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sentiment de pitié qui soit entré jamais dans un cœur d'homme il lui fait commencer à soixante-huit ans une nouvelle vie, celle de la commisération active pour les malheureux et les opprimés.

Il ne cherche plus le sublime et le trouve presque à chaque mot qu'il prononce ou écrit. Qu'on lise sa correspondance à cette époque, si l'on veut avoir le spectacle d'un grand cœur défendant une cause sainte. Il écrit, dès le 27 mars, à d'Argental :

« Vous me demanderez peut-être pourquoi je m'intéresse si fort à ce Calas qu'on a roué : c'est que je suis homme, c'est que je vois tous les étrangers indignés, c'est que tous vos officiers suisses protestants disent qu'ils ne combattront pas de grand cœur pour une nation qui fait rouer leurs frères sans aucune preuve.

« Je me suis trompé sur le nombre des juges dans ma lettre à M. de la Marche. Ils étaient treize; cinq ont constamment déclaré Calas innocent. S'il avait eu une voix de plus en sa faveur, il était absous. A quoi tient donc la vie des hommes? à quoi tiennent les plus horribles supplices? Quoi! parce qu'il ne s'est pas trouvé un sixième juge raisonnable, on aura fait rouer un père de famille! on l'aura accusé d'avoir pendu son propre fils, tandis que ces quatre autres enfants crient qu'il était le meilleur des pères! Le témoignage de la conscience de cet infortuné ne prévaut-il pas sur l'illusion de huit juges animés par une confrérie de pénitents blancs qui a soulevé les esprits de Toulouse contre un calviniste? Ce pauvre homme criait sur la roue qu'il était innocent; il pardonnait à ses juges, il

pleurait son fils, auquel on prétendait qu'il avait donné la mort. Un dominicain qui l'assistait d'office sur l'échafaud dit qu'il voudrait mourir aussi saintement qu'il est mort. Il ne m'appartient pas de condamner le parlement de Toulouse, mais enfin il n'y a eu aucun témoin oculaire; le fanatisme du peuple a pu passer jusqu'à des juges prévenus. Plusieurs d'entre eux étaient pénitents blancs; ils peuvent s'être trompés. N'est-il pas de la justice du roi et de sa prudence de se faire au moins représenter les motifs de l'arrêt? Cette seule démarche consolerait tous les protestants de l'Europe et apaiserait leurs clameurs. Avons-nous besoin de nous rendre odieux? Ne pourriez-vous pas engager M. le comte de Choiseul à s'informer de cette horrible aventure, qui déshonore la nature humaine, soit que Calas soit coupable, soit qu'il soit innocent? Il y a certainement, d'un côté ou d'un autre, un fanatisme horrible, et il est utile d'approfondir la vérité. »

Le 4 avril il écrit à Damilaville :

<«< Jamais, depuis le jour de la Saint-Barthélemy, rien n'a tant déshonoré la nature humaine. »>

lit.

Le même jour, dans sa stupeur, il dit à d'Argental: « Rit-on encore à Paris? >>

Quelques jours plus tard il a la fièvre et reste au

Mais le 11 juin il écrit de nouveau à d'Argental :

« Je me jette réellement à vos pieds et à ceux de M. le comte de Choiseul. La veuve Calas est à Paris, dans le dessein de demander justice; l'oserait-elle si

