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ces vers pamphlets que le public d'alors accueillait avec tant d'ardeur, et qui retentissaient formidables au milieu du vieux monde.

Voltaire, du reste, comprit très-bien cet avertissement du public, il s'aperçut qu'il faisait fausse route; aussi sa première pièce, après Mariamne, n'aura-t-elle plus à craindre de tomber sous les saillies d'un plaisant; sa première tragédie sera Brutus.

VIII

Il faut dire cependant qu'il se rétablissait mal de sa petite vérole; elle fut suivie d'une maladie de peau et de dérangements dont il languit toute une année; outre sa constitution malingre, on pouvait attribuer ce prolongement de faiblesse à une émotion violente qui vint troubler sa convalescence, et lui causer de nouveau un chagrin très-vif.

« J'attendais avec impatience, écrit-il à M. de Bre<«<teuil, le moment où je pourrais me dérober aux << soins qu'on avait de moi à Maisons et finir l'embarras « que j'y causais. Plus on avait pour moi de bontés, << plus je me hâtais de n'en pas abuser plus longtemps; <«<enfin je fus en état d'être transporté à Paris, le «1er décembre. Voici, monsieur, un moment bien fu<«< neste. A peine suis-je à deux cents pas du château, qu'une partie du plancher de la chambre où j'avais

« été tombe tout enflammé; les chambres voisines, les << appartements qui étaient au-dessous, les meubles. «< précieux dont ils étaient ornés, tout fut consumé <«< par le feu la perte monte à près de cent mille << livres ; et sans le secours des pompes qu'on envoya «< chercher à Paris, un des plus beaux édifices du << royaume allait être entièrement détruit. On me ca<< cha cette étrange nouvelle à mon arrivée, je le sus à «< mon réveil. Vous n'imaginerez point quel fut mon (( désespoir vous savez les soins généreux que M. de << Maisons avait pris de moi; j'avais été traité chez <«<lui comme son frère, et le prix de tant de bontés était << l'incendie de son château. Je ne pouvais concevoir «< comment le feu avait pu prendre si brusquement << dans ma chambre, où je n'avais laissé qu'un tison «< presque éteint; j'appris que la cause de cet embra«sement était une poutre qui passait précisément sous «la cheminée..... La poutre dont je parle s'était em«<brasée peu à peu par la chaleur de l'âtre qui portait << immédiatement sur elle; et par une destinée singu<< lière, dont assurément je n'ai pas goûté le bonheur, « le feu qui couvait depuis deux jours, n'éclata qu'un « moment après mon départ. Je n'étais point la cause

de cet accident, mais j'en étais l'occasion malheu«< reuse, j'en eus la même douleur que si j'en avais été « coupable: la fièvre me reprit aussitôt, et je vous as«sure que, dans ce moment, je sus mauvais gré à « M. de Gervasi de m'avoir conservé la vie.

<< Madame et M. de Maisons reçurent la nouvelle plus <«< tranquillement que moi; leur générosité fut aussi

<«< grande que leur perte et que ma douleur. M. de Mai« sons mit le comble à ses bontés en me prévenant << lui-même par des lettres qui font bien voir qu'il est << excellent par le cœur comme par l'esprit; il s'occu<< pait du soin de me consoler, et il semblait que ce fut « moi dont il eût brûlé le château. »

Ajoutons à ce chagrin celui de sa tragédie sifflée (un mois plus tard), et cela nous fera mieux comprendre comment il passa toute l'année 1724 à Paris dans la solitude, à l'hôtel Bernières; travaillant, ne sortant presque pas, tâchant de régler ses affaires fort dérangées du côté de la fortune, tâchant aussi de rétablir sa santé et de raffermir son âme bouleversée (c'est l'expression dont il se sert lui-même), il prépare ses forces parce qu'il commence à pressentir tout ce qu'il aura à dire et à faire. Des révolutions s'accomplissent dans son esprit, mais il ne fait, pour ainsi dire, que s'essayer encore. Il n'avoue pas son vrai rôle, il n'est aux yeux de bien des gens qu'un littérateur, de premier ordre, il est vrai, car si l'on avait sifflé Mariamne, OEdipe se jouait toujours et la Henriade venait de paraître. Ce temps fut précisément l'époque de sa vie où, comme poëte, il reçut les plus grands éloges : on l'égalait à Corneille et l'on croyait la Henriade supérieure à l'Énéide et cela s'imprimait. Mais, hélas! à ses propres yeux n'être qu'un homme de lettres, n'être que le confrère d'un Rousseau, d'un la Motte, cela ne lui pouvait suffire. N'y avait-il à faire que des tragédies en ce monde ? Les sciences l'attiraient de plus en plus. L'approche de réformes sociales, des symptômes cer

tains de changements inouïs dans les institutions, l'impossibilité où il voyait les dogmes anciens de se soutenir tels qu'ils étaient en face de la philosophie moderne, en face des sciences qui, depuis deux siècles, commençaient à poindre, tout cela le préoccupait bien autant que ses héros tragiques. Et ces héros tragiques eux-mêmes, qu'étaient-ils, sinon des précurseurs de ces grandes réformes qu'il pressentait dans le lointain, sans les pouvoir formuler encore?

Cependant ce qu'il ne disait pas au public dans ses tâtonnements, il commençait à se le dire à lui-même, car déjà il se sentait emporté par cette ardeur de réformes qui fera de lui, à Ferney, dans trente ans, le véritable souverain de son siècle, et qui lui fera écrire à la fin d'une de ces feuilles volantes qu'il lançait chaque jour aux pieds de tous les souverains de l'Europe : «Je dis qu'il est honteux que la société ne se soit « pas perfectionnée en proportion des lumières ac<«<quises. Je dis que ces lumières ne sont qu'un cré«< puscule. Nous sortons d'une nuit profonde et nous « attendons le grand jour. »

IX

L'année 1725 commence sous de meilleurs auspices: il se porte mieux, retrouve sa gaieté, reprend goût au 'plaisir et plus encore à l'étude. Il achève et fait re

présenter sa petite comédie de l'Indiscret. La pièce n'eut et ne pouvait avoir qu'un médiocre succès; mais succès ou non, Voltaire était plein d'espérance à cette époque. Il n'était plus seul; la voix de la philosophie commençait à se faire entendre dans d'autres bouches que la sienne! Un homme des plus respectés, le président de Montesquieu, avait osé publier le joyeux livre des Lettres persanes. Il y avait un peu plus de trois ans déjà qu'elles avaient paru, mais le succès, et là était l'important pour Voltaire, le succès grandissait tous. les jours. Les honnêtes gens s'ébranlaient.

Il allait reprendre la plume et se sentait plus en verve que jamais, lorsqu'un événement vint tout ininterrompre et le jeter de nouveau dans les aventures.

Voltaire dînait un jour chez le duc de Sully: là un homme de la plus haute naissance, le chevalier de Rohan, crut, en vrai gentilhomme, que l'impertinence était permise et même de bon ton avec un petit bourgeois, fils d'un simple notaire; mais il arriva que le petit bourgeois, auteur d'OEdipe et de la Henriade, répondit en foudroyant monseigneur sous une de ces épigrammes terribles de justesse et d'à-propos. Quelques jours se passent. Voltaire dînant de nouveau chez le duc de Sully, le soir est attiré sous un prétexte à la porte de l'hôtel. Là des laquais déguisés de M. de Rohan le saisissent, l'entraînent dans la rue, le frappent à coups de bâtons, puis se sauvent. Le duc de Sully était puissant et influent; cette infamie s'était passée à sa porte; il eût dû lui-même exiger une réparation, il ne fit rien.

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