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cette heure-là. Mon père fut fidèle à ce rendez-vous. Je lui ai ouï raconter cent fois la scène dont il fut témoin; il imitait fort bien le ton et l'action déclamatoire de Voltaire. Mon père se trouvait donc souvent invité à donner une répétition de cette scène. J'y assistai plusieurs fois, j'en éprouvais une forte impression; ainsi donc, quoiqu'il y ait plus de soixante ans de cela, j'en ai le souvenir vif et distinct.

<< Voltaire donc, s'étant assis derrière une table et entouré des amis de Calas, qui avaient été convoqués, sortit un petit cahier de son portefeuille : Mes amis, dit-il presque en sanglotant, je n'ai pas dormi de toute la nuit; c'est l'innocence qui a parlé. La lettre de madame Calas contient la vérité; jamais le mensonge ne pourrait inventer un pareil langage. Il faut agir, il faut remuer ciel et terre, et commencer à soulever le public en faveur de ces infortunés. Cette lettre de madame Calas doit être connue et répandue. Voici ce que je me propose : c'est de faire imprimer ce que je vais vous lire, que j'ai dicté la nuit dernière.

« Là dessus il lut ou plutôt il déclama de ce ton si remarquable que vous lui avez connu la lettre de madame Calas qu'il avait un peu arrangée, en supprimant quelques longueurs et en corrigeant quelques fautes de style. Il en laissa cependant subsister assez pour constater l'originalité de la pièce.

Si, pour cette lettre, Voltaire n'était qu'éditeur, il voulut aussi, en même temps être auteur. Il se fit secrétaire du fils cadet de la famille, ouvrier pauvre et ignorant, qui, à raison de son absence, ne fut pas

impliqué dans le procès et qui vivait caché aux environs de Genève. Voltaire feignit que ce jeune homme écrivait à sa mère une lettre qui contenait, bien sommairement, les moyens du procès, dont la lettre de madame. Calas contenait les faits.

« Ces deux petites pièces formèrent une brochure qui fut répandue avec profusion, surtout à Paris et à Versailles.

« L'explosion fut forte, et Voltaire fut lancé. Il prononça, avec l'avis unanime de tous les amis, que madame Calas devait courir aux pieds du trône pour y crier «< Justice! justice! » On eut grand'peine à la déterminer à cette démarche hardie: mais dès qu'elle eut fait les premiers pas, sa timidité et sa faiblesse disparurent.Aucune audience à solliciter ne l'intimida, et partout où elle se présenta, elle inspirait l'admiration et l'intérêt le plus vif.

«Voltaire se réunit aux amis de madame Calas pour l'aider de sa boursé dans ses premières démarches et pendant tout le cours du procès. Mais ce fut surtout par ses directions, ses conseils, les chaleureuses recommandations auprès de ses amis qu'il lui donna (1), les écrits qu'il publia (2), qu'il mérite

(1) Entre ces premiers protecteurs que madame Calas trouva à Paris, on doit citer madame la duchesse d'Enville et sa famille, M. et madame d'Argental, M. Damilaville et autres amis de Voltaire; en particulier, les trois avocats M. Mariette, M. de Beaumont et M. Loiseau, qui consacrèrent leurs talents au service de la famille Calas.

(Note de M. de Végobre).

(2) J'ai la collection des billets que Voltaire écrivait à mon

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d'être cité comme le principal auteur du succès qui fut obtenu. Voilà une gloire pure et sans mélange dont il jouissait avec délices. Je me rappelle que, lors de la nouvelle du succès définitif, mon père me conduisit, moi enfant, auprès du grand homme, et que j'eus la délicieuse satisfaction d'être témoins des visitations qu'ils se firent mutuellement.

« Des détracteurs de Voltaire ont cherché à ternir la gloire qu'il obtint dans cette occasion, en attribuant tout ce qu'il a fait à un sentiment de vanité. Quelles preuves en avez-vous! leur dirai-je. Avez-vous quelque raison péremptoire pour empoisonner ainsi, par la supposition d'un motif secret, des actions qui vous paraissent dignes de tout éloge? Pour moi, sans pouvoir nier que le désir de jouer un beau rôle fût sans influence sur l'esprit de Voltaire, j'oserais affirmer, d'après tout ce que j'ai su et tout ce que j'ai aperçu, que l'amour de l'humanité et l'horreur du fanatisme furent ses principaux et peut-être ses uniques motifs. Je pourrais citer, à l'appui de cette assertion, un autre événement qui a du rapport avec la malheureuse histoire des Calas, où Voltaire, déjà agé de quatre-vingts ans, se porta avec zèle à protéger et à défendre l'innocence par un pur sentiment d'humanité. Mais ce serait une digression étrangère au but de cette lettre.

<«< Quelques années après son triomphe obtenu,

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c'est-à-dire en 1770, madame Calas, avec ses deux filles et M. Duvoisin, chapelain de l'ambassade de Hollande à Paris, fit un voyage en Suisse. On peut bien croire que son premier soin fut d'aller porter ses hommages à Ferney, et il est aisé d'imaginer la réception que lui fit son généreux protecteur. J'affirme que ce fut la première fois que madame Calas parut chez Voltaire.

« Voilà, mon cher ami, le petit exposé que vous m'aviez demandé. Je l'ai écrit avec la plus parfaite sincérité. Je ne crois pas devoir suspecter ma mémoire, quel que soit le temps qui se soit écoulé depuis celui où j'étais témoin des faits que je rapporte. Vous comprenez bien que je ne donne pas comme ayant une vérité qu'on pourrait appeler judiciaire tous les petits détails qui se sont trouvés sous ma plume, telles que les phrases que j'ai mises dans la bouche des interlocuteurs que j'introduis dans mon récit.

<< Mais j'ose vous présenter ce récit comme fondé sur la vérité historique la plus rigoureuse.

«< Agréez, etc.

«< DE VÉGOBRE, ancien juge. »

M. de Végobre, le père, auquel on doit, comme on vient de le voir, l'intervention de Voltaire dans le procès Calas, mourut à Genève en 1801: son nom peu connu jusqu'ici, est un de ceux qui honorent la profession d'avocat; le barreau français et le barreau génevois sauront sans doute faire que son beau rôle, à côté de Voltaire, dans l'affaire Calas, ne soit plus

oublié. Ce dont surtout on doit lui savoir gré, c'est d'avoir senti que Voltaire seul avait assez de puissance pour faire rendre justice à des malheureux opprimés au nom de la religion.

Puisque nous avons été ramenés à l'affaire Galas, ajoutons ce dernier détail :

On se rappelle l'acharnement implacable que mit David de Beaudrigue à poursuivre le malheureux huguenot, mais lui-même après ce procès, que devint-il? maudit de tous, excommunié par Voltaire, le vrai pape d'alors, joué vivant sur les scènes étrangères, représenté partout comme un monstre, destitué de sa charge, il devint fou et se fit justice à lui-même en se tuant dans un accès de frénésie.

Quant aux autres juges, ils restèrent toute leur vie sous le coup du ressentiment public, et jamais une occasion ne fut perdue de leur rappeler leur crime.

L'un d'eux visitait à l'Observatoire de Toulouse un savant astronome.

- Que voyez-vous dans le ciel, dit le juge, avec vos grandes lunettes?

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A un autre de ces mêmes juges, une dame disait : Comment avez-vous pu, monsieur, commettre une si grande faute, et condamner ainsi un innocent? Hélas! madame, il n'est si bon cheval qui ne choppe.

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