son mari eût été coupable? Elle est de l'ancienne maison de Montesquiou par sa mère (ces Montesquiou sont de Languedoc); elle a des sentiments dignes de sa naissance et au-dessus de son horrible malheur. Elle. a vu son fils renoncer à la vie et se pendre de désespoir, son mari accusé d'avoir étranglé son fils, condamné à la roue et attestant Dieu de son innocence en expirant; un second fils, accusé d'être complice d'un parricide, banni, conduit à une porte de la ville et reconduit par une autre porte dans un couvent; ses deux filles enlevées; elle-même enfin interrogée sur la sellette, accusée d'avoir tué son fils, élargie, déclarée innocente, et cependant privée de sa dot. Les gens les plus instruits me jurent que la famille est aussi innocente qu'infortunée. Enfin, si malgré toutes les preuves que j'ai, malgré les serments qu'on m'a faits, cette femme avait quelque chose à se reprocher, qu'on la punisse; mais si c'est comme je le crois, la plus vertueuse et la plus malheureuse femme du monde, au nom du genre humain, protégez-là; que M. le comte de Choiseul daigne l'écouter! Je lui fais tenir un petit papier qui sera son passe-port pour être admise chez

vous. >>

Le 9 juillet, il écrit à un négociant de Marseille :

« Mandez-moi, monsieur, je vous en conjure, si la veuve Calas est dans le besoin. >>

Et il ajoute :

« C'est renoncer à l'humanité que de traiter une telle aventure avec indifférence. »>

26 juillet, à Damilaville :

«..... L'horreur de Toulouse m'occupe plus que l'impertinence sulpicienne. Je vous demande en grâce de faire imprimer les pièces originales (du procès). M. Diderot peut aisément engager quelque libraire à faire cette bonne œuvre. Il nous paraît que ces pièces nous ont déjà attiré quelques partisans. Que votre bon cœur rende ce service à la famille la plus infortunée ! Voilà la véritable philosophie! »>

Le 31 juillet, au même :

<< Est-il possible qu'on n'imprime pas à Paris les mémoires des Calas! Eh bien, en voilà d'autres : lisez et frémissez. »

Le 7 août, à d'Argental :

"..... Il faut que de bouche en bouche on fasse tinter les oreilles du chancelier; qu'on ne lui donne ni repos, ni trêve; qu'on lui crie toujours: Calas! Calas!»

Le 21 septembre, au marquis de Chauvelin :

« Cette affaire devient importante; elle intéresse les nations et les religions. Quelle satisfaction le parlement de Toulouse pourra-t-il jamais faire à une veuve dont il a roué le mari et qu'il a réduite à la mendicité, avec deux filles et trois garçons, qui ne peuvent plus avoir d'état? »

Le 9 janvier 1763, à l'occasion de la nouvelle année, il trouve quelques moments pour écrire à son vieil ami Cideville; il lui parle aussi de l'affaire Calas et de l'appel en révision.

« Je soupire, lui dit-il, après le jugement comme si j'étais parent du mort, »>

Sa passion lui fait trouver le ton et les raisons qui conviennent pour émouvoir chacun. C'est ainsi qu'il fait dire au ministre Choiseul : « Voilà déjà sept familles (protestantes) qui sont sorties de France effrayées par l'affaire Calas. Avons-nous donc trop de manufacturiers et de cultivateurs? » Avec quel soin il encourage les avocats, juges, rapporteurs!

Il écrit à d'Argental, le 19 février :

« On m'a mandé que l'affaire des Calas avait été ́ rapporté par M. de Crosne, et qu'il a très bien parlé. Je vous assure que l'Europe a les yeux sur cet événement. >>

Mais les choses ne vont point assez vite au gré de son impatience :

« Le sang me bout sur les Calas. Quand la révision sera-t-elle donc ordonnée ? »

Et six jours seulement après cette lettre, il écrit

encore:

<< Eh bien! a-t-on enfin rapporté l'affaire des Calas? >> Enfin, le 7 mars (notons la date: c'était l'avantveille du jour anniversaire du supplice de Jean Calas), l'affaire est rapportée au conseil d'Etat par M. de Crosne, et l'on prononce la révision du jugement de Toulouse.

<< Il y a donc de la justice sur la terre; il y a donc de l'humanité ! » s'écrie Voltaire. (Lettre à Damilaville, 15 mars).

A M. DE CROSNE.

<< Monsieur,

« Vous vous êtes couvert de gloire... les philosophes

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