan qui s'empoisonne de <«< la drogue qu'il distribue à tout le monde? Se con<< tente-t-on de richesses imaginaires? C'est un chaos « que je ne puis débrouiller... >>

Et cependant il quittait à regret cette terre de folie et de confusion, même pour l'Angleterre, pour le pays de l'ordre et de la sagesse. Du haut du navire qui l'emportait, tournant ses regards vers la Fance, il s'écriait «O Welches! Welches légers, mais char<< mants! >>

X

Pendant la traversée, ce qui l'occupe, c'est le spectacle du navire qui l'emporte vers Londres; un navire

est pour lui un prodige, c'est un de ces miracles des arts qui l'affermissent dans sa confiance en la raison de l'homme, une de ces merveilles qui, au milieu de tant de folies lui rendent le genre humain respectable. Car ce qu'il tient à se prouver avant tout, et à prouver aux autres, c'est l'existence dans l'homme d'une faculté souveraine, la même pour tous les peuples et pour tous les temps. Si l'homme, disait-il, ne doit compler pour rien ce flambeau intérieur, son seul guide, ne fût-ce que pour choisir entre tant de doctrines qui, toutes se disent révélées; si sa raison est un leurre, si sa conscience est un rêve, qu'il reste esclave; mais si son intelligence n'est point un néant, si son génie se montre dans ses œuvres, s'il possède en lui la loi des lois, de quel droit tant de maîtres pour le gouverner au nom d'un principe étranger à lui-même ?

Voilà en partie ce qui le rendit toujours si attentif aux inventions de l'industrie et des arts; il les aimait parce qu'ils portaient témoignage en faveur de l'homme. Que le lecteur ne s'étonne donc plus de le voir, pendant cette traversée, moins attentif à l'Océan qu'au navire. Il tâchait d'en comprendre la construction, la manœuvre, car jamais peut-être il n'y eut d'esprit moins rêveur. Attaché sans cesse à ce qui se passait sous ses yeux, tout ce qu'il vit durant sa longue carrière, il se plut à en pénétrer les ressorts; de là ce prodigieux savoir et cette science pratique qui étonnèrent ses contemporains. Il sera dans quelques années le plus grand historien de son siècle; mais les sciences devenues par leur puissance un élé

ment nouveau dans le monde, attiraient bien plus son attention que la politique ou la guerre qu'il détestait. Il entrevit que les sciences, non-seulement changeraient par leurs résultats immédiats les destinées des peuples (Descartes lui-même, le plus grand philosophe de l'Europe avant Newton, l'avait annoncé, (Méthod., part. vi), mais qu'elles seraient encore pour les nations là base d'un droit nouveau; qu'elles allaient à jamais renverser le galimatias et les impostures de la théologie. Ceci nous explique pourquoi il visita avec tant d'empressement et de joie, à Londres, cette pompe à feu des bâtiments d'York construite depuis quelques années par le mécanicien Savery, et nous comprenons ce qui lui fit choisir pour lieu de son exil la patrie des Newton, des Halley, des Harvey.

Aller en Angleterre en 1726, c'était aller à la découverte d'un nouveau monde politique, littéraire et philosophique. La constitution anglaise, la littérature anglaise, la philosophie anglaise, rien n'était alors plus inconnu en Europe; mais la curiosité commençait à se tourner de ce côté : les esprits sérieux, à cette époque, allèrent presque tous à Londres. Au reste, les hommes de lettres, en ce temps-là, se mettaient en voyage, ils s'en allaient porter et recueillir en tous lieux la philosophie Montesquieu visita l'Allemagne, Florence, Venise, la Hollande, l'Angleterre; Diderot la Russie; Beaumarchais l'Espagne; Rome seule, la ville du pape ne fut point visitée ou le fut moins... Mais la patrie de

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Newton et de Locke devenait un lieu de pèlerinage pour les philosophes; ils la respectaient comme l'asile du libre examen. L'Angleterre était devenue d'ailleurs une nation de plus en plus florissante, depuis l'abaissement de la Hollande, fruit de la politique catholique, qui avait cru, en humiliant ce pays, affaiblir le protestantisme; et depuis que, par la révocation de l'édit de Nantes, autre résultat de la même politique, 13,000 artisans français, réfugiés à Londres, avaient porté dans cette ville nos meilleures industries.

Voltaire arrivait à Londres sous le patronage de milord Bolingbroke, politique adroit et délié, mais pauvre philosophe et d'une érudition pleine de fatras. Vrai type du grand seigneur anglais, il était pourtant supérieur à ses compatriotes par la séduction de son esprit. Sa maison semblait encore une maison française milord avait épousé à Paris madame de Villette, dont le premier mari, marquis de Villette, était neveu ou cousin de madame de Maintenon et père de madame de Caylus. Voltaire se retrouvait là en pays d'anecdoctes sur Louis XIV, mais outre les anecdotes de Madame sur le feu roi, il apprenait par milord le secret des négociations qui avaient eu lieu entre les deux cours pendant son ministère, et c'était une joie pour l'esprit sceptique de Bolingbroke de voir naître les grands événements des plus petites causes.

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